Dissertation
Suis-je l’esclave de mon inconscient ?
Définir les termes du sujet
Inconscient
Composé du suffixe in- (« privé de ») et du mot « conscience » (« accompagné d’un savoir »), ce terme désigne une activité cachée de l’esprit, qui se passe en nous, mais sans que nous le sachions.
Esclave
Dans son sens premier, l’esclave désigne dans l’Antiquité un homme qui a un statut inférieur à celui du maître et qui ne peut ni s’exprimer ni agir librement, parce qu’il est sous le joug d’un autre.
Dégager la problématique
Ce sujet revêt des enjeux éthiques et judiciaires, dans la mesure où il questionne la liberté humaine, et donc la responsabilité.
Construire un plan
Corrigé
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Introduction
[Accroche] Les personnes victimes d’un traumatisme ressentent souvent un malaise lorsqu’elles sont placées dans une situation qui leur rappelle l’événement en question. C’est ce qu’on appelle le stress post-traumatique. Dans la mesure où la conscience ne parvient pas à contrôler ce phénomène, nous pouvons y voir l’expression d’une partie de nous qui nous échappe : notre inconscient. [Reformulation du sujet] Est-il possible que nous ne soyons pas maîtres de nos pensées et de nos actions, mais que celles-ci soient contrôlées par notre inconscient ? [Problématique] Si l’inconscient désigne une activité cachée de l’esprit humain, cela signifie qu’une partie de nous échappe à notre connaissance et à notre contrôle. Nous pouvons donc penser que nous sommes esclaves de notre inconscient. Mais si nous définissons l’inconscient comme une entité psychique distincte de la conscience, n’est-il pas possible de décrypter son fonctionnement propre et de nous affranchir de sa tutelle ? [Annonce du plan] Il s’agira d’abord de montrer que l’inconscient fait de nous des esclaves, car il contrôle nos pensées et nos actes. Nous expliquerons ensuite qu’il est néanmoins possible de nous affranchir de la domination de l’inconscient, dès lors que nous pouvons comprendre son mode de fonctionnement pour nous en rendre maîtres. Nous finirons par nous demander si ce n’est pas la conscience elle-même qui feint d’être esclave de l’inconscient pour fuir sa liberté.
1. Mon inconscient dirige mes actes à mon insu
A. Mon inconscient est formé d’une multitude de perceptions
On peut concevoir l’inconscient comme un ensemble de perceptions infraconscientes, c’est-à-dire que l’on ne perçoit pas, car elles ne franchissent pas le seuil de la conscience. C’est ainsi que Leibniz le définit dans les Nouveaux essais sur l’entendement humain. Il explique que nos perceptions conscientes sont formées d’une infinité de perceptions qui sont trop petites, unies et nombreuses pour que nous puissions les distinguer. Nous n’en prenons dès lors conscience que quand elles s’additionnent les unes aux autres pour former une perception globale consciente.
Leibniz illustre son propos par l’exemple du bruit de la mer : il se compose d’une multitude de perceptions, comme le bruit de gouttes d’eau ou de grains de sable qui s’entrechoquent, lesquelles, additionnées les unes aux autres, forment un bruit que nous percevons bien. Ces informations, captées par l’inconscient, peuvent diriger nos actes sans que nous nous en apercevions.
B. Mon inconscient influence mes décisions à mon insu
Ces perceptions inconscientes remettent en cause la liberté conçue comme libre-arbitre ou comme capacité à être la cause consciente de ses actes. Par exemple, Leibniz affirme que lorsque nous nous croyons libres de tourner à gauche ou à droite, cela relève de l’illusion, puisqu’en réalité des petites perceptions dont nous n’avons pas conscience nous incitent à choisir une direction plutôt qu’une autre, sans même que nous nous en apercevions. Dans cette perspective, je suis bien l’esclave de mon inconscient, car ce dernier dirige mes actes à mon insu.
[Transition] Cependant, cette définition de l’inconscient peut sembler réductrice. En effet, l’inconscient n’est pas seulement ce qui n’est pas perçu, il peut être aussi une entité distincte de la conscience, ayant un mode de fonctionnement propre, qu’il est possible de connaître. Dès lors, si je suis bien l’esclave de mon inconscient, ne puis-je pas m’en affranchir en prenant conscience de l’action qu’il exerce sur moi ?
2. Je peux m’affranchir de mon inconscient
A. Certes, mon inconscient dirige mes pensées et mes actes
Freud envisage l’inconscient comme une entité psychique distincte de la conscience. À côté de la partie consciente du sujet, qu’il appelle le « moi », il existe deux instances inconscientes : le « ça » correspond à l’ensemble des pulsions cherchant à être satisfaites. Celles-ci sont filtrées par le « surmoi », que Freud définit comme l’intériorisation par le sujet des interdits sociaux. C’est une instance de contrôle qui empêche les pulsions du ça non conformes aux normes sociales de pénétrer dans la conscience. Ainsi, « le moi n’est pas maître dans sa propre maison ».
Cet inconscient dicte nos conduites. En effet, les pulsions censurées, que Freud nomme « les désirs refoulés », cherchent à s’exprimer de manière détournée, non seulement à travers les rêves, mais également par le biais de lapsus ou d’actes manqués. À travers ces manifestations, le ça contourne la censure du surmoi : il fait passer pour une chose acceptable – une simple erreur – un désir qui ne l’est pas. Ainsi, c’est bien mon inconscient qui s’exprime malgré moi. Freud développe ici une conception déterministe, selon laquelle nos actes conscients sont le résultat de processus inconscients.
B. Mais l’inconscient ne supprime pas totalement ma liberté
Même si certains de ses choix sont influencés par son inconscient, l’homme reste capable de faire des choix conscients, d’effectuer des délibérations, de trancher entre plusieurs actions, contrairement à l’esclave qui est dans une attitude de pure soumission. Par exemple, il est possible que l’inconscient influence la vie sentimentale d’une personne, sans pour autant influer sur ses choix politiques.
C. Je peux m’affranchir de la tutelle de l’inconscient
En prenant conscience de nos pulsions inconscientes lors de la cure psychanalytique, nous pouvons devenir davantage maîtres de nous-mêmes.
En effet, nous pouvons choisir, consciemment, d’assouvir ou de rejeter ces pulsions inconscientes : nous cessons donc d’en être les esclaves, puisque nous pouvons les soumettre à notre volonté.
[Transition] Toutefois, cette conception pose un problème en termes de responsabilité : n’est-il pas impossible de juger une personne dès lors qu’elle n’est pas initialement libre ? Ne faut-il pas suspecter l’hypothèse de l’inconscient d’être une excuse que nous nous donnons pour fuir notre liberté ?
3. L’inconscient me permet de fuir l’angoisse de la liberté
A. Croire que je suis l’esclave de mon inconscient me rassure
L’homme est doté d’une conscience libre, qui lui offre la possibilité de faire des choix : je suis donc le maître de ma vie, dont je suis totalement responsable. Tel est le fondement de l’existentialisme de Sartre.
Or cette responsabilité est angoissante, puisque l’homme n’a alors plus d’excuse pour justifier ses échecs. C’est pourquoi il invente des stratagèmes pour se cacher sa liberté, comme l’existence d’un déterminisme inconscient. Dès lors, je ne suis pas l’esclave de mon inconscient mais j’aime le croire, car cela apaise mon angoisse devant ma liberté. Sartre appelle mauvaise foi ce mensonge fait à soi-même.
B. Si je suis esclave, ce ne peut être que de moi-même
Pour Sartre, l’inconscient freudien est un leurre. Ce qui est inconscient chez l’homme n’est pas le produit d’une instance soumettant sa conscience, c’est bien plutôt ce que sa conscience a décidé de mettre de côté. Ce que nous choisissons d’oublier et de connaître est conscient.
Pour illustrer la mauvaise foi, Sartre prend l’exemple d’un homme qui n’a pas trouvé l’amour. Cet homme fait preuve de mauvaise foi s’il accuse les circonstances ou les autres de son échec. En réalité, lui seul est responsable : il ne tenait qu’à lui de se donner les moyens de trouver l’amour.
Conclusion
Si nous ne sommes pas les esclaves de notre inconscient, c’est moins parce que nous avons la capacité de nous en affranchir en le connaissant, que parce que nous nous rendons nous-mêmes esclaves de croyances fictives qui nous rassurent. La difficulté de réagir face au réchauffement climatique est sans doute l’exemple le plus actuel d’une stratégie d’évitement, par laquelle l’homme tente de se protéger d’une réalité qui l’effraie.