L’État
Corrigé
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La politique
phiT_1206_07_03C
France métropolitaine • Juin 2012
dissertation • Série S
Définir les termes du sujet
L’État
L’État désigne l’ensemble des institutions (politiques, juridiques, militaires, administratives, économiques) qui organise une société sur un territoire particulier. Il a donc pour finalité d’assurer le bon fonctionnement d’une société donnée.
La liberté
- Elle peut, dans un premier temps, s’entendre comme l’absence d’obstacle, de contrainte, c’est-à-dire comme indépendance. Mais il s’agirait plutôt d’une condition pour être libre. La véritable liberté résidant dans l’action, elle désignerait alors le pouvoir de s’autodéterminer, d’être à soi-même sa propre cause. La liberté serait alors autonomie.
- Le sujet invite à analyser une hypothèse (« serions-nous »), qui affirmerait qu’en l’absence d’État notre liberté augmenterait, et ainsi nous serions plus libres. Il ne s’agit donc pas d’affirmer que l’État détruit toute liberté mais qu’il la limite. La liberté pourrait ainsi avoir différents degrés.
Dégager la problématique et construire un plan
La problématique
- L’État, en instaurant des lois limitatives et coercitives, exerce une entrave aux libertés individuelles. L’idée que l’on puisse être plus libre s’il n’y avait pas d’État découle alors d’une définition de la liberté comme indépendance. Mais que serait alors cet état sans État, un état sans loi, un état de nature ?
- Que l’État soit conçu comme naturel ou artificiel, il semble bien se présenter comme le fait des hommes. En effet, ceux-ci sans la protection de l’État se trouveraient dans l’impossibilité d’exercer leurs libertés en raison même des conflits naissants de la diversité des volontés.
- Mais affirmer que l’État est la condition d’effectuation des libertés (même restreintes), c’est oublier que l’État lui-même peut être, ouvertement ou de manière dissimulée, une tyrannie qui, sous prétexte d’assurer un ordre, exerce une force « légitime » pour soumettre le peuple. Serions-nous plus libres alors sans État ?
Le plan
- Il s’agira d’abord de considérer qu’être sans État c’est certes avoir une liberté infinie mais qui en aucun cas ne peut être effective.
- Mais se pose ensuite le problème de cet État, condition d’effectuation des libertés, qui ne serait finalement qu’une manière masquée d’exercer une autre forme de violence restrictive des libertés.
- La question sera alors, en dernière partie, de se demander à quelles conditions l’État peut réellement être garant de la liberté.
Éviter les erreurs
Ce sujet est assez difficile de par sa formulation, mais aussi parce qu’il implique une bonne maîtrise de la philosophie politique. En effet, il ne s’agit pas d’opposer simplement la liberté à l’État mais de voir dans quelle mesure l’État permet d’être libre car si l’on peut être « plus libre » sans État cela signifie qu’avec l’État on l’est déjà un peu. Et il s’agit ensuite de concilier cette idée d’un État, condition de liberté, avec l’idée que l’État puisse être aussi liberticide.
Corrigé
Introduction
L’homme est un « animal politique » selon Aristote. Cela signifie que les hommes ne peuvent se réaliser en tant qu’hommes s’ils ne font pas partie d’une communauté que l’on appelle société et qui, à ce titre, est organisée en un ensemble d’institutions coordonnées (politiques, juridiques, militaires, administratives, économiques) qui assure le bon fonctionnement de la vie active des hommes entre eux. Mais si l’État a un pouvoir d’organisation sur la société, il exerce par ses lois et ses règles une limitation de leur liberté. Serions-nous plus libres sans État ?
Envisager une vie sans État c’est analyser ce que serait l’état des hommes sans aucune loi, un état de nature. Mais en supprimant la menace qu’exerce l’État sur les libertés individuelles, on imagine très vite les menaces qu’exercent les hommes entre eux sur leurs libertés réciproques. L’État, en protégeant les hommes d’eux-mêmes, serait donc garant d’une liberté certes limitée mais effective. Cependant, cette finalité de l’État en faveur d’une réalisation de la liberté ne masque-t-elle pas dans les faits la tyrannie de celui qui exercerait le « monopole de la violence légitime », selon l’expression de Max Weber ? Le problème est donc le suivant : soit l’État est considéré comme indispensable à l’effectuation de notre liberté et donc accepter que celle-ci soit restreinte est encore une façon de la sauver, soit on considère que l’État n’est qu’une manière masquée d’exercer un pouvoir de limitation sur les libertés individuelles et en ce sens la question est alors de savoir comment un État peut poursuivre sans contradiction sa finalité (assurer la liberté).
Il s’agira dans un premier temps de voir en quoi l’État est nécessaire à l’effectuation de la liberté, puis dans quelle mesure il peut abuser de son pouvoir contraignant, pour enfin s’interroger sur les conditions d’un État non liberticide.
1. L’État garantit la liberté
A. De fait, les hommes forment des sociétés régies par un État
Pour Aristote, les hommes forment tout naturellement des sociétés afin que, par un jeu de complémentarité, ils réalisent chacun ce pour quoi ils sont destinés et ce qu’ils sont en puissance. Ainsi, homme et femme, maître et esclave, vont œuvrer ensemble pour la réalisation de la communauté humaine. Cependant cette conception fait de l’homme un être qui obéit à une nature prédéterminée et c’est alors, plus tard avec l’émergence de l’idée de liberté au cœur de l’essence humaine, que l’on considère les formations des sociétés comme le produit d’un choix, d’une décision humaine. Les hommes tacitement auraient voulu s’associer et se soumettre à un État, en vue d’assurer leur sécurité.
B. Par principe, une société sans État serait vouée
à l’autodestruction
En effet, selon Hobbes, les hommes sont dotés à la fois d’une raison et d’un instinct de survie. On peut alors imaginer qu’à l’état de nature, un état où il n’y aurait pas de lois imposées par l’État, les hommes auraient une liberté infinie. Mais ces hommes très rapidement, dotés d’intérêts convergents, anticiperaient sur la menace que constitue autrui. Chacun, dépendant de sa seule force individuelle, attaquerait l’autre pour défendre ses intérêts. L’homme deviendrait « un loup pour l’homme » et l’état de nature deviendrait un état de guerre permanente. Les hommes décideraient par un calcul intéressé réciproquement de renoncer à leur liberté infinie d’user de leur force individuelle et de se soumettre ainsi à l’État et à la force publique. Ainsi l’État limite la liberté naturelle mais en échange il offre une liberté civile garantie, effective.
C. L’État ne menace pas la liberté de pensée
Dans son Traité théologico-politique, Spinoza analyse le fait que l’homme, en se soumettant aux lois de l’État, renonce à la liberté d’agir selon son propre décret, mais en cela il ne renonce pas à la liberté de penser et de s’exprimer. En assurant la sécurité, la paix civile, l’État permet aux hommes d’avoir chacun leurs propres opinions qui, même si elles divergent, peuvent et doivent s’exprimer, dans la mesure bien sûr où cette opinion n’est pas un appel passionnel à la destruction de l’État. L’homme serait donc pleinement un animal politique, parce qu’il serait d’abord un animal rationnel.
Mais l’homme, dessaisi de l’usage de sa force individuelle et donc de son pouvoir d’action, ne prend-il pas le risque de se voir soumettre à un État qui ferait mauvais usage de la force publique ? Et d’autre part, si l’homme renonce à sa liberté d’agir par lui-même, sa liberté de pensée elle-même ne risque-t-elle pas d’être inconsciemment l’expression de l’idéologie au pouvoir ?
2. L’État peut cependant abuser de son pouvoir
A. Un état social abusif serait pire qu’un état de nature
Rousseau, devant la survalorisation de l’exigence de sécurité, rétorque dans le Contrat social que, même si on « vit tranquille dans les cachots », cela ne suffit pas à s’y trouver bien. En effet, la liberté est l’essence de l’homme, et une liberté seulement pensée ne serait pas encore une véritable liberté. Or si l’absence d’obstacle peut être une condition de la liberté, ce n’est pas encore ce qui permet à l’homme d’agir selon son libre-arbitre, c’est-à-dire en étant à lui-même sa propre cause. On peut dans un régime despotique faire en sorte que les hommes ne s’agressent pas entre eux, ne soient pas une menace l’un pour l’autre, mais alors ils peuvent être confrontés à un danger bien plus important que la force individuelle d’autrui : la force publique (armée, police) contre laquelle individuellement ils ne peuvent rien, d’autant plus si l’État qui la sous-tend est injuste. En ce sens un état civil corrompu serait pire que l’état de nature et nous serions alors plus libres sans État.
B. Peut-on envisager une société sans État ?
Au risque de limitation des libertés individuelles, on peut revendiquer la création d’une société organisée sans ce qui peut être source de conflit, à savoir la propriété, et selon un principe d’association volontaire à plus petite échelle comme des mutuelles ou des coopératives. Ainsi l’idéal de l’anarchisme politique s’appuie sur le refus de tout principe extérieur d’autorité religieuse ou politique, « ni Dieu ni maître », afin de préserver les libertés individuelles dans toutes leurs dimensions (de pensée et d’action). Proudhon affirme en ce sens que « le plus haut degré d’ordre dans la société s’exprime par le plus haut degré de liberté individuelle, en un mot par l’anarchie ». Cet idéal d’une société sans État où règnerait une liberté intégrale aurait pour contrepartie de laisser les hommes régler leurs différends par la seule force physique individuelle.
C. Qui peut prétendre détenir la clef de l’organisation sociale sans risque totalitaire ?
De manière moins radicale, le marxisme, en condamnant son caractère liberticide et injuste, revendique non pas la suppression de l’État mais sa forme historique, afin que l’État ne soit plus l’expression de la classe dominante qui opprime le peuple mais celle d’une société sans classe. Mais dénoncer des lois illégitimes consiste à imposer une autre légitimité, celle de l’Histoire par exemple, qui risque de s’imposer à l’humanité dans sa totalité et à devenir soi-même un régime totalitaire. Hanna Arendt, dans Le Système totalitaire, qualifie cette « prétention » de « monstrueuse », dans la mesure où elle gomme toute possibilité de critiquer l’organisation elle-même. Fondée sur un parti unique qui s’auto-légitime, cette organisation sociale prétend faire régner la justice sur terre, au-delà même des préoccupations concrètes des individus.
Ainsi, l’État, loin de garantir la liberté comme il le prétend, peut être source de despotisme en imposant un parti, ou un seul homme, à d’autres hommes qui perdent leur liberté. Mais en voulant contourner cette menace par la suppression de l’État ou d’une de ses formes, on risque aussi d’imposer un régime totalitaire qui veut conformer l’humanité à sa vision en prétendant remonter à ses origines mêmes. Celui qui prétend éliminer l’État pour le bien de l’humanité s’érige comme seul détenteur légitime des valeurs politiques et morales. Comment alors se préserver d’un État liberticide sans risque de totalitarisme ?
3. À quelles conditions l’État peut-il être garant
de la liberté ?
A. La séparation des pouvoirs est une garantie interne
contre un État abusif
Pour se prémunir contre des abus de pouvoir ou une loi injuste à l’intérieur d’un État, on peut diviser le pouvoir pour créer un jeu de contrôle réciproque entre les différentes instances. Ainsi Montesquieu dans L’Esprit des lois, XI, 4, explique que le législatif, le judiciaire et l’exécutif doivent être séparés afin que l’équilibre des puissances soit garanti.
B. La création d’un droit international peut être un rempart
contre les excès d’un État particulier
À l’extérieur d’un État, on peut créer une instance de contrôle, qui pourrait juger des lois, selon des principes dépassant les préoccupations de la société particulière et qui seraient rattachés aux droits relatifs à une nature humaine. Ainsi, après 1945, est née la notion de crime contre l’humanité et, avec elle, l’idée d’un tribunal international qui juge au nom des Droits de l’Homme.
C. Le contrat social républicain reste un idéal de liberté définie comme autonomie
Mais ces principes ne sont valables que pour un État déjà en place. Il faut également trouver un principe qui garantisse la préservation des libertés pour la formation même de l’État. Ainsi l’État doit répondre à ce que Rousseau dans le Contrat social appelle la « volonté générale », c’est-à-dire qu’il doit être l’expression de l’intérêt général. Il doit, selon l’idéal démocratique, représenter grâce au vote ce qui correspond le mieux à l’intérêt général. Mais être capable de voter en vue de l’intérêt général nécessite aussi d’avoir eu une éducation qui éclaire la raison du citoyen.
La liberté des individus ne sera pas envisagée ici comme indépendance ou absence d’obstacle mais comme autonomie, c’est-à-dire capacité à se donner à soi-même sa propre loi, par le biais des instances représentatives. Ce n’est alors que parce que les hommes obéiront aux lois qu’ils n’obéiront pas aux hommes, et qu’ils seront préservés de toutes formes de soumission à des maîtres. Le contrat social ne peut être, comme l’entendait Hobbes, un pacte de soumission, il doit être selon Rousseau un pacte d’association.
Ainsi, pour éviter que l’État ne soit liberticide, on peut exiger certains principes comme la séparation des pouvoirs, le regard d’une instance internationale et, à la base de sa création, la possibilité de représenter l’intérêt général.
Conclusion
Dans son essence, l’État doit, en assurant la sécurité des individus, permettre de rendre leur liberté effective. Cependant, un État sous couvert de faire le bien des hommes peut en réalité faire l’inverse et, soit par son despotisme affiché ou dissimulé, soit par son totalitarisme, être liberticide. Mais l’État étant nécessaire à la sécurité même des hommes, sa suppression semble impossible.
Reste alors à définir des principes permettant à l’État de tendre historiquement vers plus de liberté, principes tels que la séparation de pouvoir ou l’idéal démocratique, mais principes qui doivent être constamment affinés afin de les adapter à l’état des sociétés en perpétuelle évolution.
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