2022, les démarcheurs qui appellent encore parfois vos grands-mères le dimanche à midi pile sont en voie de disparition. La vente de biens inutiles aux consommateurs trop crédules et facilement manipulables sera bientôt morte. À d’autres temps, d’autres mœurs ? Nous dirions plutôt que dans le domaine de la manipulation marketing, le procédé s’est transformé avec les moyens du bord. Pour le pire, et seulement le pire.
Il y a dans l’un des premiers chœurs de l’Antigone de Sophocle une phrase que bien des amateurs d’antiques lettres connaissent : « Il est bien des choses merveilleuses en ce monde, mais rien n’est plus merveilleux que l’homme. » Tel est le choix courant des traducteurs, mais l’helléniste remarquera sans mal que le terme employé pour dire « merveille » fait partie de ces perles grecques qui pouvaient, dans un même terme, donner deux orientations opposées. Deinon, l’adjectif signifie aussi bien « merveilleux » que « terrible » et c’est précisément cette dualité qui a fait de cette phrase somme toute banale un élément de réflexion fécond et toujours actuel. En un vers, Sophocle saisit toute l’ambiguïté de ce que l’on appellera plus tard le progrès : l’homme peut faire tout et son contraire, et rarement parviendra-t-il a la neutralité dans ses actes.
« Qu’est-ce qui pourrait être pire que de vendre des produits plus chers à un public choisi pour sa réceptivité aux manipulations du marketing ? Esquissons une réponse : vendre du vent. »
Si nous avons trouvé bon d’introduire cet article par ce petit rappel à la croisée de la philologie et de la philosophie des sciences, c’est que le bon Sophocle, il y a plusieurs millénaires, avait vu parfaitement juste sur la relation qu’entretiennent les hommes avec les outils qu’ils créent. Comme le silex qui permit un jour le feu et la lance, la chaleur et le meurtre, l’outil complexe à la démesure de l’homme qu’on appelle le web est vecteur du meilleur comme du pire. En tant qu’outil, fêtant d’ailleurs il y a peu ses bougies de l’âge adulte, il est en lui-même d’une neutralité profonde. Mais voilà, si bien des âmes en feront une merveille technique au service de l’humanité, les terribles n’auront pas attendu bien longtemps pour répandre leur fiel sur les minces fils de la toile, prenant au piège l’araignée malade.
Revenons alors à nos vendeurs téléphoniques d’argenterie, de gaz à des prix exorbitants camouflés derrière des statistiques trompeuses, ou de bouteilles de vin en pack de 100. Leurs cibles étaient évidemment des personnes peu informées (qui n’avaient pas internet, CQFD), facilement influençables et qui n’auraient pas les moyens de se convaincre d’une imposture — et, a fortiori, encore moins de convaincre la justice, qui verrait dans les faits une transaction en règle. Qu’est-ce qui pourrait alors être pire que de vendre des produits plus chers à un public choisi pour sa réceptivité aux manipulations du marketing ? Esquissons une réponse : vendre du vent, à des personnes en situation de précarité, pour des sommes considérables. Bienvenue dans le monde de la formation motivation, du coaching séduction, du conseil get rich quick, bref : des nouvelles pratiques du marketing de réseau.
Au commencement était la verve
« Halte là ! La pratique n’est pas nouvelle ! », pourriez-vous déjà objecter — et vous auriez raison. Le marketing de réseau est né aux États-Unis d’Amérique autour des années 1980, profitant de l’essor d’un produit facilement distribuable et peu onéreux à produire : la VHS. Les premiers coachs en motivation ou en développement personnel prenaient leur petite mallette pleine de cassettes, faisaient le tour des petites bourgades rurales des États-Unis et proposaient aux badauds de vivre le rêve américain pour de vrai : grâce à cette formation vidéo, tout le monde pourrait devenir riche, très vite. Le mécanisme était alors très simple : vous achetiez plusieurs cassettes, regardiez le contenu qui donnait les bases superficielles des techniques de vente en porte-à-porte et par un système d’affiliation, vous répandiez la bonne parole de votre initiateur. Une fois votre réputation faite, si tout se passait bien, c’était à votre tour d’enregistrer votre cassette et de créer des disciples-vendeurs. Le marketing de réseau, auto-reproductif par essence, était né.
« Les épiciers du rêve espèrent avoir devant eux quelques longues années encore avant que les médias, l’opinion publique ou la loi ne les rattrapent. »
On se doute donc bien de la suite : vu qu’il est très simple aujourd’hui de construire un site sommaire, d’enregistrer une vidéo et de la rendre publique via une plate-forme d’hébergement, on ne pouvait qu’imaginer que cette discipline viendrait polluer les eaux d’internet. Cela n’a pas manqué, et chaque internaute habitué au surf est un jour tombé sur une publicité lui affirmant qu’il allait pouvoir arrêter son boulot d’intérim payé moins que le SMIC et, sans travailler outre mesure et même sans diplôme, emmagasiner des salaires avec quatre zéros. Ce n’est pas qu’une impression : si vous êtes attentifs aux encarts publicitaires du web français, vous remarquerez que cette pratique devient une tendance.
Mais aux États-Unis alors ? Eh bien si l’on parvient souvent à importer rapidement le mauvais goût depuis l’autre rive de l’Atlantique, la critique, elle, met bien plus de temps à traverser l’océan. Depuis plusieurs années déjà, ces vendeurs de rêve, argent, amour ou bien-être, sont démontés par des associations de consommateurs. La prévention existe, les médias spécialisés ou non ont fait assez de bruit et d’enquêtes pour mettre au jour les manigances de ces énergumènes. Même Paypal, plate-forme de paiement en ligne très largement utilisée au départ, a ajouté dans ses conditions d’utilisation qu’un compte faisant transiter de l’argent qui viendrait de formations de type get rich quick serait suspendu sans préavis. Du coup, même si l’activité existe encore, on peut dire qu’elle s’est tassée. Chez nous, en revanche, elle débute à peine et les épiciers du rêve espèrent avoir devant eux quelques longues années encore avant que les médias, l’opinion publique ou la loi ne les rattrapent.
Et pourtant déjà, des voix tentent péniblement de s’élever dans le brouhaha de l’information. Nous avons rencontré Baptiste Fluzin, au détour de nos recherches pour constituer cet article, qui, depuis quelques années déjà, tente non sans encombres de mettre des bâtons dans les roues de ces pratiques. Non sans encombres puisque, même s’il a accepté de témoigner pour nous, sous sa véritable identité, il est aujourd’hui en procès pour une diffamation fondée sur un precium doloris de 80 000 €, procès intenté par l’un des pionniers du coaching à la française.
Après plusieurs mois d’enquête, il a pu redéfinir ce que le marketing de réseau était devenu à l’heure du web : « Aujourd’hui, le marketing de réseau consiste à se créer un réseau pour ensuite accroître rapidement sa notoriété sur le web et sur la base de cette notoriété, vendre des produits, typiquement du coaching ou des formations en vidéo à des personnes qui n’ont pas confiance en elles ou qui cherchent des sources complémentaires de revenu. Pour ce dernier cas, ce sont souvent des formations “ devenez riches rapidement ”, “ faites 2000 euros par semaine en travaillant deux heures” etc. Très souvent les gens qui tombent là-dedans ont de gros problèmes de santé, ont eu des accidents de la route, ont des frais quotidiens importants et donc cherchent des moyens de gagner des revenus supplémentaires depuis leur domicile. »
Argent rapide, amour, confiance en soi : voilà donc ce que met toujours en avant cette nouvelle évolution des marchands ambulants des années 1980. Mais alors, que proposent-ils, globalement, pour que cela puisse au minimum susciter l’intérêt du client potentiel ? Comment font-ils pour gagner la confiance de leur lectorat ? Qui sont-ils, en somme, pour prétendre avoir décodé les clefs du marketing simple — et de la vie heureuse ? « Ce sont des formations qui restent très en surface, nous dit Baptiste. J’avais été très choqué qu’un site comme Presse-Citron fasse la promo d’un de ces coachs : le fondateur s’était retrouvé sous le feu des critiques de ses propres lecteurs, choqués aussi. Il avait répondu dans les commentaires quelque chose de très juste (avant de faire amende honorable) : au final, ces formations s’adressent à des personnes parfaitement néophytes. Elles n’apprennent qu’à créer un blog, à le référencer et à le monétiser. Ces coachs sont très jeunes et ne sont pas reconnus dans les communautés de développeurs ou de professionnels, on peut même dire qu’ils sont des inconnus notoires : s’ils avaient quelque chose de réel à apporter, cela se saurait en dehors de leur petite sphère. »
Little Miss Marketing
Sous ses airs de feel-good movie idéal pour tirer une larme partagée entre la joie et la tristesse un dimanche soir d’automne, Little Miss Sunshine est peut-être l’un des premiers films grand public à montrer le vrai visage du marketing de réseau appliqué au coaching motivation. Si vous avez vu le film et que vous êtes arrivés jusqu’à cet encadré, vous n’aurez pas manqué de reconnaître la figure du père de famille, véritable enflure pédante et orgueilleuse. Petit à petit, les réalisateurs vont montrer que cet homme, comme beaucoup d’autres, a été simplement berné par les influents du milieu, qui lui ont promis monts et merveilles pour l’écriture d’un livre sur le développement personnel… qu’il a lui-même appris une première fois en suivant ce type de formation.
Mais la critique, bien dissimulée et finalement très habile, ne s’arrête pas là puisque le film s’attarde aussi sur les victimes : un vieillard proche de la mort, un adulte dépressif, un adolescent perturbé, une petite fille mal dans sa peau, une mère de famille surmenée… et ruinée. La grosse différence entre la fiction et la réalité, c’est que dans le film de Jonathan Dayton et Valerie Faris, toutes ces victimes idéales sont présentées sous l’angle de la résistance. Aucune d’entre elles ne se laisse berner par les discours du père et les vagues promesses qu’il reçoit de ses partenaires. C’est comme si on avait, dans le cadre du film, déjà dépassé le stade de la dénonciation : les protagonistes ne sont plus dupes.
Miroir d’une réalité culturelle ? Cela se pourrait : aux États-Unis, le phénomène, plus ancien, est bien connu et il est donc devenu naturel de porter un regard critique à son égard. Sorti en 2006 et massivement diffusé dans nos salles obscures, Little Miss Sunshine n’aura donc pas suffi à décourager nos coachs français et à rendre nos concitoyens plus avertis.
Et le rapport entre motivation, création de blog-entreprise et séduction alors ? Car qu’on ne se leurre pas : ce sont les mêmes qui prétendent pouvoir donner les clefs de tous ces domaines, entrepreneurs de jour, séducteurs de nuit. « Ce sont des secteurs où il est simple de vendre du vent. Si la personne que tu coaches en séduction n’arrive pas à ses fins, tu peux trouver un prétexte pour dire que la nana n’était pas la bonne, qu’elle n’a pas été abordée comme il fallait. Côté motivation, il suffit de dire qu’au fond de lui, le client n’était pas motivé. Il est très dur, à la fin d’une de ces formations, d’évaluer de façon rationnelle l’apport de la formation. Souvent, ils expliquent qu’ils n’ont pas fait d’étude, pour affirmer le côté self-made man. Ils ont sûrement été clients de ces techniques avant de finir par s’imposer comme étant eux-mêmes les participants actifs de ces communautés. » Et c’est bien ce qui caractérise le mieux le marketing de réseau : tout cela, pour ceux qui réussissent bien entendu, une infime minorité, tourne en vase clos. Le génie du capitalisme qui se mord la queue : enfin nous avons trouvé le moyen de vendre une manière de vendre !
Tous ces éléments assemblés demandent une gymnastique qui montre bien la mauvaise foi des auteurs : ils essaient en même temps de ne pas faire de vague et de passer dans les moteurs de recherche pour des gens connus et reconnus. Le marketing de réseau n’est pas extensif et ne veut pas s’étendre, précisément parce qu’en-dehors de son champ d’action, il n’a pas d’emprise, pas de clef à donner pour réussir, pas de formation objectivement bonne à fournir qui pourrait subir une critique objective et rationnelle.
En tant qu’outil, internet n’est donc pas à blâmer : le réseau a été la prolongation de ce type d’offres qui existaient déjà — aujourd’hui encore, en librairie, on trouve des rayons entiers dédiés au développement personnel qui sont de cet acabit. La différence est pourtant frappante même si la vacuité des formations est similaire : un livre coûte au pire une trentaine d’euros. Une formation vidéo, elle, tourne autour de 2000 €. De plus, après avoir mis un pied dans le système, confirme Baptiste, « les coachs vont chercher à presser le citron : une fois dans leur mailing-list, c’est fichu, ils vont s’acharner« . « Grâce aux affiliations, si l’on est dans le filet d’un mec, on peut potentiellement se retrouver dans le filet de tous les autres. » Un livre ne viendra pas vous demander d’acheter le bouquin de ses partenaires, au pire finira-t-il comme cale meuble.
De l’entreprise à la thug-life
Tout cela semble trop gros pour fonctionner, n’est-ce pas ? C’est bien là que le bât blesse, car comme toute méthode commerciale dénuée de la moindre éthique, le marketing de réseau a plusieurs boucliers pour arrêter les épées de la loi, du journalisme ou de la class action. La première, c’est la sélection minutieuse des cibles potentielles. Non, on n’écrira pas pour vous le numéro de votre carte bleue sur le formulaire de paiement, mais comme nous l’avons déjà évoqué, les cibles de ces formations ne sont pas les internautes moyens.
Bien plutôt, il s’agira de harponner des personnes en situation de détresse financière, physique ou psychologique. Parfois les trois à la fois, comme le précise notre interlocuteur : « le but n’est pas d’enfoncer les gens, mais de leur vider les poches« . « Après mon appel à témoins, j’ai eu des contacts avec une personne accidentée de la route, une autre personne avait eu une sclérose en plaques. Avant d’en avoir la confirmation, je le supputais : pour tomber là-dedans, il faut avoir une fragilité qui n’a rien à voir avec les capacités intellectuelles — avocats aguerris et doctorants en littérature ont pu se laisser tenter. Quand on se retrouve bloqué chez soi à la suite d’un accident grave, on est affaibli et dans une détresse financière qui peut parfois pousser à tenter des expériences que l’on ne tenterait pas en temps normal. » À formation irrationnelle, public qui manque, non pas de raison, mais de raisons d’être raisonnable. Et après coup, ces personnes entrent dans une spirale de culpabilité ou de détresse encore plus grande : soit ils arrêtent la formation après un échec et ont perdu de l’argent en se sentant coupable de s’être laissés floués ; soit ils marchent encore un peu plus, pensent que la réussite viendra avec un nouveau pack et repassent à la caisse. Les rares qui réussissent deviennent à leur tour des coachs utilisant les mêmes techniques de ciblage : la boucle est bouclée.
L’objectivité et la loi ne nous autorisent pourtant pas à qualifier la pratique d’arnaque ou d’abus de faiblesse : cela serait de la diffamation. D’ailleurs, malins, les coachs proposent toujours de rembourser les formations, sous des conditions strictes, en cas de non-satisfaction. La culpabilité déjà évoquée et la fragilité des clients participent à l’immunité actuelle de la pratique : les clients n’osent pas se plaindre et n’ont clairement plus les moyens pour entamer une action en justice longue et coûteuse. Car de leur côté, une fois les premières rentrées d’argent encaissées, les coachs se blindent : la moindre accusation sera repérée, un fouineur trop informé sera mis systématiquement en demeure — pour atteindre des procès demandant des sommes considérables en réparation. Dès lors, remettre en cause tout ce système devient une entreprise périlleuse, pour ne pas dire impossible.
Cibles fragiles et appauvries, service juridique qu’aucun particulier dans une situation de précarité n’osera attaquer : il ne manque presque rien pour continuer à faire prospérer un business sale et s’inscrivant dans le mépris de l’autre. Preuve d’une malhonnêteté latente et de leur absence de déontologie, les coachs cessent en fait très vite, une fois l’argent entré en quantité suffisante, de faire le travail qui leur a permis de gagner en crédibilité (la traduction et le résumé de livres anglo-saxons ou l’enrichissement des blogs servant de sources de rentes) : « Très rapidement, ces gens sous-traitent ce qui les ennuie : ils ont des blogs qu’ils n’écrivent pas, ils font des vidéos mais ne font pas le montage. Il y a trois semaines, l’un d’eux a posté une annonce en disant qu’il ne voulait plus résumer les bouquins qu’il vend : il cherche donc quelqu’un pour les lire et les résumer à sa place. Du coup, on imagine aussi que les 4 heures de travail par semaine promises sont un mensonge : au lancement de leurs produits, ces gars doivent passer 15 heures par jour devant leurs écrans. Dès qu’ils ont des entrées d’argent, leur but est de générer des revenus passifs et de transformer le tout en rente. » Elle est belle, la semaine de quatre heures, quand tout le boulot de production au sens propre est effectivement délégué à des ouailles non-déclarées et sous-payées.
« Les coachs feront tout pour que les clients ne se sentent pas victimes et ne cherchent pas à déstabiliser le flot tranquille des transferts virtuels d’argent bien réel. »
Et si l’on imagine un jour une prise de conscience des clients floués, que se passerait-t-il ? D’après Baptiste, les leaders seront déjà loin. En fait, le mouvement a déjà commencé à quitter la France : au croisement d’un Gérard Depardieu et d’un Kim Dotcom, les coachs assument parfaitement un exil fiscal à venir, dans une thug-attitude parfois pleinement revendiquée. Où seront-ils quand le couperet de la justice tombera ? Leur paradis auto-proclamé : la Thaïlande. « Beaucoup y partent. Certains revendiquent sans honte sur leur blog que c’est pour échapper à l’impôt. Ils génèrent des revenus qui ne sont pas forcément stockés sur des banques françaises. Puisque Paypal refuse les paiements pour ce type de procédé, ils utilisent désormais Clickbank (une plate-forme d’affiliation située aux États-Unis qui permet d’entreposer des fonds, NDLR). L’un d’entre eux n’hésite pas à montrer en vidéo ses relevés Clickbank : s’il fait ça, il doit les déclarer, cela serait très bête de chercher à évader les impôts dans ces conditions. D’autres sont beaucoup plus discrets. Mais définitivement, les pires sont désormais établis en Thaïlande. »
Peut-on hiérarchiser les individus malhonnêtes ? Quand on s’attaque au marketing de réseau, la réponse est affirmative : quand on pensait avoir touché le fond de l’immoralité, certains creusent encore le sol de l’irrespect. En Thaïlande, certaines villes deviennent des points de regroupement pour les Français qui tendent alors à se regrouper pour former des communautés d’exilés. L’un d’eux, très connu dans le milieu, avait même ouvert un blog pour raconter sa nouvelle vie : « En six mois de vie là-bas, il racontait comment il allait niquer des filles pour pas un rond, qu’il embauchait des gens et les virait trois jours après parce que c’étaient des glandeurs, bref, l’impression malsaine d’être sur le blog d’un néo-colon. Il s’est marié avec une nana là-bas, il a fait un gosse et la nana vit désormais dans une autre baraque : ça l’emmerde de vivre avec elle. Quand elle vient, elle a une chambre à part avec le gamin. Il raconte tout ça publiquement, sans aucune honte. Il assume tout à fait ce mode de vie, il en a fait un argument de vente. » Motivation et séduction, tout ça pour mener une vie de gangster à l’étranger, dans l’irrespect total de l’être humain, voilà un plan d’avenir qui devrait faire rêver les jeunes en mal de CDI.
Au terme de cet article, une question demeure : pourquoi avons-nous pris le temps de creuser ce marché ? Pourquoi avons-nous rencontré Baptiste, pourquoi avons-nous écumé les tréfonds de la toile pour écrire la somme de nos recherches et transmettre nos conclusions ? Nous avons esquissé une réponse en introduction : le marketing de réseau est malheureusement peu connu en France et commence à peine à faire des dégâts. La presse ne s’y intéresse que peu, la justice n’est pas saisie — et peut-être tombera-t-elle encore dans l’un de ses travers : quand il est question d’activité numérique, les textes de loi ne sont pas toujours adaptés. Peut-être qu’au regard de la loi, aucune de ces activités ne pourra être, dans l’immédiat, considérée comme une véritable fraude, comme un mal profond qui gangrène les bas-fonds d’internet et touche des individus qui auraient besoin au contraire d’une plus grande protection.
Il nous a donc semblé nécessaire et urgent d’ouvrir une voie à la critique. Si nous avons seulement permis à des clients potentiels de s’informer, à des juristes de creuser le sujet pour l’enrailler au moyen de la loi ou à des associations de consommateurs de lancer des campagnes de prévention, nous aurons, nous le pensons, joué notre rôle. Contrairement à notre interlocuteur qui a aiguillé nos recherches et a collaboré à la constitution de ces paragraphes, nous avons décidé de ne pas nommer directement dans le corps de l’article les leaders de ce marché peu recommandable en France : la définition de leur mode opératoire que nous avons tenté d’esquisser devrait suffire à les repérer.
Enfin, le facteur technologique que nous évoquions d’emblée pour contextualiser ces recherches n’est pas à prendre à la légère : internet n’a pas créé ces vautours qui agissent dans l’ombre depuis les années 1980, mais la complexité et la prolifération du réseau à l’échelle mondiale, la puissance décuplée de l’affiliation grâce au numérique et les moyens de se protéger en opérant depuis des pays où la législation est faible ont transformé un tour de passe-passe mercantile en une véritable industrie. Il ne reste alors qu’un énorme travail juridique à fournir qui pourrait permettre de qualifier le marketing de réseau de vente pyramidale, pratique condamnée en France : comme nous avons tenté de le montrer, les coachs feront tout pour que les clients ne se sentent pas victimes et ne cherchent pas à déstabiliser le flot tranquille des transferts virtuels d’argent bien réel.