Dissertation
Faut-il préférer la raison à l’imagination ?
Analyser les termes du sujet
La raison
La raison est la faculté de distinguer le vrai et le faux, associée à la recherche de la vérité, ainsi qu’à la tentative de prouver chaque proposition que l’on tient pour vraie.
L’imagination
L’imagination est la capacité à former des images qui peuvent s’affranchir de toute correspondance à la réalité.
Préférer
Ce verbe suppose une rivalité entre ces deux facultés. Cela implique de définir un critère qui permette de les comparer.
Dégager la problématique
Construire un plan
Corrigé
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
[Reformulation du sujet] Voltaire attribue à Malebranche une formule comprise comme une critique de l’imagination : l’imagination serait « la folle du logis », qui empêche l’homme d’user correctement de sa raison. Il s’agirait donc d’apprendre à préférer la raison, malgré notre penchant naturel à fabriquer des images. [Problématique] Pourtant, peut-on se contenter de cette définition négative de l’imagination et s’en tenir à une défense, aussi bien théorique que pratique, de la raison ? [Annonce du plan] Nous montrerons tout d’abord que la raison permet d’atteindre la vérité et le bonheur plus facilement que l’imagination. Ensuite, nous réviserons cette conception négative de l’imagination pour en montrer la dimension créative. Nous montrerons enfin la complémentarité de la raison et de l’imagination.
1. Le primat de la raison sur l’imagination
A. Deux facultés différentes
Raison et imagination sont toutes les deux des facultés de l’esprit. Autrement dit, elles renvoient à des capacités intellectuelles qui permettent au sujet d’appréhender le réel. Elles ne sont pas les seules facultés de l’esprit : la sensibilité, la mémoire sont d’autres facultés qui nous permettent de nous rapporter au monde.
Mais raison et imagination se distinguent sur deux aspects. Premièrement, la raison semble attachée à connaître le réel tel qu’il est, tandis que l’imagination semble plutôt s’affranchir des bornes étroites du réel pour fabriquer de nouvelles images. Par exemple, c’est par la raison que je chercherais à connaître la composition chimique de l’or, mais par l’imagination que je pourrais imaginer une ville entièrement faite d’or. Deuxièmement, la raison implique de suivre des règles strictes qui permettent à la pensée de rester dans le vrai, quand l’imagination implique une forme de liberté. Dès lors, quel rapport au réel est préférable ?
B. La supériorité de la raison
Traditionnellement, on considère que la raison est une faculté maîtresse en ce qu’elle permet d’accéder à la vérité et au bonheur. À l’inverse, l’imagination serait dangereuse en ce qu’elle conduirait à l’illusion. Le personnage de Don Quichotte, prenant des moulins pour des géants à force de lire des romans de chevalerie, témoigne des dangers de l’imagination.
Sénèque montre que le jugement droit, permis par la raison, nous conduit au bonheur. Au contraire, l’imagination nous fait donner de la valeur à ce qui n’en a pas. Dès lors, elle fait notre malheur : nous craignons ou espérons des biens sans importance pour notre bonheur. La connaissance de la vérité par la raison permet donc d’éviter des maux illusoires. La raison doit discipliner les autres facultés, suspectées de pousser l’homme à l’excès.
[Transition] Le primat accordé à la raison repose sur une conception négative de l’imagination, comprise comme fantaisie qui nous éloigne du réel. Pourtant, on peut concevoir l’imagination de façon plus positive.
2. Faut-il toujours se méfier de l’imagination ?
A. Les effets positifs de l’imagination
Dans ses Pensées, Pascal approfondit l’opposition entre la raison et l’imagination. Certes l’imagination, « superbe puissance ennemie de la raison », peut conduire l’homme à l’erreur. Qu’on place une planche entre les deux tours de Notre-Dame, même le philosophe le plus raisonnable, sachant que la planche est suffisamment solide, aura peur d’y marcher, car il imaginera les conséquences de sa chute. Mais cette faculté a aussi des effets qui ont de la valeur.
D’abord, l’imagination conduirait plus facilement au bonheur que la raison : « Elle ne peut rendre sages les fous, mais elle les rend heureux, à l’envi de la raison, qui ne peut rendre ses amis que misérables ». La lucidité conduirait au malheur, là où l’imagination associée à la folie pourrait nous rendre malgré tout heureux.
Elle est aussi pour Pascal au fondement de l’ordre social. Pascal prend l’exemple des costumes des magistrats et des symboles utilisés au tribunal, qui impressionnent l’imagination des hommes de telle sorte qu’ils accordent une valeur plus grande à la justice. Ainsi, sans nier le fait que l’imagination peut nous détourner de la vérité, il souligne ses avantages, qu’il convient de prendre en considération.
B. Art et imagination
L’imagination revêt également une dimension créatrice. Contrairement à la raison, elle semble nous éloigner du réel. Mais cet écart ne doit pas toujours être associé à l’illusion, il peut aussi être fécond. Le cas de l’artiste est ainsi révélateur : par son imagination, il donne à voir de nouvelles formes expressives qui peuvent émouvoir le spectateur. Ainsi, pour Baudelaire, l’imagination est la « reine des facultés » : elle permet de créer un monde nouveau qui ne se limite pas à la nature.
Baudelaire va plus loin, ne réservant pas l’usage de l’imagination à l’artiste. Tout homme doit savoir faire preuve d’imagination. Le diplomate doit imaginer les traités à venir, sans s’en tenir à ce que la raison lui dicte. Même le scientifique en a besoin pour formuler de nouvelles théories et inventer de nouveaux concepts, de telle sorte que « l’imagination est la reine du vrai ».
[Transition] Ne vaut-il pas mieux valoriser l’imagination plutôt que la raison ?
3. Raison et imagination : deux facultés complémentaires
A. Revoir les définitions de la raison et de l’imagination
L’analyse précédente nous montre qu’il peut être stérile de chercher à établir une hiérarchie entre raison et imagination, au lieu d’en montrer la complémentarité. Ainsi, par exemple, l’imagination permet de formuler des hypothèses qui pourront par la suite être vérifiées par la raison dans le cadre d’une démarche expérimentale.
L’imagination ne nous éloigne pas nécessairement du réel. Elle peut aussi être comprise comme un moyen d’accéder au réel et de l’envisager sous des rapports variés. De même, la raison n’est pas simplement l’application de règles formelles strictes : elle implique imagination et inventivité.
B. Un dialogue créateur
Bachelard insiste sur l’ambiguïté de l’imagination. Les productions de l’imagination sont des obstacles épistémologiques. Mais l’imagination est une étape nécessaire de la formation du savoir, car elle implique un effort permanent du savant pour s’en déprendre.
Préférer la raison à l’imagination ne signifie donc pas rejeter l’imagination comme une faculté inutile voire nuisible. Cela implique bien plutôt d’en saisir la spécificité, sans confondre les domaines d’application des deux facultés. L’imagination a bien une force créatrice dans laquelle la raison doit puiser, sans se laisser porter par ses séductions.
Conclusion
Préférer la raison à l’imagination ne doit pas conduire à sacrifier l’une de ces deux facultés au profit de l’autre. Tout au contraire, il convient de cerner leur spécificité pour faire de leur différence une tension créatrice : l’imagination permet à la raison de se dépasser, quand la raison discipline l’imagination. Cette thèse implique de dépasser l’opposition entre art et science, dans la mesure où toutes nos facultés concourent à la créativité de l’esprit.