France métropolitaine • Juin 2019
dissertation • Série S
La pluralité des cultures fait-elle obstacle à l’unité du genre humain ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
La pluralité des cultures
Chaque culture se définit comme un ensemble de pratiques et de représentations propres à une société historiquement et géographiquement définie. Les cultures sont plurielles en ce sens que le mode de vie, les valeurs, les normes juridiques ou esthétiques qui les caractérisent les différencient des autres.
Faire obstacle
Faire obstacle signifie empêcher, rendre une chose impossible, s’interposer entre deux choses.
L’unité du genre humain
Le genre désigne un groupe rassemblant des êtres ayant des caractéristiques communes. On parle ordinairement de l’espèce humaine, qui serait un groupe particulier à l’intérieur du genre animal : l’expression de « genre humain » renvoie ici à une définition biologique de l’homme et souligne l’unité au sens de l’identité des hommes sous un certain rapport (la seule espèce humaine qui existe aujourd’hui est l’homo sapiens). Mais l’unité désigne aussi le fait d’être unis.
Dégager la problématique et construire un plan
La problématique
Le fait que chaque culture soit particulière, différente des autres, nous empêche-t-il de penser des propriétés universelles de l’humanité qui pourraient assurer notre cohésion, ou bien faut-il considérer les différences culturelles comme secondes au regard de notre humanité commune ?
Le plan
Dans un premier temps, on pourrait penser que la pluralité des cultures nous divise : différents, voire opposés, que pouvons-nous bien avoir en commun ?
Pourtant, nos identités particulières sont-elles déterminantes à ce point qu’elles relèguent au second plan notre appartenance commune à l’humanité tout entière ?
Nous verrons enfin en quoi, loin d’être un obstacle à l’unité du genre humain, les différences culturelles fondent notre humanité.
Éviter les erreurs
L’énoncé du sujet est particulièrement long, mais vous devez bien penser à en définir chaque terme.
Corrigé
Corrigé
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
Le fait qu’il existe une multiplicité de cultures différentes entre-t-il en contradiction avec l’idée d’une unité de l’humanité ? De fait, des revendications identitaires ou des incompréhensions nous opposent souvent. Mais les différences culturelles nous autorisent-elles à ne plus reconnaître notre humanité commune ? Une culture désigne un système de pratiques et de représentations propres à une société historiquement et géographiquement définie : notre mode de vie, nos valeurs, nos normes juridiques ou esthétiques nous distinguent. Faire obstacle signifie empêcher, rendre une chose impossible, s’interposer entre deux choses. L’expression de « genre humain » renvoie à une définition biologique de l’homme et souligne l’unité ou identité des hommes sous un certain rapport. Mais en quoi résiderait cette unité ? Nos particularités nous autorisent-elles à penser une division de l’humanité, voire une hiérarchie des cultures, ou bien faut-il considérer les différences culturelles comme secondes au regard de notre humanité ?
1. La pluralité des cultures fait obstacle à l’unité du genre humain
A. Les différences culturelles nous empêchent de nous unir
Dans un premier temps, on peut penser le fait même de la pluralité culturelle comme un éparpillement, une dispersion des hommes. Dans le livre de la Genèse, la pluralité des langues apparaît ainsi comme l’effet d’un châtiment par lequel Dieu fait obstacle à l’union et au rêve de toute-puissance des hommes : « Et l’Éternel dit : Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c’est là ce qu’ils ont entrepris ; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu’ils auraient projeté. Allons ! descendons, et là confondons leur langage, afin qu’ils n’entendent plus la langue, les uns des autres ». Le mythe de Babel fait de la confusion des langues l’outil même d’une division des hommes : plongés dans l’incompréhension mutuelle, ils ne peuvent plus prétendre à l’union.
B. L’humanité est une idée neuve
Par ailleurs, on pourrait penser que nos différences de langues, de valeurs, de normes esthétiques ou juridiques, font obstacle à toute reconnaissance mutuelle. Saisir de l’autre ce par quoi il diffère de moi et non ce en quoi il me ressemble me conduirait alors à nier le fait même de la diversité culturelle et à établir une distinction entre celui qui me ressemble et celui qui, différent de moi, serait hors-culture. Cette tendance à « répudier purement et simplement les formes culturelles morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions », dit Lévi-Strauss dans Race et Histoire, explique que l’Antiquité ait pu mettre au ban de l’humanité les « Barbares » définis par leur non-appartenance à la culture grecque, comme l’Occident rejettera plus tard les « sauvages » dans l’animalité. L’idée d’humanité, remarque-t-il, « englobant, sans distinction de race ou de civilisation, toutes les formes de l’espèce humaine », est une notion récente et relativement peu assurée qui s’impose contre cette tendance archaïque à ne juger humains que ceux qui vivent comme nous.
[Transition] Mais l’unité du genre humain passe-t-elle nécessairement par la disqualification des autres cultures ? Nos particularités culturelles nous empêchent-elles vraiment de reconnaître l’humanité en l’autre ?
2. La pluralité culturelle n’empêche pas l’unité du genre humain
A. L’unité n’est pas l’unicité
De fait, on ne voit pas pourquoi l’union du genre humain impliquerait l’unicité de la culture. La diversité culturelle est un fait, et c’est bien notre tendance à nous croire seul modèle culturel possible qui nous pousse à évaluer les autres cultures d’après les critères de la nôtre, jugeant de l’état d’avancement d’une culture selon le critère que nous valorisons implicitement. Dans sa critique de l’ethnocentrisme, Lévi-Strauss souligne que les divisions et les hiérarchies entre les cultures, comme le rejet de certaines cultures hors de l’humanité, obéissent précisément à une croyance en l’unicité de la culture, « à tel point qu’un grand nombre de populations dites primitives se désignent d’un nom qui signifie les “hommes” (ou parfois dirons-nous avec plus de discrétion “les bons”, “les excellents”, “les complets”), impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus ou même de la nature humaine, mais sont tout au plus composés de “mauvais”, de “méchants”, de “singes de terre” ou “d’œufs de pou” ». Si des conflits nous opposent, ne reposent-ils pas sur une fausse croyance en l’unicité de la culture plus que sur une incapacité à nous comprendre ?
B. L’humanité est une multitude
Le fait que nous soyons tous des hommes et que nous ayons à reconnaître qu’il y a de multiples manières de vivre comme un homme nous invite au contraire à penser l’humanité comme une multitude, une pluralité, plus que comme une unité. Autrement dit, aucune culture ne peut se donner pour absolue, aucune ne peut prétendre absorber ou servir de référence aux autres. Dans Tristes Tropiques, Lévi-Strauss observe que si nous ne mangeons pas nos ennemis comme les cannibales que nous réprouvons tant, nous nous autorisons pourtant à les « vomir » en les tenant isolés temporairement ou définitivement, ce qu’aucune société dite primitive ne fait. Pouvons-nous vraiment « croire que nous avons accompli un grand progrès spirituel parce que, plutôt que de consommer quelques-uns de nos semblables, nous préférons les mutiler physiquement et moralement » ? De fait, celui qui diffère de moi est pourtant mon égal : il fait partie comme moi de cette pluralité qu’est l’humanité.
info
La distinction identité / égalité / différence est un repère de votre programme. L’identité désigne l’égalité en tout point ; l’égalité caractérise des choses qui ont des éléments communs.
[Transition] Mais si toutes les cultures sont différentes et égales, n’est-ce pas avant tout parce qu’elles sont la preuve de notre humanité commune ?
3. La diversité culturelle constitue l’humanité
A. La diversité des cultures prouve notre humanité
info
La distinction universel / particulier est un repère de votre programme. Ce qui est universel est ce qui n’autorise aucune exception ; ce qui est particulier est ce qui n’est valable que dans certains cas.
Si nos cultures semblent nous distinguer, il n’en reste pas moins que la diversité des cultures est une caractéristique humaine universelle : alors que les animaux d’une même espèce ont des mœurs très proches, l’homme se caractérise par sa capacité à diversifier ses modes de vie. Comme le souligne Rousseau dans le Discours sur l’origine et les fondements des inégalités parmi les hommes, ce qui définit l’homme est sa « perfectibilité », sa capacité à se perfectionner en conservant et en accumulant ce qu’il a acquis au niveau individuel et collectif. Notre humanité même tient à notre pouvoir de créer des langues, des outils, des religions, des œuvres d’art, et de transmettre ce patrimoine aux générations suivantes, qui pourront exercer à leur tour leur faculté d’invention dans le cadre de ce qu’elles ont reçu. Nos particularités culturelles ne s’opposent donc pas à une unité de l’humanité, mais au contraire manifestent ce qu’il y a d’universel en nous.
B. La différence des cultures manifeste la vitalité de l’humanité
De ce fait, la diversité de nos croyances, de nos langues, de nos coutumes, de nos normes esthétiques ou juridiques est constitutive de l’humanité. Ceci nous interdit dès lors de penser cette unité comme étant figée : pas plus qu’elle n’implique l’unicité, l’unité n’implique l’uniformité. « L’humanité est constamment aux prises avec deux processus contradictoires dont l’un tend à instaurer l’unification, tandis que l’autre vise à maintenir ou à rétablir la diversification », observe Lévi-Strauss, appelant à préserver la diversité culturelle. Chaque particularité culturelle peut en effet être conçue comme une expression de notre liberté, celle-ci consistant en une création permanente de modes de vie par laquelle nous tenons à distance la nature. Loin d’être uniforme, figée et close, l’humanité doit dès lors être conçue comme plurielle et dynamique.
Conclusion
Ainsi, le fait qu’il existe des milliers de cultures et non une seule, loin de faire obstacle à la constitution d’une humanité, en est le fondement même. Le genre humain ne peut être pensé que comme une multitude de cultures, toutes différentes et égales. Penser que son union passerait par le recul des particularités culturelles, c’est donc se faire une fausse idée de l’humanité. Loin d’être un tout figé tendant à l’uniformité, l’humanité ne se déploie que dans les manifestations de sa liberté, et dans l’inventivité dont témoigne la variété des cultures.