Dissertation
Le cyberespace, un territoire de la libre connaissance ?
Analyser le sujet
Dégager la problématique
Le cyberespace est un espace intangible dans lequel ont lieu des échanges déterritorialisés : peut-on l’associer à l’idée de territoire ?
À ses débuts, on rêvait d’un « village global » où l’accès à la connaissance serait illimité. La liberté du cyberespace : mythe ou réalité ?
Aujourd’hui, il est à la fois un espace où les États tentent d’exercer leur souveraineté, et où la connaissance est aussi un marché, qui attire les convoitises et les rivalités.
Construire le plan
Corrigé
Les titres et les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
[Accroche] La connaissance a une vocation universelle qui la destine à circuler, sous l’impulsion de multiples acteurs. Depuis le xviie siècle, cette circulation s’accélère, et les TIC (technologies de l’information et de la communication) ont ouvert des perspectives inédites. [Présentation du sujet] Le cyberespace, espace intangible dans lequel ont lieu des échanges déterritorialisés où la distance est abolie, ouvre un nouvel univers des possibles pour la diffusion et la circulation de la connaissance, et semble constituer un espace de liberté absolue. [Problématique] Dès lors, peut-on parler du cyberespace comme un territoire d’appropriation sans limites de la connaissance pour tous et partout ? [Annonce du plan] S’il a été conçu initialement pour donner un libre accès à la connaissance et qu’il reste un espace de diffusion essentiel [I], des limites multiples à cette libre circulation sont vite apparues [II].
I. Le cyberespace, un espace de liberté d’accès et de diffusion de la connaissance
1. Un espace conçu comme tel
Les créateurs d’Internet sont au départ caractérisés par un esprit libertaire, qui prône un libre accès total aux connaissances. Cette idée – sans doute utopique – est encore courante au début des années 1990 : l’émergence du cyberespace fait rêver à un « village global » libre de toute contrainte spatiale.
Dans les faits, le cyberespace est un espace déterritorialisé où toutes les associations et coopérations devraient être possibles grâce à l’abolition des distances, à la possibilité de surfer sur des flux internationaux et sans commune mesure avec ceux que permettaient les systèmes d’information précédents. Cette fluidité de la circulation est d’autant plus vraie qu’il s’agit d’un espace difficile à surveiller, ce qui facilite aussi les échanges illicites, notamment dans le darknet.
2. Un vecteur essentiel de la connaissance
Le cyberespace est un espace essentiel de circulation des idées : on peut y dialoguer dans les forums, on y collabore dans des wikis, on coconstruit de la connaissance par l’échange, la comparaison, le débat. Or c’est justement par la confrontation des regards et la controverse que naît et s’approfondit le savoir. Il a d’ailleurs été rapidement le lieu d’apprentissages d’un type nouveau, un enseignement opportunément qualifié d’« ouvert », avec le développement de nombreux cours en ligne massifs ou en petits groupes privés (MOOC) proposés par de nouveaux groupements universitaires mondiaux.
Cela recrée le principe de la communauté scientifique à l’échelle planétaire : les internautes participent d’une cybercommunauté savante internationale et interconnectée, qui permet d’accroître le savoir au profit de tous, avec une diffusion à très grande échelle. Jamais auparavant de telles perspectives n’avaient été possibles, faisant rêver à une science-monde reposant sur l’open data. De fait, des expériences inédites de collaboration scientifique mondiale sont possibles : un rapport de 2017 de l’Unesco souligne qu’avec Internet de nombreux sujets de recherche se prêtent à la collaboration internationale, par exemple dans les domaines de l’astronomie ou des sciences océaniques où des dizaines d’auteurs internationaux peuvent être amenés à cosigner un même article.
3. Des acteurs qui ont intérêt à la libre circulation
Du point de vue des États, le cyberespace est vu dès lors comme un vecteur de développement qu’il faut investir en en favorisant la liberté de circulation. Par exemple, en Afrique subsaharienne, de nombreux cours à distance permettent de suppléer à une offre locale insuffisante et à des infrastructures défaillantes. L’Inde a investi massivement dans l’aide médicale en ligne, pour des territoires qui en étaient privés et accélérant en même temps le développement du pays.
Le secteur privé trouve également son compte dans cette libre circulation : les firmes du net y gagnent une visibilité mondiale, et cela leur permet de collecter des métadonnées à une échelle inédite, ce qui dans le cadre d’une économie de la connaissance constitue un atout majeur et permet d’acquérir une avance monétisable. C’est pour cela que les GAFAM défendent notamment l’interopérabilité des réseaux.
II. Des limites d’accès et de diffusion
1. Des limites technologiques
L’accès au cyberespace est inégal selon les territoires : la connexion n’est possible que grâce à des points d’accès en nombre suffisant, ce qui pénalise notamment les pays enclavés qui n’ont pas d’ouverture maritime, essentielle pour les câblages. En effet, le cyberespace repose sur une première couche d’infrastructure physique constituée de câbles, relais et serveurs, dont tout le fonctionnement d’Internet dépend et qui, contrairement au reste du réseau, est fortement territorialisée.
Le principal handicap concerne les zones blanches, non couvertes par les réseaux. Il s’agit de vastes territoires dans les régions les moins bien desservies – souvent les pays en voie de développement, et notamment l’Afrique subsaharienne – mais également des territoires plus enclavés à l’intérieur de pays connectés telle la France : on y comptait en 2019 encore 6 millions d’usagers qui n’avaient pas accès à Internet à cause d’une mauvaise couverture par les opérateurs, ce qui aggrave les inégalités territoriales.
2. Des limites légales
Par-delà les problèmes techniques, les États empêchent parfois volontairement la libre circulation, en imposant leur souveraineté par le contrôle des connaissances stratégiques, et en mettant en place la censure. Ainsi la Chine verrouille la plupart des réseaux sociaux, la Turquie bloque Wikipedia. Une autre stratégie consiste à créer des réseaux parallèles, plus faciles à surveiller comme le Sina Weibo, avatar chinois de Twitter, ou VKontakte le Facebook russe.
Du fait de ces tentatives de contrôle, il est nécessaire d’affirmer le droit pour la défense de la propriété intellectuelle. C’est l’objet de l’appel de Paris (2018), qui vise à mettre en place une gouvernance partagée dans le cadre d’une sécurité collective pérenne.
3. Des limites économiques
Enfin, la marchandisation du savoir par des entreprises privées de la connaissance constitue le dernier obstacle à la libre circulation des informations et des savoirs. C’est ainsi qu’il faut notamment comprendre par exemple la lutte entre les groupes de médias et les GAFAM, accusés de piller les articles journalistiques et d’en capter les recettes publicitaires.
Car la libre circulation des connaissances peut interférer avec des intérêts économiques majeurs qui font parfois l’objet d’une concurrence féroce entre les États, les universités ou les entreprises. La maîtrise des connaissances permet d’obtenir une certaine avance sur ses concurrents dans un système tourné vers l’économie de la connaissance. C’est ce qu’a montré dès la fin des années 1960 Peter Drucker et que le cyberespace vient confirmer et accentuer.
Conclusion
[Réponse à la problématique] Le cyberespace est donc une opportunité unique d’accès mondial à la connaissance et de circulation des idées. Les acteurs ont globalement tous intérêt à s’approprier ce territoire en le laissant le plus ouvert possible, même si les objectifs de chacun ne vont pas tous vers une liberté totale. Si les limites technologiques trouvent progressivement des solutions, les États organisent peu à peu une forme de contrôle de ce qu’ils ne veulent pas voir devenir une zone de non-droit aux mains des seuls acteurs économiques privés. [Ouverture] La connaissance a très clairement bénéficié du cyberespace comme vecteur de diffusion, mais elle y combat également son ennemi principal : la rumeur et les fake news, qui y pullulent.