Sujet d’écrit • Dissertation
Le personnage de roman, un modèle de vertu ?
Les clés du sujet
Analyser le sujet
Formuler la problématique
Un personnage de roman doit-il s’imposer comme un idéal ? En quoi et comment le romancier donne-t-il à réfléchir sur des questions éthiques, en s’appuyant sur des personnages plus ou moins droits ?
Construire le plan
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Introduction
[Accroche] Certaines époques ont affirmé qu’elles croyaient dans les pouvoirs de la littérature, notamment dans sa capacité d’influencer les mœurs. C’est vrai du xviie siècle : les écrivains du classicisme cherchent à plaire et à instruire à travers leurs personnages et leurs récits.
[Explicitation du sujet] Dans cette perspective, la fin de La Princesse de Clèves est éloquente : « Sa vie, qui fut assez courte, laissa des exemples de vertu inimitables. » Un personnage de roman doit-il forcément être un modèle de vertu ? Doit-il être considéré comme l’incarnation d’un idéal ou d’une certaine morale que l’écrivain propose à son lecteur ?
[Annonce du plan] Nous verrons d’abord que certains personnages sont construits autour de la notion d’exemplarité morale [I], avant de montrer que les personnages à la moralité plus discutable présentent également un intérêt pour le lecteur [II]. Ce sont cependant les personnages complexes, tourmentés, qui s’avèrent probablement les plus attachants [III].
I. La tradition du héros exemplaire
► Le secret de fabrication
Il s’agit ici d’examiner comment et pourquoi certains personnages apparaissent effectivement comme des modèles. Selon les époques et les esthétiques, les partis pris varient sensiblement.
1. Des héros aux qualités exceptionnelles
Certains héros de roman, personnages extraordinaires, sont érigés en modèles de conduite.
La princesse de Clèves est louée à de multiples reprises pour ses qualités hors du commun, physiques et morales, à grand renfort de superlatifs. Ses actions et sentiments sont présentés comme singuliers ; elle évite jusqu’au bout de céder à sa passion, ce qui en fait un modèle de maîtrise de soi.
Au Moyen Âge, les romans de chevalerie abondent en personnages que leurs multiples qualités (générosité, fidélité, courage, don de soi…) distinguent. Elles suscitent l’admiration du lecteur et lui donne l’envie de les imiter. Citons par exemple Yvain ou le chevalier au lion de Chrétien de Troyes.
Dans La Condition humaine de Malraux, Katow, arrêté, doit être jeté vivant dans le foyer d’une locomotive ; du cyanure pourrait lui épargner cette mort atroce, mais il l’offre par solidarité à ses deux jeunes compagnons, qui doivent subir le même sort, et se sacrifie avec altruisme et générosité.
à noter
Le personnage « modèle » est aujourd’hui plus rare qu’aux débuts de l’histoire du roman : la littérature s’emploie de plus en plus à faire apparaître des failles.
2. Des récits à visée édifiante, qui condamnent les comportements déviants
Dans les récits à visée édifiante, tels ceux de Mme de Lafayette, certains personnages permettent de dénoncer des comportements qui s’écartent des codes moraux ou sociaux.
L’histoire du vidame de Chartres attire l’attention sur les dangers de la duplicité et de l’infidélité. Le vidame s’est engagé auprès de plusieurs femmes, auxquelles il ment effrontément. Son secret est éventé après la perte malencontreuse d’une lettre, qui met fin à sa liaison en partie intéressée avec la reine Catherine de Médicis.
Dans La Princesse de Montpensier, Madame de Lafayette jette un regard critique sur son héroïne, qui meurt d’avoir suivi sa passion : en cédant au duc de Guise, elle perd l’estime de son mari trahi, tandis que son amant l’abandonne bien vite pour une autre. Ainsi s’achève le récit : « [Elle] aurait été la plus heureuse si la vertu et la prudence eussent conduit toutes ses actions ».
II. L’intérêt des personnages non vertueux
► Le secret de fabrication
Sans contredire ce qui a été exposé dans la partie précédente, il convient ici de nuancer la réflexion en soulignant l’intérêt des personnages qui s’écartent des idéaux, en expliquant comment et pourquoi ils le font, et quel attrait le lecteur peut y trouver.
1. Des personnages qui évoluent au contact de la société
Certains personnages se forgent en se frottant à la société, ce qui provoque leur chute ou leur triomphe.
La princesse de Montpensier est d’abord présentée comme un modèle féminin ; mais sa vertu est menacée par sa passion pour le duc de Guise. Elle finit par lui céder, la cour (lieu de tentation) les ayant rapprochés.
Georges Duroy, dans Bel-Ami de Maupassant, est un anti-héros aigri par sa pauvreté qui profite de diverses rencontres pour faire sa place dans le milieu journalistique. De plus en plus sournois et calculateur, il connaît une ascension fulgurante dans une société corruptrice et corrompue dont il a bien saisi le fonctionnement.
2. Des personnages immoraux qui fascinent
La fascination exercée par des personnages franchement immoraux n’est pas à négliger. André Gide, écrivain du xxe siècle, déclare non sans malice qu’« on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments » !
Dans La Princesse de Clèves, la cour du roi est le lieu par excellence des intrigues. Sans le jeu des passions et le divertissement qu’elles procurent, la vie y serait morne et peu romanesque. Les récits enchâssés (le vicomte de Chartres, madame de Tournon…) foisonnent en tromperies. Nemours transgresse les codes sociaux en volant le portrait de la Princesse et en s’introduisant de nuit dans son jardin ; ces infractions excitent l’intérêt du lecteur.
Les Liaisons dangereuses de Laclos, roman épistolaire, donnent à voir les manipulations de deux libertins, évoluant dans une société décadente et hypocrite ; ils se jouent de leurs victimes naïves par goût du défi et par volonté de pouvoir.
III. Le choix de personnages complexes
► Le secret de fabrication
On peut pousser le raisonnement plus loin, en montrant que les personnages les plus fascinants sont dotés d’une certaine complexité, qui suscite des questionnements éthiques.
1. Des personnages confrontés à des choix délicats
Le personnage peut être placé dans une situation difficile et être tenté de faire le « mauvais choix ». Le lecteur est invité à partager ses doutes.
M. de Clèves est confronté à une situation inédite, après l’aveu de sa femme, qui en aime un autre ; se pose la question de l’attitude à adopter. Passionnément épris, il cède à la jalousie, outrepasse son rôle de mari et meurt de désespoir, n’ayant su rester mesuré.
La princesse de Clèves est, elle aussi, soumise à un choix terrible dès lors qu’elle est exposée au milieu dangereux de la cour : Mme de Chartres, mourante, alerte sa fille : « Vous êtes sur le bord du précipice : il faut de grands efforts et de grandes violences pour vous retenir. »
Dans Les Misérables de Hugo, Jean Valjean, ancien bagnard, s’est refait une vie sous un autre nom. Dans le chapitre « Tempête sous un crâne », il est placé face à un dramatique cas de conscience : il s’agit de faire condamner un innocent à sa place et de tirer définitivement un trait sur son passé, ou de se livrer à la justice.
2. Des personnages qui présentent la complexité du vivant
Le personnage de roman dépasse souvent le manichéisme pour devenir un être complexe, ni totalement bon, ni complètement mauvais.
Les choix de la princesse de Clèves peuvent interroger. L’aveu de sa passion à son mari, présenté comme une démarche très singulière, est-il une preuve de vertu ? une simple faute qui entraîne la jalousie et la mort de M. de Clèves ? Le choix final de la princesse, retranchée derrière son « devoir » et son « repos », laisse songeur : elle s’invente des codes moraux, en marge d’une société qui aurait pu accepter son union avec Nemours.
Dans Madame Bovary, Flaubert imagine une femme fascinée par ses lectures romantiques et ses rêves romanesques, qui contrastent de manière saisissante avec sa vie de petite-bourgeoise provinciale auprès d’un mari médiocre. La tentation de l’adultère puis la chute qui lui succède éveillent des sentiments très mêlés chez le lecteur, qui comprend la frustration d’Emma Bovary, tout en en saisissant le ridicule.
Meursault, dans L’Étranger de Camus, tue un Arabe sans mesurer la portée de son geste ; incompris et rejeté, il semble agir en dehors des critères du bien et du mal, en marge des codes sociaux, ce qui rend le personnage profondément troublant. Les valeurs deviennent flottantes et instables.
Conclusion
[Synthèse] Nombre de personnages fonctionnent comme des modèles ou des contre-modèles sur le plan moral, invitant le lecteur à des questionnements éthiques : le roman n’est pas prescriptif, mais permet une réflexion plus profonde sur l’individu et ses rapports plus ou moins tendus avec la société.
[Ouverture] Le théâtre a pu lui aussi renvoyer le spectateur à une interrogation sur les valeurs et les mœurs : le théâtre classique de Molière est à cet égard exemplaire.