Sujet d’écrit • Dissertation
Les comédies : à voir absolument !
Analyser le sujet
Formuler la problématique
En quoi peut-on considérer qu’il est essentiel d’assister à une comédie ? Quels éléments la représentation ajoute-t-elle au texte théâtral ? Que perd la comédie à être seulement lue ?
Construire le plan
Corrigé
Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
[Accroche] Molière était un homme de théâtre complet : dramaturge, il jouait et mettait en scène ses propres pièces. Dans l’« Avertissement au lecteur » de L’Amour médecin (1665), il déclare : « On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées, et je ne conseille de lire celles-ci qu’aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre. »
[Explicitation du sujet] Comme toute pièce de théâtre, une comédie est destinée à être représentée, mais ce passage du texte au spectacle n’est-il pas encore plus nécessaire pour la comédie que pour les autres genres théâtraux ?
[Annonce du plan] Nous verrons tout d’abord que toute pièce de théâtre appelle la représentation. Puis nous analyserons les spécificités de la comédie qui rendent particulièrement nécessaire son passage à la scène. Enfin nous montrerons que la comédie peut être conçue avant tout comme un spectacle.
I. Comme tout autre genre théâtral, la comédie
est destinée à être représentée
1. Un texte conçu pour être dit
Comme tout autre texte théâtral, celui d’une comédie est porté par le travail des acteurs qui le mettent en voix.
Prenons le début du Malade imaginaire. Au lever du rideau, seul, Argan s’affaire, manipule force factures et jetons, et imite, à mesure qu’il fait ses comptes, les voix de M. Fleurant et de M. Purgon : le monologue ne produit tout son effet qu’une fois mis en scène.
Certaines comédies comportent de véritables morceaux de bravoure, conçus pour être déclamés face à un public. Ainsi en est-il de la tirade de Dom Juan dans la scène 2 de l’acte v (Dom Juan de Molière, 1665) : après avoir joué la comédie du repentir devant son père, le libertin justifie son attitude auprès de Sganarelle sur un mode parfaitement cynique : « Il n’y a plus de honte maintenant à cela ; l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. »
2. Des personnages destinés à être incarnés
Par ailleurs, les personnages d’une comédie ne prennent leur vraie dimension qu’incarnés par des acteurs.
Le ridicule de Thomas Diafoirus, piètre prétendant, apparaît clairement quand le public l’entend déclamer à sa prétendue belle-famille des compliments dictés par son père : dans la mise en scène de G. Werler (2008), il récite son laïus d’un ton monocorde en reprenant à peine sa respiration !
Dans son vaudeville Un fil à la patte (1894), Feydeau multiplie les personnages pittoresques : ainsi du maladroit Bouzin, compositeur raté au jeu farcesque incarné à merveille par Christian Hecq dans la mise en scène de J. Deschamps (2013).
3. L’apport du travail du metteur en scène
La mise en voix des textes, la manière d’incarner un personnage s’inscrivent dans le travail d’interprétation du metteur en scène à partir du texte – un travail qui enrichit notre compréhension de la pièce et justifie pleinement sa représentation.
De nombreux metteurs en scène ont ainsi exploré l’ambiguïté des figures fortes des comédies de Molière. Harpagon, dans L’Avare (1668), amusant dans la mise en scène de J. Mauclair, prend un visage inquiétant et monstrueux dans celle de J. Vilar.
En s’emparant d’une comédie, le metteur en scène peut la moderniser et en infléchir le sens : ainsi Ariane Mnouchkine, réinterprétant Tartuffe (1669), fait de l’hypocrite dévot, qui instrumentalise la foi catholique pour renforcer son pouvoir, un intégriste musulman.
[Transition] La comédie, par sa nature théâtrale, appelle donc la représentation ; il semble, cependant, que plus encore que la tragédie ou le drame, elle soit faite pour être jouée.
II. La comédie possède des spécificités
qui appellent la représentation
1. La comédie : une intrigue concrète
On peut remarquer en premier lieu que l’intrigue d’une comédie s’appuie souvent sur des situations concrètes, qui nécessitent divers éléments matériels ou accessoires.
Cela est particulièrement vrai des comédies qui s’inspirent de l’univers de la farce, comme Les Fourberies de Scapin de Molière (1671). On peut citer la scène 2 de l’acte iii où, sous couvert de protéger un maître traqué, le facétieux Scapin enferme Géronte dans un sac puis le roue de coups de bâton en contrefaisant l’accent de poursuivants imaginaires. Assurément, cette scène-là n’est faite que pour être jouée !
Souvent les personnages recourent au travestissement pour faire aboutir leur projet. Dans Le Malade imaginaire, Toinette s’étant déguisée en médecin de pacotille, assène à Argan un diagnostic burlesque, dont celui-ci ne sait que penser. Cette comédie dans la comédie ne fonctionne pleinement que sur scène.
2. L’importance du jeu des acteurs pour créer le comique
On peut ajouter que le comique repose beaucoup sur les expressions et la gestuelle des acteurs.
Cela est particulièrement vrai pour la comédie classique qui, de Molière à Marivaux, s’inscrit dans l’héritage de la commedia dell’arte italienne, fondée sur l’improvisation comique à partir de simples canevas.
Cette veine est perceptible dans Le Malade imaginaire. Ainsi, quand l’irrévérencieuse Toinette s’oppose fermement à ce qu’Angélique épouse Thomas Diafoirus, le spectateur assiste à une course-poursuite entre la servante et son maître, que les acteurs peuvent interpréter à leur guise.
3. Comédie et interaction avec le public
Notons enfin que la présence du public décuple la force comique de la pièce : celle-ci est d’autant plus drôle que les spectateurs peuvent interagir avec les personnages et communier dans un même rire.
Cette interaction est mise en scène, de manière emblématique, dans L’Avare : Harpagon, qui tient à son argent plus qu’à sa famille, exprime son désespoir après la perte de sa « cassette » ; dans un monologue fameux, il s’en prend au public qui semble rire de ses déboires.
De fait, le spectateur d’une comédie est bien le complice des ruses et stratagèmes mis en œuvre par les personnages d’une comédie. Dans Le Malade imaginaire, Cléante et Angélique parviennent à communiquer leurs sentiments, en simulant une leçon de chant, au nez et à la barbe d’Argan, sous le regard amusé du spectateur.
[Transition] La comédie, plus que tout autre genre théâtral, demande donc à être jouée ; et ce d’autant plus qu’elle a été conçue d’emblée comme un spectacle destiné à divertir et éblouir le public.
III. Une comédie peut être conçue avant tout
comme un spectacle
1. Des mises en scène spectaculaires
Cette envie d’éblouir le public, de le surprendre par une mise en scène spectaculaire peut faire partie du projet d’origine de la comédie ou de celui du metteur en scène.
Parce qu’il voulait que Le Malade imaginaire puisse « délasser [le Roi] de ses nobles travaux », Molière enrichit la pièce d’un prologue et de trois intermèdes qui font intervenir une grande diversité de personnages et supposent des changements de décor rapides.
C’est une scène particulièrement spectaculaire qui clôt Dom Juan : emporté par la statue animée du Commandeur, véritable deus ex machina, le libertin disparaît au milieu des flammes, sous un ciel déchaîné.
Mettant en scène Cyrano de Bergerac (Rostand, 1897), D. Podalydès revisite les fameuses scènes du balcon de l’acte iii : Roxane, enivrée par des vers amoureux qui semblent venir du beau Christian mais qui sont en réalité prononcés par Cyrano, s’envole littéralement dans les airs grâce à une machinerie ingénieuse.
2. Un spectacle qui s’ouvre à d’autres arts
Il arrive enfin que la comédie devienne un spectacle complet qui, s’associant à d’autres arts – musique, danse, cirque –, sollicite ouvertement tous les sens.
C’est le cas avec la comédie-ballet qui, sous l’impulsion de Molière, connaît un grand succès au xviie siècle : les temps forts du spectacle y mêlent musique et danse, comme lors de la cérémonie turque burlesque du Bourgeois gentilhomme (1670), où Monsieur Jourdain est promu « mamamouchi ».
Héritage de la comédie-ballet et de l’opéra-comique, les comédies musicales modernes enchaînent les tableaux musicaux servis par des décors éblouissants ; citons ainsi Notre-Dame de Paris de R. Cocciante et L. Plamondon (1998), adaptation libre du chef-d’œuvre de Victor Hugo.
Pour finir, on peut citer un exemple contemporain : Désobéir, basé sur des témoignages de jeunes filles issues de l’immigration, a été mis en scène, avec beaucoup de succès, par J. Berès (2017) sous la forme d’un spectacle hybride mêlant le théâtre et la danse.
Conclusion
[Synthèse] Ainsi le point de vue de Molière se trouve-t-il justifié : la comédie trouve à bien des égards sa pleine mesure dans la représentation. Bien plus, la comédie peut se faire spectaculaire au sens le plus fort du terme, rendant la mise en scène indispensable.
[Ouverture] Certains dramaturges interrogent pourtant les spécificités du texte théâtral, en jouant avec ses limites : Musset a ainsi pu proposer un théâtre à lire, un « spectacle dans un fauteuil », avec des pièces comme Les Caprices de Marianne (1833) ou Lorenzaccio (1834).