Liban • Mai 2018
dissertation • Série ES
L’histoire peut-elle servir l’action politique ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
L’histoire
L’histoire englobe l’ensemble des faits historiques humains qui peuvent être rassemblés dans un discours organisé. Pour les sociétés humaines, l’histoire témoigne de la conscience du passé.
Peut-elle servir
« Servir » implique l’idée de subordination. Le moyen sert la fin visée et s’y soumet. Se demander si l’histoire peut servir l’action politique revient à accorder implicitement la primauté à l’action politique et à donner éventuellement à l’histoire le statut de simple moyen.
L’action politique
L’action politique est l’activité humaine ayant pour but la modification des rapports sociaux qui régissent le fonctionnement de la société.
Dégager la problématique et construire le plan
La problématique
Certes, l’histoire peut servir l’action politique en lui faisant voir les conséquences d’actions analogues réalisées par le passé. Mais ne menace-t-elle pas l’efficacité de cette action en tendant à enfermer de telle manière le nouveau dans l’ancien ? À quelles conditions l’histoire peut-elle donc servir l’action politique ?
Le plan
L’histoire peut éclairer l’action politique ; l’expérience passée peut inspirer notamment de la prudence, limitant ainsi les dommages causés par les crises.
Néanmoins, la prédominance de la connaissance historique peut brider l’action politique dans les bornes du passé et lui faire perdre sa puissance créatrice.
Pour être efficace, l’action politique doit garder les yeux ouverts sur l’histoire mais ne pas s’y soumettre.
Corrigé
Corrigé
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
Si l’histoire est l’ensemble connaissable des faits humains, le sens qui leur est donné, alors il semble d’emblée que l’action politique, qui vise la transformation des conditions de l’existence commune, ne puisse s’en passer. Sans histoire, l’action politique tend à se confondre avec la poussée aveugle des passions, des antagonismes sociaux et des déterminations.
Une fois posée cette apparente évidence, on peut néanmoins se demander si l’histoire ne risque pas de pousser l’action politique au conservatisme, en lui donnant la tentation de reproduire, contre le cours des choses, les formes révolues d’organisations humaines.
À quelles conditions l’histoire peut-elle donc servir l’action politique ?
1. Sans la connaissance historique, l’action politique est aveugle
A. L’histoire humaine peut guider l’action politique
L’ensemble des faits qui forment l’histoire humaine est si vaste qu’il semble toujours possible de trouver dans le passé une situation analogue à celle du présent. Ces ressemblances entre le passé et le présent permettent d’éclairer l’action politique. On peut citer plusieurs exemples.
La crise bancaire et financière de l’automne 2008 n’était pas sans rappeler le krach de 1929 ainsi que la grande récession du début des années 1930. Le parallèle entre les deux crises a souvent été fait parce qu’il était susceptible de donner aux hommes politiques des clés d’analyse et des solutions aux problèmes à résoudre.
De même, la crise des missiles de Cuba de 1962 a été évoquée en 2017 pour comprendre le contentieux qui a opposé les États-Unis et la Corée du Nord autour de son programme nucléaire, et trouver une issue pacifique à la crise.
[Transition] Cependant, dans le tumulte des événements, la connaissance de l’histoire n’est-elle pas le plus souvent sans force, incapable de servir de guide à l’action bien davantage motivée par les intérêts ou les passions ?
B. L’histoire sert l’action politique par la prudence qu’elle inspire
C’est pour répondre à cette objection que Nicolas Machiavel, dans son ouvrage intitulé Le Prince, soutient que, sans réduire l’influence de la Fortune, c’est-à-dire du hasard, le prince peut anticiper les débordements des affaires du monde et les endiguer. Pour ce faire, la prudence fondée sur la connaissance historique est requise.
Bien qu’elle ne fasse pas tout, l’expérience historique est donc le pilier d’une technique politique efficace et c’est sur elle que repose principalement la valeur d’un prince dans l’action.
2. L’histoire tend à enfermer l’action politique dans des modèles figés ou erronés
A. L’histoire peut inhiber les potentialités créatrices de la vie
conseil
Attention à ne pas « renier » vos propos dans l’articulation de votre devoir ; ceux-ci doivent être affinés au fil de l’argumentation mais non pas évacués au profit d’une perspective radicalement autre.
S’en remettre à l’histoire et à ses enseignements permet de gagner en prudence et de réduire l’effet du hasard, rendant ainsi les grands événements politiques plus lisibles. Toutefois, si l’action politique prend exagérément l’histoire pour modèle, elle risque de perdre toute force créatrice et de sombrer dans le culte du passé.
C’est la position exprimée par Nietzsche pour qui l’excès d’histoire nuit à l’action, à l’émergence du nouveau. Si l’on est hypnotisé par le passé et que l’on souscrit à l’idée de valeurs éternelles, alors l’action s’enlise dans un présent sans avenir. C’est le sens de cette formule extraite des Considérations inactuelles II : « dès qu’on abuse de l’histoire ou qu’on lui accorde trop de prix, la vie s’étiole et dégénère ».
B. L’histoire ne se répète jamais à l’identique
On peut évoquer à ce stade une autre difficulté plus grande encore : comment s’appuyer sur l’expérience historique si fondamentalement l’histoire ne se répète pas ? Si les phénomènes historiques sont absolument singuliers, comment aller chercher dans le passé des schémas, des enchaînements d’événements susceptibles de se reproduire à l’identique et donc permettre aux décideurs politiques d’anticiper l’avenir et de prévenir les catastrophes ?
Peut-on, par exemple, véritablement comparer la montée des fascismes dans l’Europe en crise des années 1930 à la situation actuelle qui présente par bien des aspects des similitudes troublantes mais aussi des spécificités propres ? C’est toute la difficulté que doit surmonter le politique s’il aspire à tirer les leçons du passé. Mais cela semble bien difficile tant la complexité de l’humain, sa liberté, le caractère imprévisible de ses actions empêchent toute véritable modélisation des comportements historiques et sociaux. C’est l’idée que défend notamment Jean-Paul Sartre.
[Transition] Sommes-nous pour autant condamnés à errer sans boussole ? N’y a-t-il aucun moyen de saisir dans la singularité de chaque situation historique des lignes de force, des tendances, des invariants susceptibles de se répéter et donc d’éclairer l’action politique ?
3. Une action politique efficace doit saisir le sens de l’histoire et s’appuyer sur une conscience historique collective
A. La raison dans l’histoire
Le propre de l’action politique véritablement efficace, c’est d’être capable de saisir le sens du présent, ce qui suppose plus largement de comprendre le sens de l’histoire. L’homme d’action puise dans sa compréhension de l’histoire et de son mouvement l’intuition de notre devenir. Il doit être capable de saisir dans le présent et le passé les potentialités d’une époque. Comment comprendre autrement ces grandes actions qui rompent radicalement avec leur temps et ouvrent une nouvelle ère comme la Révolution française ou l’abolition de l’esclavage ?
Si le sens de l’histoire est obscur, il est néanmoins possible de le déchiffrer. C’est en cela que consiste peut-être un des rôles du philosophe : rendre l’histoire intelligible afin d’éclairer l’action politique.
Kant entend ainsi fournir à l’historien, tout autant qu’à l’homme d’action, un fil conducteur lui permettant de saisir le sens de l’histoire dans sa globalité. De son point de vue, derrière l’apparent chaos des événements, se cacherait une ruse de la nature visant à faire advenir la raison dans nos sociétés.
Hegel est plus radical encore puisque pour lui, le véritable acteur de l’histoire est la Raison elle-même qui agit en sous-main à travers nos passions et manipule les grands hommes, afin de se réaliser dans l’histoire.
B. L’action politique peut unir la théorie historique et la pratique
La théorie historique qui observe les faits semble ne jamais servir l’action politique qui vise à les transformer. Comment la théorie et la pratique peuvent-elles donc s’unir ?
Selon Marx, c’est lorsque les idées pénètrent le plus grand nombre qu’elles deviennent des forces de transformations réelles. L’action politique n’est plus alors le fait du grand homme ou du groupe restreint seulement, mais avant tout celui des masses. L’histoire sert l’action des classes dominées dès lors que celles-ci acquièrent la conscience du progrès et de leur émancipation. L’action révolutionnaire du tiers état en France en 1789 témoigne à titre d’exemple de l’union étroite entre une conscience historique collective et une audace conquérante et transformatrice.
Conclusion
Le rapport entre histoire et action politique semble de prime abord problématique. En effet, une action politique totalement dénuée de connaissance historique paraît aveugle et finalement à la merci du hasard des événements. Mais, inversement, si elle se fonde sur des modèles historiques, elle risque de sombrer dans l’inefficacité, voire dans un conservatisme dangereux.
Pour sortir de cette impasse, il faut dépasser l’idée d’une connaissance historique figée dans une somme de faits établis mais épars, ainsi que le modèle d’une action politique procédant de la seule activité d’un individu ou d’un groupe restreint.