La réforme électorale ne transformera pas notre culture politique du jour au lendemain, mais refuser de s’attaquer à la fragmentation rendra définitivement impossible une gouvernance efficace.
Par Tom Brake, directeur de Unlock Democracy
Si vous voulez voir ce qui se passe lorsque la politique reste coincée dans le passé, ne cherchez pas plus loin que la France. La chute du pays vers une quasi-ingouvernabilité – un parlement fracturé, des coalitions fragiles et une paralysie budgétaire – n’est pas simplement le produit des faux pas du président Emmanuel Macron ou du mécontentement de l’opinion publique face au coût de la vie ou à la modification de l’âge de la retraite. C’est la conséquence d’une inadéquation structurelle plus profonde : un système de partis fragmenté qui s’oppose à un système électoral construit pour une époque révolue. Cela vous semble familier ?
Pendant des décennies, le système électoral majoritaire en France a masqué les changements de nom incessants de ses partis. La politique s’est divisée de manière fiable en deux grands camps : le centre-gauche et le centre-droit, qui ont remporté en moyenne 78 % des sièges à l’Assemblée nationale entre 1958 et 2017, garantissant une alternance prévisible du pouvoir.
Mais cette logique s’est effondrée. Le programme En Marche de Macron a fait exploser le duopole traditionnel en 2017. La gauche s'est divisée en familles idéologiques concurrentes ; la droite s'est divisée entre des forces plus modérées et le mouvement nationaliste de Marine Le Pen. Aujourd’hui, aucun bloc ne détient plus d’un tiers des sièges, et le « front républicain » – l’alliance informelle visant à maintenir l’extrême droite hors du pouvoir – s’est complètement effondré.
Le résultat est le chaos. La semaine dernière, Sébastien Lecornu a été reconduit dans ses fonctions de Premier ministre après avoir démissionné quelques jours auparavant, ce qui en fait le cinquième ou sixième Premier ministre français en deux ans, selon la manière dont on compte. L’Assemblée nationale, quant à elle, ne semble pas plus près d’adopter un budget. Certes, les perspectives budgétaires de la France mettraient à l'épreuve même les parlements les plus unis : déficits budgétaires persistants, dette publique colossale et réforme des retraites, une plaie purulente. Mais ce n'est pas une excuse. Le travail des politiciens consiste à prendre des décisions difficiles. Pourtant, plutôt que de s’attaquer aux compromis et de parvenir à un consensus, une majorité de l’Assemblée nationale préfère jouer au poulet politique. Les marchés l'ont remarqué : les coûts d'emprunt français se sont élargis par rapport à ceux de l'Allemagne pour dépasser la moyenne de la zone euro, reflétant les doutes quant à la capacité d'un gouvernement à contrôler le déficit.
Le problème n’est pas simplement celui de la personnalité ou du leadership, mais celui de la conception institutionnelle. Le système qui disciplinait autrefois les forces politiques amplifie désormais leur fragmentation. L’organisation d’élections en deux tours – d’abord un vote de conviction (pour déterminer les candidats les plus populaires), puis un vote de calcul (pour déterminer un vainqueur unique qui, pour de nombreux électeurs, sera le candidat le moins mauvais) – était considérée comme encourageant la convergence ; aujourd’hui, cela révèle la désunion. Lorsque les clivages idéologiques se multiplient, les alliances tactiques au second tour deviennent incohérentes, voire impossibles, donnant lieu à des parlements disparates et à des coalitions fragiles.
Alors que la plupart des autres pays européens sont habitués à évoluer dans des parlements équilibrés, la politique française moderne, ses réflexes et ses structures d’incitation – majoritaires, comme la nôtre – militent contre le consensus. La Grande-Bretagne devrait en tenir compte. Les conditions qui ont poussé la France au bord du gouffre sont déjà présentes de ce côté-ci de la Manche. Les Libéraux-Démocrates, les Verts, les Réformistes britanniques et les partis nationalistes d’Écosse et du Pays de Galles s’attaquent tous au duopole conservateur-travailliste autrefois dominant. Pendant ce temps, les divisions sociales et géographiques qui définissent la politique britannique – jeunes contre vieux, villes contre villages, Londres contre le reste – transcendent de plus en plus les lignes de parti.
Les prochaines élections générales pourraient facilement aboutir à un Parlement sans majorité ou, comme la précédente, à un gouvernement avec une majorité de châteaux de sable. Si cela se produit, le modèle de Westminster sera confronté au même test que la France qui échoue actuellement : un système où le vainqueur remporte tout peut-il faire face à un électorat qui ne pense plus en termes binaires ? Les institutions britanniques, comme celles de la France, continuent de supposer que la compétition politique s'organisera parfaitement autour de deux grands partis au pouvoir. Cette hypothèse n’est plus valable.
Les troubles en France ne sont pas inévitables ; c’est le résultat de l’incapacité des institutions et des hommes politiques à s’adapter aux nouvelles réalités politiques. (Pour être juste envers Michel Barnier et François Bayrou, tous deux ont reconnu le problème en tant que Premier ministre et ont ouvert la possibilité de passer à un système de vote proportionnel. Ni l’un ni l’autre n’ont duré assez longtemps pour y parvenir.)
Sans réformes, la Grande-Bretagne risque le même sort : une inertie budgétaire, une légitimité fragile et des gouvernements trop faibles pour faire face aux problèmes à long terme. La réforme électorale ne transformera pas notre culture politique du jour au lendemain, mais refuser de s’attaquer à la fragmentation rendra définitivement impossible une gouvernance efficace. La leçon de Paris est claire : lorsque les systèmes politiques ne correspondent plus aux sociétés qu’ils servent, le chaos s’ensuit. La Grande-Bretagne peut encore agir avant d’en arriver là. Mais le temps presse.
