Il est aussi humiliant que motivant de penser à tout ce qu’il nous reste à apprendre sur l’univers. Mes collaborateurs et moi venons de nous attaquer à l'un des mystères persistants de l'astrophysique : comment des galaxies elliptiques massives peuvent se former.
Aujourd’hui, pour la première fois, nous disposons de preuves observationnelles solides qui apportent une réponse. Nos résultats ont récemment été publiés dans Nature.
Les galaxies de l’univers actuel se répartissent en deux grandes catégories. Il existe des galaxies spirales, comme notre Voie lactée, qui sont riches en gaz et forment continuellement des étoiles dans un disque en rotation. Il existe également des galaxies elliptiques, grandes et sphériques plutôt que plates, semblables à un ballon de rugby. Ces dernières ne produisent pas de nouvelles étoiles mais sont dominées par des étoiles formées il y a plus de 10 milliards d'années.
La formation des galaxies elliptiques a longtemps été difficile à expliquer avec des modèles cosmologiques décrivant l'évolution de l'univers depuis le Big Bang jusqu'à aujourd'hui. L’un des défis est que la formation d’étoiles à l’époque de la formation des galaxies elliptiques (il y a 10 à 12 milliards d’années) se produisait au sein de grands disques en rotation, semblables à notre propre Voie lactée.
Alors, comment les galaxies ont-elles transformé leur forme de disques plats en galaxies elliptiques tridimensionnelles ?
Observations avec Alma
En analysant les données du Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (Alma), nous avons identifié les sites de naissance des galaxies elliptiques géantes. Nous avons découvert que les galaxies elliptiques locales peuvent se former au cours d'épisodes de formation d'étoiles intenses et de courte durée au début de l'univers, au lieu de commencer comme un disque en rotation et de devenir plus elliptiques au fil du temps.
Trois antennes Alma sur le plateau de Chajnantor à 5 km d'altitude au Chili. wikipédia, CC BY-SA
Notre étude a examiné la répartition de la poussière dans plus de 100 galaxies lointaines, dont nous savons qu'elles formaient de nombreuses étoiles lorsque l'univers avait entre 2,2 milliards et 5,9 milliards d'années. La poussière indique la présence de gaz – le matériau à partir duquel les nouvelles étoiles se forment – et nous permet d’étudier les régions d’une galaxie qui forment activement de nouvelles étoiles.
En utilisant une nouvelle technique d'observation, nous avons découvert que la poussière de ces galaxies lointaines est extrêmement compacte et ne correspond pas à ce que nous attendions des galaxies plates en forme de disque. De plus, nous avons pu déduire la géométrie tridimensionnelle des régions émettrices de poussière. Cette analyse indique que la plupart des premières galaxies à formation d’étoiles étaient en réalité sphériques plutôt qu’en forme de disque. En fait, elles ressemblent beaucoup à la forme des galaxies elliptiques proches de nous aujourd’hui.
Nous avons ensuite utilisé des simulations informatiques cosmologiques pour interpréter les résultats d’observation et comprendre les mécanismes physiques qui auraient pu provoquer l’enfoncement de poussière et de gaz au centre de ces galaxies lointaines en formation d’étoiles.
Notre analyse révèle que l’action simultanée des flux de gaz froids provenant des galaxies environnantes ainsi que des interactions et des fusions de galaxies peuvent entraîner le gaz et la poussière dans des noyaux compacts formant des étoiles au sein de ces galaxies. Les simulations nous montrent également que ce processus était courant dans l’univers primitif, fournissant une explication clé de la formation rapide des galaxies elliptiques.
Nos découvertes ajoutent une pièce cruciale à ce puzzle, faisant progresser notre compréhension de la formation et de l’évolution des galaxies.
Une nouvelle technique d’observation
Cette découverte a été rendue possible grâce à une nouvelle technique d'analyse des observations ALMA. Les données Alma sont différentes des images que nous avons l’habitude de voir avec des télescopes optiques. En fait, Alma fonctionne en combinant les signaux de plusieurs antennes qui fonctionnent ensemble comme un seul télescope géant.
Cette technique est connue sous le nom d'interférométrie et, même si elle permet d'obtenir des images nettes de galaxies lointaines, l'analyse des données est plus complexe que pour les images optiques traditionnelles. Notre nouvelle technique permet des mesures plus précises de la répartition de la poussière par rapport aux méthodes précédentes, offrant ainsi une avancée significative dans ce domaine.
Pour cette recherche, nous avons utilisé des données d’archives Alma en libre accès accumulées sur plusieurs années. Cela met en évidence la puissance des données open source, où les scientifiques partagent leurs découvertes, et des collaborations mondiales pour favoriser les percées scientifiques.
Les futures observations réalisées avec les télescopes spatiaux JWST et Euclid permettront de mieux cartographier la répartition des étoiles chez les lointains ancêtres des galaxies elliptiques actuelles. Et l'Extremely Large Telescope, avec son miroir de 39 mètres de large, fournira des détails sans précédent sur les noyaux de formation d'étoiles dans les galaxies lointaines.
De plus, des observations plus précises de la dynamique des gaz avec ALma et le Very Large Telescope révéleront comment le gaz se déplace vers les centres des galaxies, alimentant la formation d’étoiles et façonnant les galaxies que nous voyons aujourd’hui.
Annagrazia Puglisi, boursière anniversaire en astrophysique, Université de Southampton