Giacometti sculpte L’Objet invisible entre 1934 et 1935. L’objet invisible se présente comme une figure féminine stylisée, dans la veine de l’art primitif, légèrement appuyée sur une structure l’encadrant.
La base de cette structure est un double socle ménageant un espace interstitiel. La figure est entravée entre les genoux et les orteils par une plaque rectangulaire sur laquelle s’appuient les genoux dans un fléchissement.
La tête de la figure est un hexagone régulier séparé par une ligne verticale en son milieu pour marquer l’arête nasale et s’achevant par une béance figurant la bouche. Les yeux de la sculpture sont écarquillés, presque en hypnose sur le monde qu’elle observe d’un regard vide.
À la gauche de la figure, au niveau de l’assise, est posé ce qui semble être une tête d’oiseau, que l’on remarque plus particulièrement sur la première photographie. Les bras sont pliés et les mains aux longs doigts effilés, qui se rapprochent au niveau de la poitrine, semblent tenir un objet absent.
Cette belle sculpture, intrigante et mystérieuse, truffée de symboles et de références, aux sources multiples, aux grands yeux écarquillés et rivés sur l’observateur a suscité un flot de commentaires variés. Car son mystère dépasse sa simple apparence.
Cette œuvre semble représenter les doutes de Giacometti qui hésitait en effet entre plusieurs styles artistiques, par exemple le cubisme ou le surréalisme. Le XXème s est une époque charnière de l’art en tout genre :musique, littérature, arts-plastiques et de nombreux courants artistique dits »avants gardistes » voient le jour (spatialisme, futurisme, impressionnisme, etc.) et Giacometti ne semble pas encore avoir trouver sa prédilection.
Cependant Giacometti va échapper à cette étiquetage strict et va peu à peu s’éloigner des surréalistes, cette époque va marquer son retour à la représentation de nombreuses figures humaines d’inspiration africaine (par exemple : femme qui marche). Nous pouvons notamment citer cette phrase de Giacometti qui marque son intérêt pour la nature humaine :
« La plus grande aventure, celle de voir surgir quelque chose d’inconnu chaque jour dans le même visage. »
Giacometti
Nous pouvons donc imaginer que le but de Giacometti était de représenter à travers »l’objet invisible » une figure humaine archétypique, représentative de l’humanité, cette dernière n’est pas réaliste elle est simplifiée en bois, si bien que tout le monde peut se représenter cette sensation d’irréalité qui émane de la vie. La vie n’a pas de but elle est absurde comme l’immatérialité de cet objet invisible, que la sculpture essaye tant bien que mal de tenir entre ses doigts.
La vie est comme l’objet elle est vide est le non-sens est omniprésent, Giacometti était en perpétuelle recherche de la vérité humaine. La sculpture est dans un cadre, le cadre symbolise la structure que l’homme s’impose, la carapace que l’on se construit pour échapper à cette absurdité existentielle. Cette femme semble crispée, bloquée, dans son cadre qui l’étrique, la comprime et coupe son champ d’action. Giacometti nous pouvons supposer réprimandait ce cadre que la société a construit sur l’homme et donc son action sur sa pensée et sa vision.
Aux pieds de la statue se trouve des marches, qui pourraient soient représenter l’élévation de l’âme humaine vers la vérité de son existence, ou les différentes facettes profondes de l’être humain( cette pensée pourrait être alors rattachée à Freud avec le moi, le surmoi et le ça, le ça étant l’inconnu). Cependant malgré les marches la statue à les pieds bloqués par un poids, elle ne peut se redresser ni avancer, elle est bloquée face à cet objet invisible.
Nous pouvons alors nous questionner sur le rôle de l’objet :
- L’objet détourne t-il la femme de son véritable but ?
- Est-ce que l’objet est la clé de l’existence ?
- L’objet est-il vraiment invisible ?
- L’objet existe t-il ?
- Invisible veut-il dire inconnu ?
Le regard de la femme est vide, inexpressif, comme si la sculpture regardait cette vie absurde attendant de trouver l’objet qui pourrait la libérer de son cadre, de sa prison , qu’elle s’est elle-même bâtie. Le fait que la femme se trouve nu nous renvoi à l’ignorance, au commencement lorsque l’on sort du ventre de sa mère inconscient du monde qui nous entoure.
Cependant on trouve dans cette sculpture de nombreux paradoxes, en effet la femme est nu symbole d’ignorance mais elle présente les caractéristiques d’une femme adulte au niveau de sa poitrine, cependant son sexe est nu elle n’a pas de poils comme un enfant et son crâne est chauve, comme si la femme était à la recherche d’une nouvelle identité.
Même la posture de la femme est paradoxale elle n’est ni assise ni réellement debout. Nous pouvons supposer que Giacometti cherchait à représenter l’incertitude et l’ignorance des hommes face à la vie. Lorsque l’observateur regarde cette sculpture il se demande qui est cette femme qui me fixe et quel est cet objet, puis peu à peu il se questionne sur lui-même : Qui suis-je réellement ?
De plus, le fait d’avoir choisi une femme est aussi un symbole, la femme est avant tout dans la symbolique la mère qui donne naissance à la vie elle est donc la porte vers l’énigme, le symbole de l’humanité. Mais pas que car une certaine symbolique nouvelle s’est crée autour de la femme à partir du XIXème siècle qui a était imprégné d’images négatives de la femme, véhiculées par la littérature et les arts (par exemple : Mme Bovary-Flaubert).
Il semble qu’autour de l’ image de la femme se soient cristallisées toutes les interrogations et les angoisses d’une société en mutation qui découvre, à travers les premières découvertes de la psychologie expérimentale (et en particulier les travaux sur l’hystérie menés par Freud), un univers sombre et inquiétant de pulsions inconnues. L’homme alors se questionne petit à petit sur lui-même et sur sa nature profonde.
L’oiseau symbole de liberté nous nargue il a trouvé l’énigme, il est hors du cadre : L’énigme existe t-elle réellement ?
Giacometti cherche donc la vérité humaine, ses œuvres s’accompagnent donc de symbolisme, on peut percevoir dans ses œuvres une certaine recherche de l’élévation de l’esprit humain, par la forme et le symbolisme. Je pense que cette œuvre de Giacometti peut être reliée au théâtre de l’absurde et plus particulièrement à la pièce de Beckett : »En attendant Godot ». Le conflit humain dans cette pièce va être dut à l’incommunicabilité entre les personnages et à l’inaction. Les deux personnages principaux Vladimir et Estragon, sont deux personnages marginaux qui espèrent, jour après jour, l’arrivée d’un fameux Godot. Ce personnage mystérieux les sortiraient de leur errance et donnerait du sens à leur vie.
Cependant, des inquiétudes naissent peu à peu dans l’esprit des deux protagonistes :est-ce le bon jour ou le bon endroit ? Peut-être est-il déjà passé ? Que faire en attendant ? Samuel Becket va montrer ici la futilité et l’absurdité de l’existence humaine comme le fait Giacometti avec »l’objet invisible ». La psychologie et la recherche d’une identité est très présente et l’on peut notamment relier cette œuvre au courant littéraire naturaliste qui cherche à donner un sens, notamment par la génétique à nos caractéristiques les plus profondes.