Dissertation : Avons-nous des devoirs envers la nature ?
Définir les termes du sujet
La nature
La nature désigne à la fois l’ensemble des propriétés fondamentales d’un être ou d’une chose, et l’ensemble du monde physique et des principes qui l’animent.
Devoirs
Au sens large, le terme « devoirs » désigne des obligations imposées non seulement par la morale, mais aussi par les lois, les règlements, les conventions sociales. En l’occurrence, ce sont surtout les devoirs moraux qui sont interrogés.
Nous
Qui est désigné par le pronom « nous » ? S’agit-il de tous les individus ? de l’espèce humaine en général ?
Dégager la problématique
Construire un plan
Corrigé
Introduction
[Reformulation du sujet] Alors que le terme de « nature » désigne l’ensemble du monde physique et des principes qui l’animent, celui de « devoirs » renvoie à l’idée de conduites qui s’imposeraient à un « nous », c’est-à-dire aux hommes entendus comme individus et espèce. [Problématique et annonce de plan] Si nous avons des devoirs envers la nature, ne faut-il pas concevoir celle-ci comme un sujet ayant des droits et méritant le respect ? N’est-ce pas là attribuer des caractères humains à la nature ? Si, au contraire, il faut dire que nous n’avons pas de devoirs envers la nature, n’est-ce pas valider moralement son saccage ?
1. Nous avons des devoirs envers la nature
A. La nature est assimilable à une personne dotée de conscience
Comme le souligne Aristote dans sa Physique, la nature paraît ordonnée en vue de fins. Le corps humain, par exemple, est d’une telle complexité qu’il semble difficile de n’y voir que le résultat du hasard. Tout se présente donc comme si la nature voulait produire un tel résultat.
Aristote ne prête peut-être pas des intentions au sens strict à la nature, mais montre la nécessité de rendre compte de celle-ci en recourant à l’idée de finalité.
B. La nature est un ensemble d’êtres vivants
Certains animaux sont manifestement proches des hommes, du fait qu’ils semblent dotés de conscience, à tel point que Montaigne soutient dans ses Essais qu’« il y a plus de différence de tel homme à tel homme qu’il n’y a de tel homme à telle bête ». C’est ainsi que certains animaux disposeraient même du langage !
C. La nature est belle
Selon l’Américain Emerson, les devoirs que l’homme a envers la nature se manifestent dans le sentiment d’émerveillement qui est le nôtre devant les paysages qu’elle nous offre. Celui qui aime la nature la voit avec révérence et conserve son esprit d’enfant, car la forêt recèle une éternelle jeunesse.
2. La nature n’est pas un sujet de droit
A. La nature n’est que matière et étendue
La science moderne nous a appris que la nature pouvait être conçue entièrement comme un mécanisme. Elle est assimilable à un livre « écrit en langage mathématique » (Galilée). Elle ne doit pas être entendue comme « quelque déesse, ou quelque autre sorte de puissance imaginaire » (Descartes). En droit, elle est totalement explicable par des principes rationnels. Elle est bien un ensemble de lois aveugles et parler de devoirs dans ce contexte est totalement dépourvu de signification.
B. La nature n’est pas une personne
Selon Jacques Monod, les effets de finalité intentionnelle s’expliquent entièrement par le jeu de causes matérielles aveugles et du hasard. La personnification de la nature apparaît alors comme une forme d’anthropomorphisme qui n’a pas lieu d’être.
C. La nature ne saurait avoir de devoirs envers les hommes
Jean Piaget soutient qu’il n’est possible pour l’individu de s’imposer des devoirs qu’envers des êtres susceptibles de s’imposer les mêmes devoirs à son égard. Ce n’est pas le cas de la nature, dont les tremblements de terre et éruptions volcaniques frappent les hommes au hasard. L’idée de devoirs envers la nature est donc caduque.
3. Nous avons des devoirs indirects envers la nature
A. Le respect de la nature s’impose pour l’homme lui-même
Dans ses Leçons d’Éthique, Kant explique que si les hommes doivent respecter la nature, c’est pour l’homme lui-même. Ainsi, par exemple, un homme qui abat son chien n’enfreint pas un devoir qu’il a envers son chien, mais « il commet un acte qui heurte en lui le sentiment d’humanité ». Un homme cruel envers les animaux commet un acte qui contredit « l’affabilité bienveillante », montrant, par là-même, qu’il pourrait également être cruel envers ses semblables.
Jonas étend ce devoir aux générations futures : lutter contre la pollution est une conduite qui s’impose par respect envers les hommes à venir.
B. La nature est un concept large
Nous avons peut-être des devoirs envers certains animaux, mais nous n’en avons pas envers les minéraux. Selon Peter Singer, « si un être souffre, il ne peut y avoir aucune justification morale pour refuser de prendre en considération cette souffrance ». Autant il semble difficile de soutenir l’existence d’une souffrance minérale, autant on ne peut en nier l’existence chez les animaux.
La maximisation du bien-être de tous passe par celui de tout être sensible, indépendamment de son intelligence. Ainsi, il ne s’agit pas de soutenir que les hommes et les animaux doivent être traités de manière identique et, par exemple, de « donner le droit de vote aux cochons », mais de changer notre façon de percevoir et de traiter ces derniers, c’est-à-dire de ne pas mépriser les intérêts des non-humains.
C. L’homme peut souhaiter préserver la nature
On peut reconnaître qu’il existe généralement chez les hommes le désir de vivre une vie proche d’une nature préservée. C’est ce qu’illustre le phénomène croissant de rurbanisation, dont parlent Antoine Bailly et Lise Bourdeau-Lepage : tout en conservant le confort, ces hommes de plus en plus nombreux souhaitent mener une existence campagnarde.
Conclusion
Au sens strict, nous n’avons pas de devoirs envers la nature. Néanmoins, nous avons des devoirs indirects (pour l’homme) envers elle, et peut-être envers les animaux qui connaissent la souffrance. Enfin, au-delà des prescriptions morales existe un désir humain de préserver la nature : l’homme réclame la possibilité d’être toujours émerveillé par les paysages naturels préservés. L’homme éprouve une sorte de désir d’osmose avec la nature, par-delà le bien et le mal, qui est irréductible à une simple stratégie de survie de l’humanité.