Modernité poétique ?
poésie
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Sujet d’écrit • Dissertation
Comment définir la modernité poétique ?
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L’équilibre entre tradition et modernité suffit-il à définir la modernité poétique ?
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Introduction
[Accroche] Apollinaire est très souvent présenté comme un poète moderne rompant avec les différentes traditions des siècles passés et introduisant la vie moderne dans ses poèmes.
[Citation] Pourtant s’il affirme qu’« on ne peut transporter partout avec soi le cadavre de son père », il écrit aussi que « nos pieds ne se détachent qu’en vain du sol qui contient les morts. »
[Explicitation du sujet] S’il faut, pour être un créateur, s’émanciper de l’influence de ses prédécesseurs et ne surtout pas se contenter de reproduire ce qu’ils ont fait, il faut aussi savoir puiser dans le passé les éléments d’une poésie nouvelle. On est donc tenu de se demander si cet équilibre entre tradition et modernité suffit à définir la modernité poétique.
[Annonce du plan] Nous verrons tout d’abord quelle dialectique s’opère entre modernité et tradition [I], puis nous chercherons à savoir comment cette alliance entre deux extrêmes peut fonder un lyrisme nouveau [II].
I. Tradition ou modernité ?
► Le secret de fabrication
Il s’agit de repérer les indices de la modernité et ceux de la tradition et de montrer comment modernité et tradition peuvent coexister.
1. Les indices de la modernité
La modernité, c’est-à-dire ce qui pourrait rompre avec une certaine tradition, se manifeste au moins sous deux formes.
Tout d’abord les thèmes. Ils sont pris dans la réalité de ce monde moderne de la fin du xixe et du début du xxe siècle. Apollinaire, dans Alcools, fait l’éloge de la « rue industrielle » et « Zone » commence par l’évocation de la Tour Eiffel. Cendrars, dans Du monde entier, consacre un poème au transsibérien et un autre au canal du Panama.
C’est aussi le travail sur le vers. Cendrars, comme Apollinaire déstabilisent le vers en en supprimant la ponctuation. Ils utilisent le vers libre, en l’allongeant parfois jusqu’à ce qu’il se confonde avec de la prose, ce que note le titre (provocateur) choisi par Cendrars pour un de ses poèmes les plus connus : La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France. Max Jacob, quant à lui, choisit le poème en prose dans Le Cornet à dés.
2. Les indices de la tradition
Mais derrière ces indices d’une modernité revendiquée, on trouve aussi les traces d’une poésie plus traditionnelle.
Il suffit de regarder la composition du recueil d’Apollinaire pour s’apercevoir que la majorité des poèmes se présentent sous la forme de strophes régulières et que le poète utilise alexandrins, octosyllabes, décasyllabes et heptasyllabes.
conseil
Apollinaire fait souvent référence à des personnages ou à des épisodes appartenant aux temps anciens. Cherchez à les élucider, cela vous permettra de mieux comprendre Alcools.
Le poète puise ses références dans les , qu’ils soient mythologiques (« Brasier »), bibliques (« Salomé »), appartenant au cycle arthurien (« Merlin et la vieille femme ») ou tous confondus comme dans « La chanson du mal aimé » où se côtoient, entre autres, les références à Ulysse, à la Bible, et à la mythologie hindoue.
Reverdy, quant à lui intitule certains de ses poèmes « La fuite du temps » ou encore « Jour monotone », qui sont des thématiques traditionnelles.
3. La coexistence de la tradition et de la modernité
La modernité ne signifie pas le refus total d’une poésie ancienne considérée comme dépassée. Au contraire, il s’agit d’un mariage subtil entre passé et présent.
des points en +
« Je ne me suis jamais présenté comme destructeur mais comme bâtisseur. » Apollinaire, Lettre à Billy, 29 juillet 1918.
Ainsi Apollinaire écrit dans une lettre à sa marraine : « Pour ce qui est de la poésie libre dans Alcools, il ne peut y avoir aujourd’hui de lyrisme authentique sans la liberté complète au poète et même s’il écrit en vers réguliers, c’est la liberté qui le convie à ce sujet. Sans liberté il ne saurait y avoir de poésie. »
Cette liberté peut se manifester dans une utilisation plus prosaïque du vers régulier. Ainsi, dans « Loreley » poème composé d’alexandrins en distiques, se glisse parfois un vers de 14 syllabes ou un vers de 17 syllabes. A contrario, un alexandrin peut se glisser dans une strophe en vers libres ; c’est le cas, par exemple, de ce vers de La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France : « En ce temps-là, j’étais en mon adolescence ».
Le goût du pastiche, pratiqué par Max Jacob, relève bien de ce mélange entre tradition et modernité : le pastiche (qui imite un ancien) oscille toujours entre éloge et moquerie, comme le montre ce titre « Poème dans un goût qui n’est pas le mien » (Le Cornet à dés).
[Transition] Si le jeu entre tradition et modernité est bien un indice d’une modernité poétique, il ne suffit pas à définir cette modernité poétique du début du xxe siècle. Il y faut aussi un souffle nouveau.
II. Un lyrisme nouveau
► Le secret de fabrication
Comment définir le « lyrisme nouveau » auquel aspire Apollinaire ? Quelles en sont les caractéristiques ?
1. « L’esprit nouveau »
Sans être véritablement ce qu’on appelle un chef de file, Apollinaire publie des textes théoriques sur la peinture (le cubisme) et tente de définir ce qu’il appelle « l’esprit nouveau » en poésie.
En 1917, Apollinaire écrit dans L’Esprit nouveau et les poètes que « La surprise est le grand ressort nouveau. C’est par la surprise, par la place importante qu’il fait à la surprise que l’esprit nouveau se distingue de tous les mouvements artistiques et littéraires qui l’ont précédé. »
Cette recherche de l’effet de surprise se manifeste, par exemple, dans « Chantre » constitué d’un monostiche au sens énigmatique (« Et l’unique cordeau des trompettes marines »), surprise d’autant plus forte que le poème est inséré entre deux poèmes plus longs et aux thématiques différentes.
Les jeux sur les mots (forme et sens), les calembours relèvent du même effet : « Le cuisinier plume les oies / Ah tombe neige / Tombe et que n’ai-je / Ma bien-aimée entre les bras » (« La blanche neige »)
2. Un lyrisme visuel
Les calligrammes d’Apollinaire ne sont pas une simple fantaisie du poète, mais traduisent la recherche d’une nouvelle poésie visuelle.
En effet, toujours dans L’Esprit nouveau et les poètes, Apollinaire note que « Les artifices typographiques poussés très loin avec une grande audace ont l’avantage de faire naître un lyrisme visuel qui était presque inconnu avant notre époque. Ces artifices peuvent aller très loin encore et consommer la synthèse des arts, de la musique, de la peinture et de la littérature. »
Apollinaire et Cendrars introduisent des chiffres dans leurs vers : « il y a les livraisons à 25 centimes », « Pie X » (Apollinaire), ou même dans les titres des poèmes « 35° 57’ latitude nord 15° 16’ longitude ouest » (Cendrars).
Les poètes s’inspirent des collages des peintres cubistes : Cendrars, dans « Le Panama ou les aventures de mes sept oncles » insère un prospectus en anglais. Reverdy délaisse l’alignement systématique des vers sur la marge gauche et les organise de manière dynamique comme des lignes graphiques sur le blanc de la page.
3. Un lyrisme fondé sur un nouvel élan
Ce lyrisme nouveau prend son essor sur le quotidien, la recherche de soi, et une aspiration à la spiritualité.
des points en +
« Nous avons vu aussi depuis Alfred Jarry le rire s’élever des basses régions où il se tordait et fournir au poëte un lyrisme tout neuf. […] Aujourd’hui, le ridicule même est poursuivi, on cherche à s’en emparer et il a sa place dans la poésie, parce qu’il fait partie de la vie au même titre que l’héroïsme et tout ce qui nourrissait jadis l’enthousiasme des poëtes. » Apollinaire, L’esprit nouveau, 1917.
Les poètes continuent à réhabiliter les objets du quotidien, les situations qui pourraient sembler insignifiantes ; comme au début de ce poème de Cendrars, justement intitulé « Menu fretin » : « Le ciel est d’un bleu cru / Le mur d’en face est d’un blanc cru / Le soleil cru me tape sur la tête. »
Le « je lyrique » est à la recherche de lui-même, comme on le voit dans de nombreux poèmes d’Alcools (« Zone » où on suit la déambulation du poète dans la ville ; ou encore dans ce vers de « Cortège » : « Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes »).
Cette recherche de soi s’accompagne d’une aspiration à la spiritualité, à l’élévation, à un sens transcendant. Une telle aspiration se manifeste dans « Zone » (« La religion seule est restée toute neuve la religion »), mais aussi chez d’autres poètes comme Max Jacob ou Reverdy. L’ouvrage en prose poétique de Cendrars, Le Lotissement du ciel, relève de cette même fascination.
Conclusion
[Synthèse] Comme l’écrit Apollinaire dans sa lettre à Billy, la modernité poétique n’est pas œuvre de destruction, il s’agit plutôt de donner un nouveau souffle au monde ancien, d’en jouer librement afin d’inventer ce lyrisme nouveau où se rencontrent le rire, la surprise, la mélancolie, le trivial, le questionnement de soi et la spiritualité.
[Ouverture] Un art du collage qui se rapproche du renouveau opéré par les peintres cubistes du début du siècle qui mêlent eux aussi dans leurs tableaux, lettres et images, et auquel André Breton rendra hommage.