Sujet d’écrit • Dissertation
Le « je » lyrique : un « je » autobiographique ?
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Qu’apporte la dimension autobiographique au « je » lyrique de la poésie romantique ?
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Introduction
[Accroche] « Qu’est-ce que Les Contemplations ? C’est ce qu’on pourrait appeler, si le mot n’avait quelque prétention, les Mémoires d’une âme », écrit Victor Hugo dans sa préface. En insistant sur le caractère autobiographique de son recueil, il semble vouloir faire du « je lyrique », propre à la poésie romantique, un « je autobiographique ».
[Explicitation du sujet] On peut alors se demander ce qu’apporte la dimension autobiographique au « je lyrique » de la poésie romantique.
[Annonce du plan] Nous verrons d’abord quelle place occupent le « je lyrique » et le « je autobiographique » dans la poésie romantique [I] ; nous nous demanderons ensuite, en nous appuyant sur la lecture des Contemplations, si le « je lyrique » peut vraiment se glisser dans le « je autobiographique » [II] ; enfin, nous tenterons de savoir si un « je lyrique » qui serait aussi un « je autobiographique » peut devenir le « je » du lecteur [III].
I. La place du « je lyrique » et du « je autobiographique » dans la poésie romantique
m Le secret de fabrication
Le lyrisme est défini comme l’expression forte d’une subjectivité sur des thèmes comme l’amour, la mort, la nature. Mais le « je lyrique » n’est pas obligatoirement un « je autobiographique », dans le sens où il n’est pas nécessaire que le poète ait vécu en personne les événements qu’il prend pour motifs de ses poèmes.
1. Une revendication de l’expression du « je »
Avec le romantisme, le « je lyrique » prend une place nouvelle caractérisée par l’expression des sentiments subjectifs.
« Je suis le premier qui ai fait descendre la poésie du Parnasse, et qui ai donné à ce qu’on nommait la muse, au lieu d’une lyre à sept cordes de convention, les fibres mêmes du cœur de l’homme, touchées et émues par les innombrables frissons de l’âme et de la nature », écrit Lamartine dans la préface des Méditations poétiques.
La poésie romantique est donc une poésie du cœur, qui cherche à exprimer les émotions directement grâce à un langage poétique moins conventionnel qu’auparavant, plus souple, plus sensible, apte à reproduire les mouvements intimes de l’âme.
La poésie romantique se réclame d’Orphée, chantant sa douleur après la mort d’Eurydice. Le chant lyrique est incarné par la personne du poète.
2. Le « je lyrique »
La question se pose alors de l’identité de ce « je lyrique » : le poète est-il lui-même le sujet de son écriture, ou un « je » plus universel ?
C’est ainsi que dans le même recueil, Méditations poétiques, Lamartine adresse un « Hymne au soleil », exprime la douleur de la perte d’un amour (« Isolement ») et s’adresse à son lecteur : « Qui n’a pas entendu cette voix dans son cœur ? » (« Vallon »).
Méditations poétiques est un recueil teinté de mélancolie, à l’image de Lamartine, qui, comme Orphée, ne peut voir le monde qu’à travers sa douleur. Mais l’expression de sa mélancolie ne fait pas de son recueil un recueil autobiographique.
3. Le poème autobiographique
mot clé
L’autobiographie est un « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. » P. Lejeune, Le Pacte autobiographique, 1975
Certains poèmes retracent de manière plus explicite le parcours du poète, et pourraient à ce titre être qualifiés d’.
Le poète peut affirmer ses préférences. Ainsi de ce vers « J’aime le souvenir de ces époques nues, / Dont Phoebus se plaisait à dorer les statues », dans lequel Baudelaire expose ses goûts esthétiques.
La datation et/ou la mention du lieu peuvent ancrer le poème dans la vie du poète : « C’est le temps de la ville. – Oh ! lorsque l’an dernier, /J’y revins, que je vis ce bon Louvre et son dôme, / Paris et sa fumée, et tout ce beau royaume » (Musset, Contes d’Espagne et d’Italie, « Sonnet », 1830).
« Nuit de décembre » de Musset fait figure de poème autobiographique. On le voit écolier, adolescent, jeune homme amoureux, adulte, au chevet de son père ou dans les banquets. On suit son évolution jusqu’au moment de l’écriture du poème : la douleur de la rupture d’avec la femme aimée.
[Transition] Mais la poésie peut-elle vraiment accueillir le projet autobiographique ?
II. Le « je » des Contemplations peut-il être un « je autobiographique » ?
m Le secret de fabrication
Il s’agit de montrer en quoi le projet autobiographique annoncé par Hugo dans sa préface se différencie de l’autobiographie telle qu’elle est définie par Philippe Lejeune.
1. Brouillage du genre : journal intime, mémoire, autobiographie
À la manière de Rousseau dans son préambule aux Confessions, Hugo conclut avec son lecteur « un pacte de sincérité ».
Lorsqu’il écrit qu’il « a laissé, pour ainsi dire, ce livre se faire en lui », il nous garantit la véracité des événements et des sentiments.
En affirmant avoir écrit « jour à jour », Hugo présente Les Contemplations comme un journal intime. Pourtant elles relèvent bien du genre des mémoires comme le prouvent le sous-titre « Mémoires d’une âme » et le fait qu’il ait écrit le recueil entre 1840 et 1850 (dates qui ne correspondent ni à son enfance ni à son adolescence).
2. Le brouillage du temps
Un projet autobiographique s’inscrit dans une continuité historique, pourtant cette temporalité est brouillée.
La composition du recueil en deux grandes parties « Autrefois » et « Aujourd’hui », ainsi que les trois livres qui les composent, se succèdent chronologiquement.
Mais un désordre s’installe : par exemple « À Granville, en 1836 », précède le poème « Vers 1820 ». De plus, les dates sont peu précises : dans le deuxième livre, seul un poème est précisément daté (juin 1839), un autre précise la décennie (septembre 183…). Les autres poèmes ne portent que la mention du mois et du siècle : juin 18…
3. Le discontinu ou l’émiettement du « je »
La poésie, par sa forme même, accueille difficilement le projet autobiographique.
La prose va de l’avant de manière continue, alors que chaque poème vaut pour lui-même et constitue souvent une forme brève.
Il suffit d’observer la suite des poèmes du livre I pour voir qu’y règnent le discontinu et l’ellipse. Quelle continuité trouver entre « La vie aux champs » (I, 6) et « Réponse à un acte d’accusation » (I, 7) ou entre « À madame D.G de G. » (I, 10) et « Lise » (I, 11) ?
à noter
Maulpoix et un poète contemporain, auteur d’essais critiques sur la poésie. Dans un de ses articles, il s’interroge sur la place du « je » dans la poésie.
[Transition] Ainsi, on peut dire avec , que « Là où l’autobiographie tend à centrer la figure, la poésie l’émiette, la disperse et la dé-figure ».
III. L’association du « je lyrique » et du « je autobiographique » : le miroir du lecteur ?
m Le secret de fabrication
Comment le « je » autobiographique et le « je » lyrique, qui, selon Hugo, dépasse sa propre individualité, cohabitent-ils dans la poésie pour devenir le miroir du lecteur ?
1. « On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. »
Dans sa préface, Hugo reprend un reproche souvent adressé aux poètes romantiques : ils sont trop centrés sur eux-mêmes.
Un peu plus tard, en 1871, Rimbaud critiquera violemment cette poésie submergée par le « je » : « Sans compter que votre poésie subjective sera toujours horriblement fadasse » écrit-il dans sa Lettre à Izambard.
D’autre part, au lieu de tendre à l’universel, le poème n’est parfois qu’un miroir narcissique. Dans la « Nuit de décembre » de Musset, cet « autre qui [lui] ressemblait comme un frère » et qui revient de manière lancinante n’est que son propre reflet.
2. Le miroir du lecteur ?
Pour éviter cet égocentrisme, Hugo affirme, dans sa préface, que « Ce livre contient, nous le répétons, autant l’individualité du lecteur que celle de l’auteur. Homo sum. »
Le « je » autobiographique est alors un « je » collectif dans lequel le lecteur doit apprendre à se reconnaître, car tous les hommes ont une même destinée, de « l’énigme du berceau » à « l’énigme du cercueil ».
Il y a une universalité des états d’âme même si les événements qui les provoquent sont différents de ceux vécus par le lecteur : le « je » lyrique s’adresse plus directement au lecteur que le « je autobiographique ».
des points en +
On peut mettre en relation cette adresse au lecteur avec le poème liminaire des Fleurs du mal dans lequel Baudelaire apostrophe le lecteur : « Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère ! »
Car c’est au d’apprendre à se reconnaître dans le miroir tendu par le poète : « Hélas ! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! », écrit Hugo dans sa préface.
3. Je est un autre
Si la poésie est ce miroir qui fait passer du je au je (Musset), du je au nous (Hugo), elle peut être aussi ce qui permet au « je » de se voir « autre ».
C’est ce qu’exprime Rimbaud dans sa lettre à Demeny (1871) : « Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène. »
C’est ce qu’explique Lamartine dans sa préface aux Méditations poétiques : « J’aimais et j’incorporais en moi ce qui m’avait ému ; j’étais une glace vivante qu’aucune poussière de ce monde n’avait encore ternie, et qui réverbérait l’œuvre de Dieu ! De là à chanter ce cantique intérieur qui s’élève en nous, il n’y avait pas loin. Il ne manquait que la voix. Cette voix que je cherchais et qui balbutiait sur mes lèvres d’enfant, c’était la poésie. »
Conclusion
[Synthèse] Il serait vain de tenter de réduire le « je lyrique » au « je autobiographique », ou de rechercher la vérité du « je autobiographique » dans le « je lyrique », car le passage par la poésie trouble par sa nature même, le projet autobiographique.
[Ouverture] Ce « je » qu’il soit lyrique ou autobiographique sera rejeté par les parnassiens et par les symbolistes, et particulièrement par Mallarmé qui cherche la « disparition élocutoire du poète » pour laisser parler la poésie elle-même et passer de la parole poétique à l’acte poétique.