Dissertation
Doit-on tout faire pour être heureux ?
Définir les termes du sujet
Devoir
« Doit-on ? » peut signifier « a-t-on le devoir ? » ou « est-il bon de ? ». Cela suppose qu’on ait le choix : il s’agit donc d’une question morale, qui implique que l’on justifie ce choix.
Tout faire
« Tout faire » signifie « faire tout ce qu’il nous est possible de faire, en vertu de nos forces et de nos capacités ».
Cela peut également signifier « faire n’importe quoi ». En ce sens, la question signifie : doit-on employer tous les moyens, quels qu’ils soient, pour parvenir à cette fin ?
Bonheur
Étymologiquement, bonheur vient de augurium, qui en latin signifie « chance » : le bonheur nous adviendrait par hasard, indépendamment de notre volonté ou de nos mérites.
S’il est impossible de définir les conditions du bonheur, puisque les mêmes choses ne nous rendent pas tous heureux, on peut en revanche définir le bonheur comme un sentiment de satisfaction durable, distinct, en cela, du bien-être qui ne désigne que la sensation de satisfaction ponctuelle du corps.
Dégager la problématique
Construire un plan
Corrigé
Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
[Reformulation du sujet] Il s’agit ici de se demander s’il est impératif d’ordonner notre vie à la visée du bonheur. A priori, il peut sembler paradoxal de faire de la quête du bonheur un impératif : ne le recherchons-nous pas naturellement ? [Définition des termes du sujet] « Doit-on ? » peut signifier : « a-t-on le devoir ? », ou « est-il bon de ? ». « Tout faire » signifie : « faire tout ce qu’il nous est possible de faire, en vertu de nos forces et de nos capacités », ou encore « faire n’importe quoi ». Le bonheur est un sentiment de satisfaction durable, distinct en cela du bien-être, qui ne désigne, lui, que la sensation de satisfaction ponctuelle du corps. Ce terme vient du latin augurium, qui signifie « chance » : le bonheur – comme le malheur, d’ailleurs – nous adviendrait par hasard, indépendamment de notre volonté. [Problématique] Mais alors, ne serait-il pas absurde de tout faire pour devenir heureux ? Et, à supposer que nous puissions faire notre propre bonheur, sa poursuite justifie-t-elle toutes les actions entreprises en vue de l’obtenir ? [Annonce du plan] Nous verrons d’abord qu’on ne doit pas tout faire pour être heureux dans la mesure où la quête du bonheur ne peut faire l’objet d’un impératif. Mais si la poursuite du bonheur ne peut pas justifier tous nos actes, si en ce sens nous ne devons pas faire n’importe quoi pour être heureux, pourtant ne devons-nous pas faire tout notre possible pour l’être ?
1. On ne doit pas tout faire pour être heureux
A. Le bonheur ne dépend pas de nous
Dans un premier temps, on pourrait penser qu’on ne doit pas tout faire pour être heureux dans la mesure où ordonner toutes nos actions à la poursuite du bonheur pourrait sembler absurde.
En effet, si, comme son étymologie l’indique, le bonheur ne dépend pas de nous, s’il ne dépend pas de nos efforts ni de notre volonté, mais du hasard et de la chance, alors tout ce que nous ferions en vue de l’obtenir serait vain. Si le bonheur nous advient de façon accidentelle, sans résulter de nos efforts ni de notre vertu, alors il ne saurait devenir le but de notre vie, auquel nous devrions ordonner tous nos actes.
B. Le bonheur ne doit pas être le but de notre vie
C’est précisément ce que remarque Kant : le bonheur nous advient ou non, indépendamment de ce que nous faisons. De fait, nous pouvons être vicieux et heureux, comme vertueux et malheureux. Par conséquent, le bonheur ne saurait être le but de notre vie et le principe de nos actions, puisque la poursuite du bonheur peut nous incliner indifféremment au vice comme à la vertu.
Si « tout faire », c’est faire le bien comme le mal, alors nous ne pouvons en aucun cas avoir l’obligation morale de tout faire pour être heureux. Un devoir est en effet une obligation morale, et aucun impératif moral ne pourrait nous prescrire, sans contradiction, de faire le bien comme le mal.
La seule chose que nous devons faire, dit Kant, ce qu’il est en notre pouvoir de faire et ce qui peut être une obligation morale pour nous, c’est d’écouter notre raison, faculté morale propre à l’homme, afin de réaliser notre humanité en devenant vertueux. Par conséquent, nous devons tout faire pour être vertueux, y compris sacrifier, si besoin est, notre bonheur à cette quête morale.
[Transition] Pourtant, le bonheur ne peut-il en aucun cas être un but pour nous ? N’y a-t-il aucun moyen de l’obtenir, ne dépend-il pas du tout de nos efforts ? Et, finalement, est-il si sûr que la poursuite du bonheur nous incline nécessairement à faire n’importe quoi ?
2. On ne doit pas faire n’importe quoi pour être heureux
A. Le vice rend malheureux
Dans un second temps, on peut pourtant se demander s’il est vrai que le bonheur advient indépendamment de nos efforts, et s’il est certain que le vice comme la vertu puissent nous conduire au bonheur. Que l’on ne doive pas faire « tout et n’importe quoi », c’est-à-dire que l’on ne doive pas emprunter les chemins du vice pour parvenir au bonheur, c’est précisément ce que démontre Rousseau dans la Lettre à M. d’Offreville, en établissant le caractère fallacieux de l’idée d’un bonheur obtenu par le vice.
S’il n’est pas suffisant, dit Rousseau, de faire le bien pour être heureux – le bonheur dépendant pour une bonne part de l’obtention de biens qui ne dépend pas de notre conduite morale –, faire le bien procure pourtant une satisfaction, condition nécessaire d’accès au bonheur. Celui qui fait le mal, dit Rousseau, ne peut jouir que d’un faux bonheur et se trouve incapable de supporter les maux. En ce sens, on peut donc dire qu’il est insensé de faire n’importe quoi si l’on veut être heureux : ce que nous interdit le vice, c’est la possibilité même de jouir d’un vrai bonheur.
B. La poursuite du bonheur implique d’être vertueux
Que la poursuite du bonheur ne doive pas nous porter à faire n’importe quoi, c’est encore ce que démontre Spinoza, en définissant la vertu comme le fait de se conformer à ce que veut notre nature, et le vice comme le fait de tourner le dos à ce que veut notre nature. Mais que veut notre nature ?
Notre nature veut que nous conservions et développions notre être, dit Spinoza. Or, le bonheur, dit-il, « consiste pour l’homme à pouvoir conserver son être ». Ainsi, pour obtenir le bonheur, nous devons nous écarter des passions tristes, qui diminuent notre puissance d’agir. Si la nature nous pousse à chercher le bonheur, elle nous pousse à chercher notre utile propre, qui coïncide avec celui d’autrui : pour devenir heureux, il est donc nécessaire d’adopter des principes moraux qui ne sont pas contraignants mais nécessaires pour réaliser notre bonheur.
[Transition] Mais alors, si nous voyons ce qu’il nous faut éviter pour devenir heureux, savons-nous aussi ce qu’il faut faire ? Que nous est-il possible de faire pour obtenir le bonheur ? Est-il si certain qu’il ne soit pas entièrement en notre pouvoir ?
3. On doit faire tout ce qui est en notre pouvoir pour être heureux
A. Le bonheur est le but de notre vie
S’il est faux de croire que faire tout et n’importe quoi, y compris le mal, nous procurera le bonheur, il est en revanche tout à fait justifié de mettre toutes nos forces au service de cette quête.
C’est en particulier ce qu’indique Épicure : nous devons tout mettre en œuvre pour devenir heureux, d’une part parce que le bonheur est l’ultime fin, le plus grand bien pour nous, ce que nous indique la nature en nous poussant spontanément à le rechercher. D’autre part parce que nous pouvons tous devenir heureux, à condition, précisément, de ne pas céder aux diverses passions liées à notre ignorance.
B. Il existe une méthode du bonheur
Dans la Lettre à Ménécée, Épicure développe ainsi une méthode du bonheur, nommée tetrapharmakos (quadruple remède), qui entend nous apprendre à accéder à un bonheur défini comme ataraxie, c’est-à-dire « absence de troubles ». Que faut-il faire pour être heureux ?
La première condition d’accès au bonheur, dit-il, est de combattre les craintes qui nous empêchent de bien vivre. Ces craintes fondamentales (des dieux, de la mort) reposent en premier lieu sur une ignorance à laquelle il est possible de remédier par la philosophie, entendue comme « soin de l’âme », médecine qui s’appuie sur la connaissance pour nous délivrer des troubles. Une fois débarrassés des craintes, nous pourrons combattre l’illimitation du désir (qui nous jette bien souvent dans de faux plaisirs et nous voue à la souffrance) et notre incapacité à endurer la douleur. Enfin, nous pourrons apprendre à agir selon un calcul des plaisirs et des peines, en vue d’obtenir le plus grand bonheur.
Ainsi, il est bon de faire tout ce qu’il nous est possible de faire pour être heureux, non seulement parce que le bonheur est ce pour quoi nous sommes faits, mais parce qu’il est en notre pouvoir d’apprendre à devenir heureux.
Conclusion
En définitive, on peut dire que si la poursuite du bonheur ne peut pas faire l’objet d’un devoir au sens d’obligation morale, elle apparaît pourtant comme une quête légitime. Il est faux de dire qu’il faille faire tout et n’importe quoi pourvu qu’on atteigne le bonheur, puisque la conduite déréglée, l’action sans principe, nous plonge dans l’incertitude et le malheur. En revanche, il convient de mettre toutes nos forces au service de la recherche du bonheur, en ce qu’il est la fin ultime que la nature nous donne les moyens d’atteindre.