France métropolitaine 2018 • Dissertation de série L
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France métropolitaine • Juin 2018
dissertation • Série L
La culture nous rend-elle plus humain ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
La culture
Ce terme vient du latin colere qui signifie « mettre en valeur ». Cela s’applique aussi bien à la terre (l’agriculture), à l’esprit (la connaissance) qu’aux pratiques humaines (la civilisation).
Nous rend-elle
Il s’agit de savoir si la culture a une action positive ou négative sur notre qualité d’humain. Le terme « rendre » indique que la culture s’inscrit dans un processus évolutif.
Plus humain
Le terme « plus » peut s’entendre comme un progrès quantitatif : la question est de savoir si la culture nous rend plus « homme » que nous ne le sommes déjà, par rapport aux animaux par exemple, en raison de notre nature inachevée. Mais « plus » peut également indiquer une augmentation qualitative, elle viserait alors nos valeurs morales, notre « humanité », par rapport à ce qui serait considéré comme inhumain ou barbare. Son sens ici pourrait par exemple être celui de la compassion. En demandant si la culture nous rend « plus » humain, le sujet présuppose que nous le sommes déjà sans elle.
Dégager la problématique et construire le plan
La problématique
La culture semble être le propre de l’homme dans la mesure où, contrairement à l’animal, il ne reste pas à l’état de nature. Cependant, si la culture enrichit l’homme de connaissances et de pratiques, elle n’est pas pour autant garante d’une moralisation. À quelles conditions la culture peut-elle alors nous rendre plus humain ?
Le plan
Dans un premier temps, nous verrons que la culture introduit une médiation entre l’homme et la nature en lui permettant d’acquérir des connaissances et de maîtriser des pratiques (art, langage, techniques, civilisation, socialisation…).
Ensuite, nous verrons que même si la culture nous permet de nous distinguer de l’animal, elle ne nous garantit pas d’être plus humain au sens moral de compassion.
Enfin, nous nous interrogerons sur les conditions d’« une » culture qui rassemble les hommes autour d’une même communauté morale.
Éviter les erreurs
La première erreur serait de se contenter de lister des exemples d’éléments de la culture qui nous font progresser face à ceux qui nous font régresser.
La seconde erreur serait de restreindre l’analyse des termes : la culture renvoie autant à la connaissance qu’à l’idée de civilisation, et l’adjectif « humain » désigne à la fois la spécificité humaine par rapport à l’animal et la valeur morale par rapport à la barbarie.
Corrigé
Corrigé
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
info
Les termes du sujet ont différents sens : il faut les faire varier pour problématiser.
La culture s’oppose à la nature dans la mesure où elle consiste, selon son étymologie latine colere, à « mettre en valeur » soit la terre et elle désigne l’agriculture, soit l’esprit et elle désigne l’ensemble des connaissances, la dimension intellectuelle qui nous distingue des bêtes, soit l’ensemble des pratiques, savoir-faire, traditions, institutions et valeurs propres à un groupe humain et on parle alors de civilisation.
Il semble clair qu’avec ces différents sens, la culture exprime la spécificité humaine, la marque de la supériorité de l’homme sur l’animal. Peut-on alors dire que plus nous développerons notre culture, plus nous nous distinguerons de la nature ? La culture nous rend-elle plus humain ?
Mais être humain ne renvoie pas seulement à notre distinction d’avec les bêtes. Être humain c’est aussi faire preuve moralement de compassion envers les autres. La culture est-elle alors un gage de moralité ? Rien n’est moins sûr si l’on se réfère aux événements dramatiques de l’histoire du xxe siècle. À quelles conditions la culture peut-elle alors nous rendre plus humain ?
1. La culture, une spécificité de l’homme
A. La culture est le signe de l’intelligence de l’homme
Pour savoir ce qu’est un homme, il faut le distinguer de ce qui lui est le plus proche, à savoir l’animal. Dans leurs activités, ils semblent tous deux pouvoir fabriquer des objets. Ainsi, on pourrait comparer une ruche et une maison. Mais selon Marx, dans Le Capital, ce qui distinguera toujours l’architecte le plus mauvais de « l’abeille la plus experte » c’est bien la possibilité pour l’homme de penser ce qu’il va faire avant de le réaliser. Si les résultats sont similaires, les processus de production, en revanche, sont radicalement différents : l’animal travaille par instinct, commandé par la nature ; l’homme met à distance la nature en exprimant son intelligence et sa volonté. Ainsi, l’homme invente des techniques par son travail (expression de sa culture) qui crée un intermédiaire entre lui et la nature.
B. La culture distingue l’homme de l’animal
Selon le mythe que l’on trouve dans Protagoras de Platon, la technique dérobée aux dieux par Prométhée pour combler l’absence de qualité permettant d’assurer la survie des hommes (que son frère Titan avait oubliés) est à la fois le signe du caractère inachevé de l’homme et en même temps le signe de sa supériorité par rapport aux autres vivants. Il tire sa valeur de pouvoir survivre en en inventant lui-même les moyens. Plus il exprime son ingéniosité pour s’adapter à un nouvel environnement, plus il s’exprime en tant qu’être de culture qui crée constamment des médiations entre lui et la nature originellement peu généreuse à son égard.
C. La culture permet à l’homme de maîtriser la nature
Mais la culture, comme expression de l’intelligence et du travail de l’homme, n’est pas seulement ce qui lui permet de survivre. À ce titre, elle ramènerait l’homme à son animalité soumise à des besoins. Elle est également ce qui lui permet de mieux vivre, de vivre plus heureux et de choisir librement les finalités de sa vie. Ainsi, Descartes voit dans la science appliquée une manière de « se rendre comme maître et possesseur de la nature », selon le Discours de la méthode. Avec la culture, il ne s’agit pas seulement pour l’homme de gagner son indépendance vis-à-vis de la nature mais aussi de pouvoir la transformer pour la dominer.
[Transition] Ainsi, la culture, en tant qu’ensemble de connaissances mais aussi au sens de civilisation, est l’expression de ce qu’il y a de plus humain en l’homme. Peut-on pour autant affirmer que la culture est ce qui rend l’homme plus humain au sens moral ?
2. La culture n’est pas toujours un rempart contre l’inhumanité
attention
Un exemple n’est pas un argument mais il permet de faire des objections et de passer à une autre partie.
Les drames de la Seconde Guerre mondiale nous ont montré que l’on pouvait être extrêmement cultivé et se comporter de manière inhumaine. La culture ne nous permettrait-elle pas de nous prémunir contre l’inhumanité ou la barbarie ?
A. La culture peut se retourner contre l’homme
La culture qui s’exprime à travers la technique, l’art, le langage ou la religion peut également se retourner contre l’homme. Par exemple, le machinisme, qui désigne le développement de plus en plus complexe de la technique au point que la main-d’œuvre des industries soit remplacée par des machines toujours plus perfectionnées et autonomes provoque une sorte d’aliénation de l’homme qui, paradoxalement, perd le contrôle de ce qui devait lui permettre de maîtriser la nature. Marx dénonce ainsi la condition des travailleurs à la chaîne qui subissent des cadences inhumaines au sens où ils doivent renoncer à faire usage de leur intelligence et volonté lorsqu’ils font des mouvements mécaniques et répétitifs.
B. L’homme se caractérise par sa perfectibilité
L’homme a donc, contrairement à l’animal, la possibilité d’évoluer, d’utiliser sa raison librement, mais une évolution peut être aussi bien une progression qu’une régression. Dans son Discours sur les fondements et l’origine de l’inégalité parmi les hommes, Rousseau nomme cette spécificité humaine « perfectibilité ». L’homme peut donc faire un mauvais usage de sa raison. L’homme peut créer une division du travail rationnelle mais inhumaine. La socialisation engagée par la culture peut se retourner contre l’homme victime de la concurrence des uns avec les autres.
C. La distinction entre être civilisé et être moralement bon
En ce sens, Kant insiste, dans l’Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique, sur la distinction entre être cultivé (posséder des connaissances variées), être civilisé (se conformer à un certain nombre de règles de bonne conduite) et agir moralement au sens où la finalité de nos actions est la conformité au bien moral. On peut être très poli sans pour autant être animé d’intentions moralement bonnes.
[Transition] Si la culture n’est pas toujours garante d’humanité, y a-t-il des moyens de se prémunir contre l’inhumanité ?
info
La troisième partie insiste sur la distinction entre les différentes cultures, mais on aurait pu aussi réfléchir sur l’idée que nature et culture sont indissociables ou sur l’absence de nature humaine.
3. Les conditions d’une culture plus humaine
A. Rejet de l’ethnocentrisme
Se comporter de manière inhumaine, c’est faire preuve de cruauté, de barbarie. Or la barbarie précisément est ce qui s’oppose à la culture. Pourtant, la culture ne constitue pas un rempart contre la barbarie. Est-ce une question de degré de culture ? Non, au contraire, croire cela serait se montrer soi-même barbare. Claude Lévi-Strauss, dans Race et histoire, affirme que « le barbare, c’est d’abord celui qui croit à la barbarie ». En effet, croire à la barbarie c’est croire que l’on a en face de soi un homme de culture inférieure, voire un homme dépourvu de culture, autrement dit un être resté à l’état de nature, un animal. Le risque est alors de ne pas le respecter en tant qu’être humain. C’est ainsi que Lévi-Strauss dénonce le préjugé ethnocentrique qui consiste à vouloir hiérarchiser les différentes cultures.
B. Souci politique d’une éducation
Dès lors, la connaissance des autres cultures permet de relativiser la sienne et se présenterait comme un gage de tolérance, si tant est que la perception des autres cultures s’accompagne d’une réflexion éthique. C’est pour cela qu’il est important de mener une politique éducative où les citoyens seraient placés dans des conditions favorables à une meilleure compréhension du monde. La culture ne consisterait pas alors à être simplement instruit tels des singes savants, mais à être capable de réfléchir sur le monde à partir de ses connaissances. En ce sens-là, la culture pourrait effectivement nous rendre plus humain.
Conclusion
attention
Le sujet a été essentiellement traité à partir de la technique mais on aurait aussi bien pu insister sur le langage, l’histoire ou la religion, qui sont d’autres manifestations de la culture.
Ainsi, la culture nous rend plus humain dans la mesure où chaque activité émanant d’elle – le travail, la technique, mais aussi le langage, les coutumes – contribue à affirmer chaque fois davantage notre spécificité d’être humain différent des autres vivants. Mais être cultivé et civilisé ne suffit pas à se prémunir de l’inhumanité. La culture doit être réfléchie pour éviter de se transformer en son contraire, la barbarie. C’est pour cela qu’elle doit être constamment réinterrogée, confirmant ainsi l’idée sartrienne qu’il n’y a pas de nature humaine si ce n’est celle de devoir à chaque instant la réinventer, la réaffirmer puisque la spécificité de l’homme est bien sa liberté. De la même manière que dans le mythe de Prométhée, où il manque à l’homme la politique pour savoir faire bon usage de la technique, la culture individuelle se montre indissociable d’une politique culturelle.