France métropolitaine • Septembre 2011
dissertation • Série L
La science peut-elle faire disparaître la religion ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
La science
Au sens large, le mot désigne un savoir. De façon plus précise, c’est un savoir fondé, démontré, qui ne varie donc pas avec les circonstances. Science s’oppose ainsi à opinion. La connaissance scientifique moderne implique l’idée d’expérimentation.
La religion
C’est une pratique collective structurée par des rites, des cultes, par lesquels une communauté de croyants affirme être liée à un ou plusieurs dieux garants de l’ordre et de la justice. Sur le plan subjectif, chaque membre du groupe est animé par une foi dans l’existence et la bienfaisance de ces divinités.
Faire disparaître
Cette expression sous-entend la présence d’un processus. La science est-elle une démarche conquérante qui, dans son parcours, chasse la religion des domaines qu’elle occupait ?
Le verbe pouvoir
Il a ici d’abord le sens de la possibilité : la science a-t-elle les moyens de provoquer la disparition de la religion ? Un deuxième sens, celui de la légitimité, apparaîtra aussi.
Dégager la problématique et construire un plan
La problématique
Science et religion ont eu, et ont encore parfois, des relations conflictuelles comme si toute avancée de la première signifiait un recul de la seconde. Il faut donc qu’elles aient une prétention commune. Quelle est-elle et devons-nous penser que leurs relations soient telles que les avancées de l’une chassent l’autre ?
Le plan
Dans un premier temps, nous verrons les présupposés expliquant l’existence d’un conflit. Puis, nous aborderons les grands thèmes de la critique de la religion. Enfin, nous nous demanderons si la prétention scientifique à faire disparaître la religion ne révèle pas une méconnaissance par la science des limites de son domaine.
Éviter les erreurs
Faire une copie simplificatrice en faveur d’une des deux notions.
Corrigé
Corrigé
Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
Il est courant d’entendre opposer la science et la religion. Nous avons le sentiment que chaque avancée de l’explication scientifique se traduit par un recul des croyances religieuses. Des raisons existent à cela. L’Europe a été marquée par des conflits retentissants entre ces deux modes de pensée, comme en témoigne la condamnation de Galilée, et l’époque des Lumières a estimé que la religion était une superstition qui disparaîtrait avec les progrès des sciences de la nature.
Cependant, il est clair qu’aujourd’hui, le développement de la connaissance scientifique n’a pas supprimé la pensée religieuse. N’est-ce qu’une question de temps ou doit-on penser que la religion est un phénomène plus complexe ou plus étendu que la représentation que les Lumières s’en faisaient ?
1. Présupposés du sujet
A. Démarche scientifique et attitude religieuse
Les Grecs entendent par science un exercice du raisonnement dont la démonstration est la plus haute manifestation. La raison procède en suivant des règles de logique dont la fixité et l’impersonnalité tranchent avec l’inconstance des opinions courantes. Le géomètre, le mathématicien découvrent les propriétés immuables des figures et des nombres. Ils cherchent la connaissance des choses, alors que les opinions sont des jugements partiels et intéressés. La science est de l’ordre de la théorie, alors que la religion possède dès l’origine une dimension pratique que Durkheim a fortement soulignée. La religion est un « système solidaire de croyances et de pratiques », distinguant le sacré du profane et capable d’unir des individus dans une communauté dont ils se sentent les membres. Cette dimension sociale est importante au point que Bergson a pu écrire qu’il n’y a jamais eu de société sans religion alors que la science et la philosophie n’ont pas toujours existé. Les liens unissant des fidèles entre eux, par la médiation d’un lien commun à une autorité sacrée, ont un pouvoir de structuration, ils sont une sorte de ciment social. La religion apparaît donc comme une pensée globalisante.
B. Une question de domaine
La différence entre théorie et pratique ne suffit cependant pas à dire pourquoi la science pourrait faire disparaître la religion. Envisager ce phénomène implique que la première intervienne de façon offensive sur le terrain où la seconde la précédait. Deux questions se posent alors. Quel est ce domaine ? Quelles sont les caractéristiques de ces deux modes de pensée ? La réponse à la première question nous est donnée par l’Histoire. Il est indéniable que la science est entrée en concurrence avec les récits religieux touchant la nature, son ordre et ses lois, et qu’elle a pris parfois position dans les débats touchant la formation ou l’origine du monde. Dès lors, elle prenait une dimension métaphysique et elle mettait en cause les représentations religieuses, selon lesquelles l’ordre de l’univers ne pourrait venir que de l’action de puissances divines dont l’intelligence est à reconnaître dans les phénomènes qui nous entourent et dont la sagesse est à honorer dans des cultes.
[Transition] Ce point permet de saisir la racine du conflit dont le sujet fait état.
2. Les raisons du conflit
A. La séparation du mythe et de la raison
Il est frappant d’apprendre qu’Anaxagore, un grand astronome grec, fut accusé d’athéisme et emprisonné pour avoir dit que le soleil était une pierre brûlante. Cette affirmation ôtait à cet astre son caractère sacré et l’intégrait dans l’univers matériel où les hommes vivent quotidiennement. L’attitude scientifique se marque par la volonté de découvrir la vraie nature et les vraies causes des phénomènes. Le développement du discours rationnel s’est fait en critiquant les récits religieux, c’est-à-dire les mythes. Le mythe est une narration touchant la naissance et le développement de l’ordre qui gouverne l’univers. Ses histoires mettent en jeu des divinités qui s’affrontent et accomplissent des exploits dans une dramaturgie dont le but est de célébrer la victoire de l’ordre sur les puissances de confusion. Or, les premiers physiciens présentent une pensée du cosmos en rupture avec cette façon de procéder. La science raisonne à partir de qualités abstraites comme « le froid », « le chaud », « le sec », « l’humide », et remplace les péripéties guerrières par des rapports mathématiques de proportionnalité. L’ordre est le résultat de relations équilibrées entre des couples d’opposés. Dès lors, le mythe devient synonyme de fable, donc de récit mensonger et absurde.
B. La dénonciation de la superstition religieuse
Ce premier coup porté aux prétentions explicatives de la religion ouvre la voie à sa définition comme une superstition. Spinoza considère que les cultes sont l’aboutissement de deux illusions qui s’enchaînent. L’ignorance native des hommes les pousse à imaginer être le centre de référence de la nature. La conscience de poursuivre des buts nous fait croire que tout ce qui nous entoure fait de même et, comme nous savons que nous ne sommes pas les auteurs des choses naturelles, nous croyons qu’elles ont été créées par des « directeurs de la nature » et nous leur rendons des hommages afin qu’ils nous soient favorables. À l’anthropocentrisme s’ajoute l’anthropomorphisme qui projette la forme et les passions humaines sur l’ensemble des phénomènes. Cette illusion s’explique par l’ignorance et par le désir de pouvoir agir sur notre milieu. La personnification des éléments naturels rend possible l’établissement d’une relation entre eux et nous. Spinoza trace ainsi le portrait de l’homme superstitieux, ignorant et angoissé, qui croit aux présages et honore des puissances supérieures pour satisfaire ses intérêts.
La science, en revanche, écarte l’idée des causes finales. Elle cherche à répondre à la question du « comment » et considère la nature comme un objet à étudier par le calcul et l’expérimentation. Max Weber parle de « désenchantement du monde » pour qualifier l’action de la raison scientifique à travers le temps. Les phénomènes s’expliquent par des lois et sans référence à nos désirs. À l’image d’un monde centré sur l’homme, « image de Dieu », la science physique substitue le concept d’un univers indifférent à nos souhaits et à nos craintes. Quant aux sciences naturelles, elles étudient l’histoire de notre espèce et la structure de son organisme sans y voir l’intention d’une intelligence supérieure.
[Transition] L’idée du désenchantement exprime bien le fait que les sciences ont fait reculer la religion, mais cela suffit-il à penser que leur progrès conduirait à la faire disparaître ?
3. Les limites de la science
A. La tentation scientiste
La connaissance de la nature est devenue le domaine des sciences expérimentales, qui ne se bornent pas à décrire le réel mais l’interrogent en construisant des expérimentations de plus en plus précises, contrôlées et rendues possibles par un appareillage technique dont la sophistication ne cesse de croître. Le quantifiable, le reproductible sont les valeurs maîtresses de ces démarches. Aux récits généraux et symboliques, la science substitue la recherche de laboratoire où la théorie rend possible le développement de mesures pointues et leur expression dans une forme symbolique abstraite comme une équation. Une expérimentation n’est pas une simple observation de faits mais présuppose l’admission de plusieurs théories et la maîtrise d’un appareillage complexe.
Ces avancées ont pu faire croire que la science gouvernerait la totalité des affaires humaines. Le positivisme d’Auguste Comte en donne une expression très nette. Comte élabore la loi des trois états qui définit la période scientifique comme l’achèvement de deux âges antérieurs et imparfaits. Ainsi, l’humanité a commencé par une période théologique, dans laquelle l’ignorance des hommes les conduisit à croire en l’action de causes surnaturelles et cachées. Puis vint l’époque métaphysique, qui rationalisa ces fictions en parlant de causes premières et finales mais resta dans les erreurs de l’abstraction. Enfin, l’âge scientifique ou « positif » se libère de ces illusions pour n’étudier que les lois gouvernant les phénomènes, avec un esprit animé par le souci de la certitude et de la précision. Comte parle d’un progrès qui élimine les croyances dans une ou plusieurs divinités. La science dégage les lois de tous les phénomènes pour être la pensée universelle. On nomme cette prétention le scientisme.
B. Les deux ordres
On note toutefois que si la religion a quitté le terrain de la connaissance de la nature elle n’a pas disparu. Notre époque est même marquée par un retour du religieux. N’est-ce pas en raison de sa capacité à prendre en charge des angoisses auxquelles les sciences n’ont rien à dire ? Freud considère la religion comme une illusion, mais il reconnaît qu’elle réalise les « désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants de l’humanité. » La détresse infantile suscite le désir de protection, la crainte de la mort et l’expérience des souffrances de la vie sont la cause d’un désir puissant de justice et de sens. L’absence de preuves ne nuit pas à la religion, elle prend sa source dans des sentiments liés à notre condition, non dans des démonstrations ou des expérimentations élaborées. Freud soutient que cette illusion ne peut décliner que si « notre dieu le logos » arrive à montrer à l’humanité qu’elle doit s’organiser par elle-même. Il nomme cela « l’éducation en vue de la réalité » et fait valoir l’extrême jeunesse de la pensée scientifique pour fonder sa croyance dans une disparition possible du phénomène religieux.
On peut toutefois se demander si Freud ne confond pas deux registres. La foi est une certitude subjective, issue d’une adhésion à un appel intérieurement ressenti. C’est une donation de sens qui se reçoit avant toute critique, quand la science cherche l’objectivité à travers la mise en place de procédures contrôlées. Il y a, comme le dit Pascal, deux ordres : « c’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce qu’est la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison. » Les valeurs morales, l’interrogation sur la condition temporelle de l’homme, ne sont pas du ressort scientifique. La mort est pour le naturaliste un phénomène naturel et nécessaire, mais elle est pour chacun de nous une douleur quand nous perdons un proche. Dès lors comment la penser ? Est-ce un terme, un passage ? La liberté de la conscience est ici en jeu et elle est porteuse d’un droit qui n’est pas justiciable d’une approche scientifique.
Conclusion
Il est incontestable que les avancées multiples de la science dans le domaine de la connaissance de la nature ont fait reculer les récits religieux en les rabaissant au rang de mythes. Aujourd’hui, la religion ne cherche plus guère à rivaliser sur ce terrain, même si certains croyants rejettent encore Darwin. Elle reste toutefois présente sur les questions de choix moraux et constitue pour certains une réponse face à leur demande de sens. La spécificité de l’expérience de la foi la situe sur un autre plan que celui des expérimentations scientifiques, ce qui devrait empêcher les empiétements réciproques.