Nouvelle-Calédonie • Novembre 2012
dissertation • Série L
Percevoir, est-ce déjà connaître ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
Percevoir
Ce verbe désigne un acte par lequel un sujet organise une multiplicité de sensations présentes afin d’appréhender un objet de la réalité. Le problème soulevé est de savoir comme s’organisent ces sensations : est-ce de manière spontanée par les sens eux-mêmes, ou par l’intermédiaire d’un acte de l’entendement ?
Connaître
Ce verbe permet d’avoir présent à l’esprit un objet dont on se fait une représentation fidèle. La connaissance désigne un savoir et à ce titre peut être l’analyse juste des données de l’expérience. En ce sens, la perception pourrait être une connaissance.
Déjà
Le fait d’indiquer que percevoir serait déjà connaître semble présupposer que la perception conduit à la connaissance, la question étant alors de savoir si elle se confond avec elle, ou si elle n’en est qu’une étape.
Dégager la problématique et construire un plan
La problématique
On serait tenté de répondre par l’affirmative à la question dans la mesure où la perception constitue la condition de toute connaissance qui s’appuie sur l’expérience, c’est-à-dire sur la rencontre d’un sujet et d’un objet extérieur à lui. Mais en un autre sens, on peut en douter dans la mesure où, d’une part, les sens peuvent être trompeurs et, d’autre part, une connaissance prétend rendre compte d’une vérité universelle, dépassant en cela la subjectivité relative d’un individu qui ne peut saisir par ses sens qu’un objet particulier.
Le plan
La perception s’appuyant sur des sensations relatives à des objets particuliers est d’abord l’expression d’un ressenti subjectif, et non pas un savoir (1re partie).
Mais ce serait alors réduire la perception à une accumulation de sensations, or en réalité dans la perception il y a un acte de l’entendement qui garantit l’accès à la connaissance (2e partie).
Cependant, il ne faudrait pas non plus confondre à l’inverse perception et conception : la perception donne de la matière à l’intellection mais ne se confond pas avec elle (3e partie).
Éviter les erreurs
Ce sujet exige de questionner les fondements mêmes de la connaissance et les capacités humaines à accéder objectivement au réel par le biais de son corps.
Corrigé
Corrigé
Le corrigé qui suit se présente sous la forme d’un plan très détaillé. Il faudrait, dans votre devoir, développer certaines des idées et ajouter des exemples.
Les titres en couleurs ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
Percevoir le monde, c’est d’abord entrer en contact avec lui par l’intermédiaire de ses sens. Percevoir offre la garantie de ne pas s’enfermer dans ses pensées. Mais la perception, en assurant la rencontre avec un objet, permet-elle d’en rendre compte fidèlement ? Percevoir est-ce déjà connaître ?
Il semblerait cependant que les sens soient parfois source d’illusions. La perception en s’appuyant sur eux ne risque-t-elle pas plutôt de s’opposer à la connaissance ? Mais la perception consiste aussi en une organisation significative de ces sensations. Ne serait-elle pas alors ce qui permet de connaître l’objet d’une réalité offerte à nos sens ?
Il s’agit d’abord de voir en quoi une perception, qui s’appuie sur les sens, risque d’être un facteur d’illusion et d’erreur. Il faudra alors repréciser dans un second temps la définition de la perception, qui ne se limite pas à une somme de sensations, pour montrer qu’au contraire elle peut être un tremplin vers la connaissance. On verra enfin que si la perception peut être une condition de la connaissance, elle ne se confond pas pour autant avec elle.
1. La perception permet l’adaptation au monde, non sa connaissance
A. La perception est ce qui permet au vivant d’assurer sa survie
Le fait de percevoir le monde environnant est ce qui permet, avec le mouvement, d’assurer sa survie. C’est ce qui permet, selon Aristote dans son traité De l’âme, I, 2, de marquer la différence entre les vivants (plantes, animaux) et les objets inertes (minéraux). Pour autant, être capable de s’adapter à son milieu est-ce déjà le connaître ?
B. Mais percevoir n’est pas encore fournir un savoir scientifique
Pour qu’il y ait connaissance, il faut qu’il y ait saisie d’une essence stable et immuable. Elle doit produire une vérité qui par définition est universelle. Or les sens ne donnent accès qu’à un objet particulier, soumis au devenir en raison de sa nature matérielle et, de ce fait, qui ne peut constituer un véritable objet de science. En ce sens Platon explique dans le Théétète que la sensation ne permet pas d’accéder à la vérité.
[Transition] Pourtant la perception, par le biais des sens, est bien ce qui met en relation un sujet de la connaissance avec un objet extérieur à ses pensées.
2. Pourtant la perception, en tant qu’organisation des sensations, permet de connaître
A. La perception peut être redéfinie comme inspection de l’esprit
Si l’on ne peut se fier à nos sens instables pour avoir une véritable connaissance, la perception qui en est pourtant distincte mais associée, donne accès à l’essence des choses. Descartes dans ses Méditations métaphysiques, analyse ce qui nous fait connaître un morceau de cire qui fond : on le reconnaît non pas grâce aux sens, qui donnent des informations toujours changeantes, mais grâce à une « inspection de l’esprit », au travail que l’entendement opère sur ces données. En ce sens la perception est déjà la connaissance.
B. La perception comme saisie par le corps du monde peut aussi permettre de le découvrir
La perception nous apporte aussi un savoir si on la définit comme la capacité qu’a la conscience plongée, grâce à son incarnation, dans un corps lui-même inscrit dans un champ perceptif (selon Merleau-Ponty). La perception ne permettrait-elle pas alors de revenir au monde des choses elles-mêmes avant toute connaissance ?
[Transition] Mais la perception ne se confond ni avec la conception intellectuelle, ni à l’inverse avec la simple position du corps dans le monde.
3. La perception peut être un élément de la connaissance mais ne se confond pas avec elle
A. Une perception peut être confuse
Si la perception nous rapproche de la réalité sensible, elle ne nous en donne pas nécessairement une idée claire et distincte. Leibniz dans sa préface des Nouveaux essais sur l’entendement humain, montre que l’on peut très bien percevoir le bruit d’une vague comme un ensemble de petits bruits confus de ses éléments. Chaque petite goutte ne pouvant être perçue distinctement pour elle-même mais par rapport à un tout, fait l’objet d’une « petite perception », autrement dit d’une perception inconsciente. Percevoir ici ne peut être assimilé à une connaissance.
B. La perception est au-delà du jugement de connaissance
N’étant ni une simple vision, ni une simple conception de l’esprit, la perception peut être envisagée comme un élément certes essentiel à la connaissance, dans la mesure où il donne de la matière au jugement qui établit une vérité en l’associant à un concept de l’entendement, mais qui en lui-même n’est ni vrai ni faux.
En effet, d’après Kant selon la Critique de la raison pure, « si l’on peut dire que les sens ne trompent pas, ce n’est point parce qu’ils jugent toujours juste mais parce qu’ils ne jugent pas du tout ». La perception n’a pas valeur d’objectivité comme la connaissance. Seul le jugement peut être qualifié de juste ou d’apparence lorsqu’il fait passer à tort la représentation subjective (la perception) pour une représentation objective.
Conclusion
Si l’on identifie la perception à la sensation, alors elle est immédiate, instable et singulière. La perception a une valeur vitale, elle peut être aussi source d’illusions et d’erreurs. Cependant si la perception n’est pas que vision mais inspection de l’esprit, alors l’entendement, qui organise les différentes sensations, pourrait fournir une connaissance. Or ce serait confondre conception et perception, alors que cette dernière peut être inconsciente.
La perception semble donc se situer au-delà de la connaissance même si elle lui est intimement liée : nécessaire pour assurer la présence d’un objet extérieur aux pensées du sujet de la connaissance, elle en fournit la matière sans en garantir l’objectivité. Ce ne serait que son union à un entendement qui lui donne une forme identifiable sous un concept qui serait à même de produire une connaissance.