Autrui
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Le sujet
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Antilles, Guyane • Septembre 2011
dissertation • Série ES
Le désir suppose-t-il autrui ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
Désir
Le désir est la quête d’un objet que l’on se représente comme étant la source d’un plaisir. À une conception négative du désir, qui voit en celui-ci le mouvement qui va d’un manque vers une satisfaction – le désir est alors conditionné par le manque, la privation –, on peut opposer la représentation purement positive d’un désir qui serait avant tout créateur.
Le désir est donc marqué par une ambivalence : s’il cherche le plaisir, il semble pourtant s’abolir en lui, et devoir se relancer alors vers un autre objet. Définir le désir comme la quête d’un plaisir, c’est donc le définir comme un mouvement infini et tourmenté, qui à la fois cherche et refuse sa satisfaction.
Supposer
Se demander si le désir suppose autrui, c’est se demander si autrui est la condition de possibilité du désir. Autrement dit, supposer, c’est être rendu possible par quelque chose.
Étymologiquement, supposer signifie « placer dessous » : on nous demande ici si le désir a besoin d’autrui pour exister, c’est-à-dire si autrui est ce qui précède et ce sur quoi repose mon désir.
Autrui
Autrui, c’est celui qui me ressemble et diffère de moi : c’est mon alter ego, à la fois un autre moi et un autre que moi. Ainsi, il est celui que j’envisage à partir de moi, et en me comparant à lui, mais il est aussi celui dont une distance radicale me sépare (je n’ai de ce fait qu’un accès médiat à son intériorité).
Dégager la problématique et construire un plan
La problématique
Le problème posé par le sujet réside dans la dissociation envisagée entre le désir et autrui. A priori, il semble qu’il n’y ait pas de désir sans objet. Autrement dit, il semble qu’aucun désir ne puisse exister sans autrui.
La problématique découle de ce problème central, puisqu’il s’agira de se demander en quoi l’existence de mon désir pourrait être conditionnée par celle d’autrui. Est-ce l’autre qui fait naître mon désir, et qui en est donc la cause ? Inversement, est-il possible que mon désir préexiste à l’autre, et ne trouve en lui qu’une occasion de se déployer ? Au fond, il s’agit de se demander si le désir peut être considéré indépendamment des objets qu’il se donne. Désire-t-on pour obtenir nos objets de désir – et dans ce cas, le désir supposerait autrui comme sa condition de possibilité –, ou désire-ton pour désirer – mais alors, le désir ne supposerait pas autrui ?
Le plan
Dans un premier temps, nous verrons que le désir suppose autrui, dans la mesure où c’est l’autre qui fait naître en moi le désir – en ce sens, il précède mon désir. Mais autrui est-il la cause profonde ou seulement occasionnelle du désir ? Nous verrons alors qu’autrui n’est que l’occasion, pour mon désir, de se déployer, avant d’envisager la possibilité d’un désir qui n’aurait pas autrui pour cause ni pour condition de possibilité.
Éviter les erreurs
Il est essentiel, pour traiter ce sujet, de ne pas oublier de définir le terme « supposer ». Ce terme peut signifier : « reposer sur », « ne pas être possible sans », « précéder », et la question prendra une tournure différente en fonction du sens que vous attribuerez au terme.
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Introduction
Se demander si le désir suppose autrui, c’est se demander si autrui est la condition de possibilité de mon désir.
A priori, il semble qu’il n’y ait pas de désir sans objet. Autrement dit, il semble qu’aucun désir ne puisse exister sans autrui, sauf à penser un désir vide, qui tourne indéfiniment sur lui-même, un désir sans but. Mais que le désir n’ait pas de fin, n’est-ce pas là en réalité ce qui le définit ?
Car si le désir est la quête d’un objet que l’on se représente comme étant la source d’un plaisir, il est pourtant marqué par une ambivalence : s’il cherche le plaisir, il semble pourtant s’abolir en lui, et devoir se relancer, une fois le plaisir atteint, vers un autre objet. Définir le désir comme la quête d’un plaisir, c’est donc le définir comme un mouvement infini et souffrant, qui à la fois cherche et refuse sa satisfaction. Mais alors, qu’est-ce qui provoque le désir ? Étymologiquement, supposer signifie « placer dessous » : on nous demande donc ici si le désir a besoin d’autrui pour exister, c’est-à-dire si autrui est la cause nécessaire ou seulement occasionnelle du désir. Autrui, c’est celui qui me ressemble et diffère de moi : c’est mon alter ego, à la fois un autre moi et un autre que moi. Il est celui que j’envisage à partir de moi, et en me comparant à lui, mais il est aussi celui dont une distance radicale me sépare (je n’ai de ce fait qu’un accès médiat à son intériorité).
Le problème posé par le sujet réside donc dans la dissociation envisagée entre le désir et autrui. La problématique découle de ce problème central, puisqu’il s’agira de se demander en quoi l’existence de mon désir pourrait être conditionnée par celle d’autrui. Est-ce l’autre qui fait naître mon désir, et qui en est donc la cause nécessaire ? Inversement, est-il possible que mon désir préexiste à l’autre, et ne trouve en lui qu’une occasion de se déployer ? Au fond, il s’agit de se demander si le désir peut être considéré indépendamment des objets qu’il se donne. Désire-t-on pour obtenir nos objets de désir – et dans ce cas, le désir supposerait autrui comme sa condition de possibilité –, ou désire-t-on pour désirer – mais alors, le désir ne supposerait pas autrui ?
Dans un premier temps, nous verrons que le désir suppose autrui, dans la mesure où c’est l’autre qui fait naître en moi le désir. Mais autrui est-il la cause profonde ou seulement occasionnelle du désir ? Nous verrons alors qu’autrui n’est que l’occasion, pour mon désir, de se déployer, avant d’envisager la possibilité d’un désir qui n’aurait pas autrui pour cause, ni pour condition de possibilité.
1. Le désir suppose autrui
A. Car c’est autrui qui provoque en moi le désir
Dans un premier temps, il est possible d’affirmer que le désir suppose autrui, dans la mesure où ce serait l’ensemble des particularités de l’autre qui déterminerait mon désir. Autrement dit, c’est sur l’existence d’un autre en particulier que repose la possibilité même de mon désir, ce qu’expose Platon dans Le Banquet, à travers le mythe des androgynes tel qu’il y est évoqué par Aristophane. Les hommes, dit-il, ont un jour connu la complétude, puisqu’ils étaient autrefois composés de deux êtres, et si forts qu’ils décidèrent de déclarer la guerre aux Dieux. Ceux-ci, pour les punir, les séparèrent en deux, ce qui explique que chacun d’entre nous souffre de la perte de sa moitié perdue. Le désir serait à la fois la marque de ce châtiment divin, et ce que produit ma rencontre de l’autre, cet autre auquel je fus un jour uni. Ainsi, il n’y a pas de désir sans autrui et, plus précisément, sans cet autre précis auquel nous étions unis autrefois.
B. Car le désir n’existe que par la médiation du désir d’autrui
Mais si autrui provoque mon désir, s’il en est ainsi la cause nécessaire – c’est-à-dire qu’autrui est ce sans quoi mon désir ne pourrait exister –, c’est peut-être aussi dans la mesure où mon désir naît par la médiation du désir de l’autre. C’est ce que souligne Roland Barthes dans les Fragments d’un discours amoureux : le désir pur, dont l’autre serait la cause, est illusoire en ce que mon désir tend à se porter sur les objets désirés par autrui. Autrement dit, si le désir suppose autrui, il suppose plus précisément le désir d’autrui : c’est par la médiation du désir de l’autre que mon désir se déploie vers tel ou tel objet que j’estime désirable parce que l’autre le désire.
[Transition] Mais si le désir est produit en moi par l’autre, un autre unique et particulier, ou par le désir de l’autre qui, pour reprendre l’expression de Barthes, « me montre qui désirer », alors comment se fait-il que la possession de mon objet de désir me relance aussitôt vers un nouvel objet ?
2. Autrui n’est que la cause occasionnelle de mon désir
A. Car le désir s’investit indéfiniment dans de nouveaux objets
En réalité, il semble bien que l’autre soit moins la cause nécessaire que la cause occasionnelle de mon désir : en d’autres termes, il semble qu’autrui ne soit que l’occasion, pour mon désir, de se déployer. Le désir, alors, précéderait mon objet de désir et le dépasserait toujours. C’est finalement ce qu’illustre Platon en comparant, dans le Gorgias, le désir au tonneau des Danaïdes, ce tonneau percé qui se vide à mesure qu’on le remplit. C’est que le désir est par nature insatiable : plus je le satisfais, plus il me réclame de nouveaux objets. L’autre n’est que l’occasion, pour lui, de se déployer, et une fois l’objet possédé, mon désir s’investit vers un nouvel objet.
B. Car le désir n’est en dernier ressort que celui de l’espèce
Mais si l’on peut dire que l’autre n’est que l’occasion, pour mon désir, de se déployer – c’est-à-dire que mon désir se nourrit de lui, mais qu’il n’en est pas la cause profonde –, c’est peut-être aussi parce que le désir, comme l’explique Schopenhauer dans la Métaphysique de l’amour sexuel, n’est jamais vraiment personnel. Derrière le désir amoureux qui porte une personne vers une autre, ce qui se cache n’est autre que la puissante volonté de l’espèce, qui cherche, à travers eux et comme malgré eux, à se reproduire. En ce sens, le désir ne suppose pas un autre déterminé, précis, qui en serait la cause : mon désir, c’est finalement celui de l’espèce, qui se sert de mon sentiment amoureux pour se reproduire au mieux. L’autre n’est finalement que l’instrument de l’espèce.
[Transition] Mais si autrui n’est pas la cause nécessaire de mon désir et seulement sa cause occasionnelle, qu’est-ce qui me pousse finalement à désirer ? Le but du désir est-il vraiment la reproduction de l’espèce, ou faut-il supposer que le désir soit à lui-même sa propre fin ?
3. Le désir est indépendant d’autrui
A. Car le désir est avant tout mon essence
Au fond, si ce n’est pas l’autre qui produit mon désir puisque mon désir le précède toujours, si mon désir ne rencontre l’autre que comme une occasion de se déployer ou comme un objet dont, une fois possédé, il se détourne, on peut dire que le désir ne suppose pas autrui comme une personne déterminée, mais qu’il se saisit d’autrui pour s’incarner. En définissant le désir comme mon essence, Spinoza, dans l’Éthique, affranchit en somme le désir de son objet : si je suis un conatus, c’est-à-dire un effort pour persévérer dans mon être, alors je suis identifiable à mon désir. L’autre n’est finalement que ce que mon désir me réclame et me désigne comme étant bon pour moi.
B. Car le désir ne vise pas la possession d’autrui, mais sa propre permanence
De là, on peut déduire, comme le font Gilles Deleuze et Claire Parnet dans les Dialogues, que le désir n’est pas ce mouvement qui s’abolit dans le plaisir, mais un plaisir en soi. Ainsi, le but du désir n’est pas la possession de l’autre – possession vaine qui, à supposer qu’elle soit possible, me reconduirait dans un désir souffrant. Le désir est ce que nous sommes, notre effort pour nous déployer : aussi autrui n’est-il pas tant celui que suppose mon désir, que celui qui peut le partager.
Conclusion
En définitive, dire que le désir suppose autrui, ce serait admettre que le désir est tendu entre moi et l’autre, c’est-à-dire admettre que le désir m’est finalement extérieur. Mais autrui n’est pas plus la cause nécessaire que la cause occasionnelle du désir, dès lors que celui-ci se trouve défini comme étant mon essence. Dans cette mesure, on peut dire que le désir n’est jamais vraiment provoqué par autrui, et qu’autrui ne le précède pas : le désir ne suppose pas autrui mais le construit avec moi.