Dissertation
Le langage contribue-t-il à unir ou à diviser les hommes ?
Analyser les termes du sujet
Le langage
Au sens large, le langage désigne un système de signes permettant de transmettre une information. Au sens restreint, c’est la faculté universelle d’utiliser une langue et de pouvoir ainsi exprimer des pensées par un système de signes.
Contribuer
Contribuer, c’est apporter une part à un résultat. Le verbe « contribuer » peut désigner, en l’occurrence, un facteur d’union ou de division.
Unir
Unir est synonyme de lier, d’assembler. Il ne faudra pas confondre « union » et « uniformisation » (fait de rendre semblable) ou « unification » (fait de rendre unique).
Diviser
Diviser est synonyme de séparer. La division peut se manifester par l’indifférence, l’exploitation, le mépris ou la guerre.
Dégager la problématique
Construire un plan
Corrigé
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Introduction
[Accroche] Dans l’Ancien Testament, les hommes décident de construire la tour de Babel dont le sommet touche le ciel. Pour les punir de leur orgueil, Dieu invente plusieurs langues, empêchant ainsi les hommes de se comprendre les uns les autres. Cet épisode biblique présente la pluralité des langues humaines comme le résultat d’une sanction divine : Dieu divise les hommes vaniteux en divisant les langues. [Reformulation du sujet] Quels sont donc les effets réels du langage ? Est-il le vecteur d’un lien entre les hommes ? Ne signe-t-il pas plutôt leur irréductible séparation ? [Problématique] Si le langage contribue à unir les hommes, comment se fait-il que les oppositions humaines prennent souvent une forme verbale ? À l’inverse, si le langage contribue à diviser les hommes, comment comprendre l’existence de l’accord universel des esprits face aux énoncés scientifiques ? [Annonce du plan] Il semble évident, à première vue, que le langage contribue à unir les hommes. La vie en société et l’existence d’une science universelle n’en sont-elles pas la preuve ? Et pourtant, ne faut-il pas reconnaître que les langues concrètes séparent les hommes en les faisant vivre dans des mondes différents ? Quelles que soient ces différences, le langage n’est-il pas incontournable pour que puisse s’initier un processus d’union entre les hommes ?
1. Le langage contribue à unir les hommes
A. Le langage : un élément indispensable à la société
Les hommes vivent en société, or celle-ci n’est pensable que si ses membres peuvent échanger, c’est-à-dire communiquer. Comme le souligne Bergson, la fonction première du langage « est d’établir une communication en vue d’une coopération ».
B. Le langage mathématique : un vecteur de la science
Le langage unit les hommes autour de vérités rationnellement partagées. Les théories scientifiques sont des énoncés qui engendrent l’accord des esprits.
C. Le langage politique et moral : la condition même des relations humaines
Le langage humain rend possible la relation contractuelle, c’est-à-dire politique : par la parole qui promet, le langage lie les hommes et leur permet d’échapper à la violence des rapports de force.
[Transition] Si ces arguments montrent que le langage contribue à unir des hommes, cela ne signifie pas pour autant qu’il contribue à unir les hommes…
2. Le langage contribue à diviser les hommes
A. Les langues concrètes : des visions du monde différentes
Les langues concrètes, c’est-à-dire réellement et communément utilisées, ne sont pas simplement l’expression d’une pensée préexistante. Elles conditionnent la vision qu’ont du monde les individus qui les parlent.
B. Le langage scientifique : une langue culturellement située
Et si l’idée de « science universelle » était infondée ? Ainsi, selon le linguiste américain Benjamin Lee Whorf, la science ne serait qu’une forme culturelle particulière. Elle unirait des hommes, mais pas les hommes.
C. Le langage concret : un instrument de domination
Les langues concrètes ne sont pas neutres. Elles sont des marqueurs de domination symbolique. Pierre Bourdieu explique ainsi que « les discours […] sont aussi des signes de richesse destinés à être évalués, appréciés et des signes d’autorité destinés à être crus et obéis ».
[Transition] Et pourtant, quand l’anthropologue Whorf ou le sociologue Bourdieu parlent, ils prétendent bien tenir un discours à valeur objective universelle. N’est-ce pas là le signe qu’un certain usage du langage peut apporter sa contribution à l’union des hommes ?
3. Le langage comme solution à la division des hommes
A. Les langues ne sont pas des carcans
Contrairement à ce que soutient Whorf, Chomsky défend la thèse selon laquelle il existe une grammaire universelle innée : tous les hommes naissent en possédant la même structure cognitive permettant d’acquérir des compétences linguistiques.
À supposer même que Chomsky se trompe, les langues ne sont pas des carcans indépassables. Tout d’abord parce qu’une langue peut être traduite en une autre langue. Ensuite parce que les langues peuvent être apprises et, ce faisant, l’ouverture à de multiples visions du monde est toujours possible.
B. Le langage scientifique : un vecteur d’union
Le développement de la science s’est accompagné d’une rupture avec les langages ordinaires au profit de la construction d’un langage universel. Ainsi, Galilée soutient que l’univers « est écrit dans une langue mathématique, et [que] les caractères en sont les triangles, les cercles, et d’autres figures géométriques, sans lesquelles il est humainement impossible d’en saisir le moindre mot ».
C. La sociologie : une thérapie du langage
Un des buts de la sociologie est de combler les fossés linguistiques qui séparent les hommes. Par exemple, Bourdieu défend l’idée d’une pédagogie rationnelle au sein des musées : il faut proposer davantage d’informations claires pour que les membres des classes défavorisées puissent enfin accéder à une compréhension des œuvres.
Conclusion
Alors même que le langage semble bien constituer, en première analyse, un facteur d’union des hommes, il faut reconnaître que les langues concrètes peuvent contribuer à les opposer. C’est seulement grâce à un travail réflexif sur lui-même que le langage peut réellement participer à l’union des hommes. Si la science et la philosophie sont bien quêtes de vérités universelles, ce travail de réflexion critique du langage sur lui-même ne s’impose-t-il pas comme la tâche préalable indispensable ?