Polynésie française • Septembre 2017
dissertation • Série ES
Les croyances témoignent-elles d’une faiblesse de la raison ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
Les croyances témoignent-elles
La croyance désigne l’action de tenir une chose pour vraie, vraisemblable ou possible. Il en existe donc plusieurs degrés. Elle peut être l’expression d’une probabilité comme la manifestation d’une certitude. Croire que l’on ira bientôt au cinéma n’est pas identique à la foi du croyant qui ne doute jamais de son Dieu. Pourquoi regrouper ces attitudes sous un même nom ? On répond généralement que croire n’est pas un acte de la raison mais le fruit d’un sentiment ou d’une hypothèse plus ou moins réfléchie.
D’une faiblesse
Une faiblesse est la marque d’une impuissance. Elle signale un défaut, une insuffisance. Une faiblesse de la raison serait donc l’indice de son incapacité à intervenir dans certains domaines pour nous en procurer une maîtrise ou une connaissance. Nous sommes ainsi invités à réfléchir au sens des éventuelles limites de la raison.
De la raison
La raison n’est pas non plus une notion simple. Elle signifie d’abord l’action de calculer. La raison est présente dans les sciences où elle analyse et démontre. Elle déduit, induit, généralise en formulant des lois. Cela étant, tout raisonnement n’est pas scientifique. L’usage de la raison existe aussi dans la vie pratique.
Dégager la problématique et construire un plan
La problématique
Dire que les croyances témoignent d’une faiblesse de la raison implique un jugement de valeur. On présuppose que la raison devrait pouvoir tout démontrer avec une certitude absolue. Le fait de croire serait alors le signe d’une incapacité de la raison. Est-ce fondé ? La conception de la raison qui est ici sous-entendue mérite d’être discutée. Qu’elle ne puisse pas tout prouver ne signifie pas forcément qu’elle soit faible. La problématique consiste donc à réfléchir à la signification que l’on donne aux termes de croyance et de raison.
Le plan
Dans un premier temps, nous étudierons les présupposés du sujet. Puis, nous éclaircirons la thèse d’une force de la raison en montrant qu’elle est liée à la notion de déterminisme. La dernière partie proposera une approche différenciée du sujet selon les sens possibles des notions.
Éviter les erreurs
Il faut faire attention à l’usage du mot « faiblesse » lorsque l’on parle des limites de la raison et tenir compte du fait que le sujet parle des croyances.
Corrigé
Corrigé
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
Il est tentant d’opposer en bloc les croyances à la raison. Croire semble être l’aveu d’une ignorance alors que la raison est la faculté par laquelle nous calculons et démontrons. Les sciences se présentent comme les modèles du savoir rationnel qui exclut le doute. Aussi, toute avancée des croyances apparaît comme un recul de la raison, un aveu de sa faiblesse. Est-ce toutefois aussi évident ? Les croyances sont elles-mêmes de plusieurs sortes. Une hypothèse scientifique n’est pas identique à une adhésion irréfléchie à des opinions qui flattent notre vanité. Ne peut-on concevoir des croyances rationnelles ou raisonnables ? Le sens des notions est complexe. De quoi les croyances sont-elles le signe ? Quels sont leurs rapports avec la raison ?
1. Les présupposés du sujet
A. L’opposition entre croire et savoir
conseil
Donnez un exemple pour illustrer le sens des notions.
La croyance se présente comme le propre d’un esprit qui manque de certitudes. Celui qui croit suppose, présume, ou se figure. Il reconnaît donc l’existence d’un doute quant à la vérité de ce qu’il avance. Nous croyons parce que nous ne pouvons pas avoir de certitude rationnellement démontrée. Par exemple, nul ne peut savoir quel temps il fera tel jour dans trois mois. Les météorologues donnent des prévisions fondées sur des calculs et nous ne pouvons qu’y croire. Cela implique-t-il forcément une faiblesse de la raison ? La faiblesse est la marque d’une impuissance. Une personne physiquement faible n’est pas apte à réaliser des actes qu’une autre pourra accomplir. Transposée sur le plan intellectuel, la faiblesse concerne la valeur du jugement. Nous avons dans l’idée qu’un jugement rationnel exclut le doute. Il rejette la vraisemblance et affirme la vérité de ce qu’il énonce.
B. Le modèle de la démonstration
Cette opinion répandue repose sur un modèle dans l’établissement du savoir, celui de la démonstration. Leibniz en donne la définition suivante : « La démonstration est un raisonnement par lequel une proposition devient certaine. Ce qui arrive chaque fois que l’on montre à partir de quelques suppositions qui sont posées comme assurées que celle-là s’ensuit nécessairement. » On remarque l’importance du critère de la nécessité. Elle qualifie ce qui ne peut pas ne pas être ou ce qui ne peut être autrement qu’il n’est. Ce qui est nécessaire est donc absolument certain. La raison montre ici sa force. Elle relie entre elles des propositions reconnues comme vraies de façon à en déduire la vérité ou la fausseté d’une conclusion. Dès lors, la croyance n’a pas ici sa place. Rien n’est hypothétique ou douteux. L’esprit possède une idée claire et distincte de la chose qu’il juge.
[Transition] Cette force de la raison a-t-elle pour pendant une faiblesse que les croyances viennent révéler ?
2. La raison dans les sciences
attention
L’usage des citations n’est éclairant que si elles sont commentées.
A. Le déterminisme
La démonstration est le procédé intellectuel par lequel nous possédons la science relativement à un sujet. Aristote précise cette thèse : « Nous estimons avoir la science d’une chose de manière absolue, (…) quand nous croyons que nous connaissons la cause par laquelle la chose est, et que nous savons que cette cause est celle de la chose, et qu’en outre il n’est pas possible que la chose soit autre qu’elle n’est. » La notion de cause vient compléter celle de nécessité. La connaissance des causes est capitale car elle permet de prévoir avec précision l’issue d’un processus. Or la croyance porte souvent sur l’issue d’un phénomène. Ce qui est à venir est, par définition, incertain. La raison fait apparaître des relations déterminées qui nous garantissent que les effets sont d’avance connaissables. Les sciences affirment l’existence du déterminisme que Claude Bernard définit comme suit : « Je pose comme un principe scientifique (…) que dans les phénomènes de la nature brute ou vivante, il n’y a pas d’effet sans cause, c’est-à-dire que quand un phénomène apparaît, c’est qu’il y a eu une condition déterminante de cette manifestation. » Il devient alors possible de trouver des lois permettant d’affirmer que les mêmes causes produisent les mêmes effets.
B. La croyance rationnelle
Le déterminisme fonde la puissance de la raison. Le réel est cependant plus vaste et complexe que ce que notre raison n’en peut analyser et comprendre. Le hasard n’est pas une invention de notre esprit, il existe objectivement dans les choses et oblige la raison à adopter une démarche probabiliste et conditionnelle. Dans ce cadre, croire prend un sens précis. Un scientifique formule des hypothèses de façon raisonnée afin de fonder son travail de recherche. Parler de faiblesse est inadéquat car la résistance à la raison ne vient pas d’un défaut de la raison. La croyance est elle-même le fruit d’un raisonnement. Ce n’est cependant pas le seul cas à envisager. Pascal veut humilier la raison en lui montrant que l’univers est infini en petitesse comme en grandeur. L’orgueil de la raison la pousse à vouloir tout démontrer mais cela est impossible et le réel tourne en ridicule ses prétentions. La démonstration est toujours dépendante de vérités premières qu’elle admet comme des principes. De plus, la raison s’avère impuissante dans le champ social.
[Transition] Il faut poursuivre l’enquête sur les limites du pouvoir de la raison.
conseil
La dernière partie doit donner la vue la plus précise du sujet.
3. Les limites sont-elles des faiblesses ?
A. Le pouvoir de l’imagination
Les Pensées brossent le portrait d’une raison impuissante à empêcher les hommes de croire aux fantaisies de leur imagination. Celle-ci est une « superbe puissance » qui se plaît à contrôler et à dominer tous nos efforts de raisonnement. Pascal peint la vie sociale comme un vaste jeu de rôles. La réputation et le respect sont des sentiments inspirés par les apparences sociales, la richesse ou le pouvoir. Nous concluons faussement de l’éclat d’un habit ou d’une cérémonie à la valeur des personnes auxquelles il se rapporte. Les protestations de la raison sont vaines ; « elle ne peut mettre le prix aux choses ». Le paradoxe est que, selon Pascal, seule une autre croyance pourrait nous sauver vraiment. Celle de la foi dans le Christ. La foi est une croyance particulière. Elle se présente comme une certitude absolue et révèle des vérités premières qui donnent sens à notre existence. Dieu est uniquement « sensible au cœur » et le savoir donné par la foi nous éclaire sur notre vraie nature.
B. La question existentielle
L’exemple de Pascal est intéressant car il montre que la raison scientifique ne peut pas répondre aux questions touchant le sens de la vie. Mais est-ce vraiment une faiblesse ? On peut répondre qu’il y a d’autres usages de la raison et notamment dans le domaine éthique. Descartes élabore une morale par provision. Il se donne des maximes pour se gouverner à travers les aléas de l’existence. Ici, la raison formule des règles pour structurer une conduite. Comme dans les sciences, elle a un certain pouvoir tout en sachant qu’elle bute sur le caractère imprévisible des événements. De plus, l’incapacité de la raison à tout diriger ne signifie pas que toute croyance soit justifiée. Pascal le reconnaît d’ailleurs en condamnant deux excès contraires. Exclure la raison ne vaut pas mieux que lui conférer un pouvoir sans limites. Ainsi, toutes les croyances ne se valent pas. Certaines sont stupides ou délirantes. Le superstitieux invente des relations imaginaires entre des phénomènes car il est animé par un désir sans mesure de réussite. Sa crainte et son envie non raisonnée le rendent crédule et manipulable. Dans ce cas, il faut dénoncer la faiblesse des croyances et non de la raison. Il reste cependant que celle-ci ne peut pas tout vaincre. La permanence de la superstition, la force actuelle des mentalités complotistes peuvent apparaître comme des mises en échec de la raison. Nous pouvons dire, en ce sens, que la raison est impuissante mais qu’il n’y a pas lieu de s’en réjouir et qu’il faut, autant que possible, contribuer à son développement par la culture et l’instruction.
Conclusion
Notre réflexion nous conduit à distinguer différents types de croyance et différents usages de la raison. L’usage réfléchi de la croyance est un acte de la raison qui sait reconnaître ses limites et n’a pas de rapport avec la crédulité et la bassesse d’esprit dont le complotisme se nourrit. Il est vrai que la présence des croyances dans le champ social fait voir que les capacités de la raison ont des limites mais il faut nuancer selon les cas. La faiblesse avérée, mais dommageable, de la raison vient de son impuissance à juguler la superstition.