Liban • Mai 2014
dissertation • Série ES
L’histoire est-elle une science impossible ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
Histoire
L’histoire désigne à la fois la suite des événements relatifs aux sociétés passées et l’étude de ces faits par les historiens : « historia », en grec, désigne l’étude, l’enquête portant sur des faits.
Science
La science désigne un type de connaissance qui semble se caractériser par son universalité : elle doit être toujours vraie, et vraie pour tous. De cette caractéristique découle le caractère nécessairement objectif du discours scientifique. La science serait ainsi une connaissance reposant sur des critères précis de vérification de ses résultats.
Au-delà de cette unité de méthode, on peut parler « des sciences », dans la mesure où la science est multiple par ses objets. On distingue en particulier les sciences expérimentales, qui se rapportent à des objets donnés dans l’expérience, des sciences formelles telles que la logique, qui procèdent par déduction, et des sciences humaines, dont l’objet est le milieu humain.
Impossible
Ce qui est impossible est ce qui ne peut pas être. Une « science impossible » pourrait être une science qui n’en est pas une (ses résultats seraient faux), une connaissance dont la scientificité est douteuse, ou une connaissance qui vise à la scientificité mais à laquelle manque un critère de scientificité.
Dégager la problématique et construire un plan
La problématique
Le problème posé par le sujet réside dans le rapport envisagé entre l’histoire et la science : l’histoire peut-elle prétendre à la scientificité ?
La problématique découle de ce problème central, puisqu’il s’agira de se demander s’il est possible que l’histoire soit une science, ou si elle est au contraire condamnée à ne jamais accéder à la scientificité. Nous devrons nous demander quels sont les critères de la scientificité, et en quoi l’histoire pourrait les satisfaire ou échouer à les satisfaire. Mais si l’histoire ne peut pas être une science, que pourrait-elle être ?
Le plan
Dans un premier temps, nous verrons pourquoi l’histoire est une science impossible dans la mesure où elle prétend à la scientificité sans jamais pouvoir, en raison de la nature de son objet, l’atteindre. Pourtant, la scientificité de l’histoire est-elle vraiment une prétention abusive ? Le discours historien n’a-t-il rien de scientifique ? Nous nous demanderons enfin de quel point de vue l’histoire peut répondre aux critères de la scientificité.
Éviter les erreurs
Pour bien comprendre la spécificité de la question, il ne faut pas oublier d’analyser le terme « impossible » : se demander si l’histoire est une science impossible, c’est à la fois se demander si l’histoire est une fausse science ou si elle vise une scientificité qu’elle ne peut atteindre.
Corrigé
Corrigé
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Introduction
Se demander si l’histoire est une science impossible, c’est se demander si la prétention scientifique de l’historien ne se heurte pas à la nature particulière de son objet. A priori, on aurait tendance à se dire que l’histoire est une discipline scientifique : classée parmi les sciences humaines, elle se distinguerait des autres types de sciences par son objet, à savoir le milieu humain. Mais l’histoire est-elle vraiment une science ? Peut-on parler d’une vérité historique dès lors que l’historien interprète nécessairement le passé ?
L’histoire se définit comme la discipline visant à la connaissance des faits relatifs au passé de l’homme : « historia », en grec, désigne l’étude, l’enquête portant sur ces faits. La science désigne un type de connaissance qui semble se caractériser par son universalité : elle doit être toujours vraie, et vraie pour tous. De cette caractéristique découle le caractère nécessairement objectif du discours scientifique. La science serait ainsi une connaissance reposant sur des critères précis de vérification de ses résultats. Une « science impossible » pourrait être une science qui ne peut pas en être une (ses résultats seraient faux), ou une connaissance qui vise à la scientificité mais à laquelle manque un critère de scientificité.
Le problème posé par le sujet réside donc dans le rapport envisagé entre l’histoire et la science : l’histoire peut-elle prétendre à la scientificité ? Qu’est-ce qui au contraire pourrait empêcher la connaissance historique d’accéder au statut de science ? Mais si l’histoire ne peut pas être une science, que pourrait-elle être ?
Tout d’abord, nous verrons que l’histoire est une science impossible dans la mesure où elle prétend à la scientificité sans jamais pouvoir, en raison de la nature de son objet, l’atteindre. Pourtant, la scientificité de l’histoire est-elle vraiment une prétention abusive ? Nous chercherons enfin de quel point de vue l’histoire peut répondre aux critères de la scientificité.
1. L’histoire est une science impossible
A. Si l’histoire était une science, elle serait une « science des individus »
Info
Pour Schopenhauer, l’histoire ne peut même pas être tenue pour une connaissance. « Condamnée à ramper sur le terrain de l’expérience », l’histoire n’est qu’un récit de faits individuels, une « demi-connaissance toujours imparfaite » qui « doit encore se résigner à ce que chaque jour nouveau, dans sa vulgaire monotonie, lui apprenne ce qu’elle ignorait auparavant ».
Dans un premier temps, on peut penser que l’histoire est une science impossible dans la mesure où la nature de son objet lui interdit d’être une science. En effet, le discours de l’historien porte sur un milieu humain dont, au contraire d’un milieu naturel qui se caractérise par son immuabilité, il semble impossible de dégager des lois. Or, si la science se définit comme une connaissance identifiant des rapports de causalité entre des faits, il semble que l’histoire ne puisse être une science. C’est ce que souligne Schopenhauer : si l’histoire était une science, elle serait une « science des individus », c’est-à-dire des faits nouveaux, uniques, que l’on ne peut rapporter à aucun système. Or, une telle science n’est précisément pas une science, dès lors que la science se définit par sa capacité à subsumer des faits sous des lois.
B. Le discours de l’historien ne peut prétendre à l’objectivité
Si Schopenhauer marque une première limite aux prétentions scientifiques de l’histoire, il est possible d’ajouter à cela que le discours de l’historien est nécessairement un discours subjectif. Le matériau de l’historien est en effet fragmentaire : à partir de traces, d’archives, de bribes du passé, il doit proposer une interprétation qui fait nécessairement intervenir sa subjectivité. Or, si le discours scientifique se caractérise par son objectivité, il semble bien que l’histoire ne puisse être identifiée à une science qui exige l’impartialité et l’objectivité de ses résultats.
[Transition] Pourtant, le discours de l’historien est-il condamné à ne recueillir qu’une succession de faits, interprétés et déformés par sa subjectivité ?
2. L’histoire n’est pas une science impossible
A. L’historien dégage des régularités
En réalité, dire qu’il est impossible pour l’histoire d’être une science au motif que le discours historien ne satisferait pas à ces deux critères de scientificité que sont l’établissement de lois nécessaires et l’objectivité, c’est présupposer qu’il n’existe qu’un seul type de lois et d’objectivité. Or, il faut distinguer, comme le souligne Max Weber, les « sciences de la nature » – qui mettent au jour des lois nécessaires, fixes et rigides – des « sciences du réel » comme l’histoire, qui tendent à identifier des régularités générales, des « tendances », souples, relatives et évolutives.
S’il est impossible de mettre au jour des lois nécessaires du milieu humain, dit Weber, c’est que le milieu humain ne peut se contenter de l’application de lois rigides de type physique mais exige une explication causale plus complexe que le milieu naturel. Ainsi, l’historien doit dégager des schémas d’interprétation, en s’appuyant sur un pluralisme causal seul à même de cerner la singularité d’un événement.
B. La science n’exclut pas le recours à la subjectivité
C’est ainsi que la subjectivité de l’historien se trouve nécessairement impliquée dans sa démarche scientifique : s’il est impossible à l’historien de se dépouiller de sa subjectivité, d’après Weber, il ne faut pas voir dans ce recours à la subjectivité ce qui empêche l’histoire d’être une science, mais au contraire ce qui lui permet d’en être une, car l’historien doit s’appuyer sur elle dans sa visée scientifique. L’historien est un interprète du passé : sa subjectivité intervient nécessairement, par exemple au moment de constituer l’objet historique. S’il lui est impossible de faire abstraction de son vécu, de ses valeurs, de sa singularité, il doit les mettre au service de l’histoire en les confrontant aux valeurs du passé.
[Transition] Mais s’il est possible à l’histoire d’être une science, ne revendique-t-elle pas pourtant une spécificité parmi les autres sciences ?
3. L’histoire est une science humaine
Conseil
À une deuxième partie critique, vous pouvez ainsi faire succéder une troisième partie qui tire les conséquences de cette critique.
A. L’histoire est une science qui revendique un mode d’explication causale particulier
La spécificité de l’histoire en tant que science humaine tient au fait qu’il n’existe aucune vérité figée du passé : c’est précisément parce que l’intervention de l’historien fait partie de l’histoire, dit Weber, que l’histoire s’enrichit sans cesse de nouvelles interprétations.
Qu’il s’agisse d’une interprétation ne remet pas en cause le caractère scientifique du discours historien : là encore, il faut définir une scientificité propre à l’histoire. La science historique, d’après Weber, revendique un certain type de scientificité lié à un mode d’explication causale étranger à la notion de loi, de même qu’elle revendique une objectivité spécifique.
B. L’histoire est une science qui invente un type d’objectivité
Info
Ricœur distingue une « mauvaise subjectivité », qui consisterait par exemple, à partir d’un jugement de valeur pour interpréter un fait du passé, en une « bonne subjectivité » qui interviendrait dans la confrontation des valeurs de l’historien aux valeurs du passé.
C’est précisément ce que souligne Paul Ricœur, en distinguant différents « niveaux d’objectivité », celle-ci étant définie comme « ce que la pensée méthodique a élaboré, mis en ordre, compris, et ce qu’elle peut ainsi faire comprendre ». De ce point de vue, l’histoire doit prétendre à un certain type d’objectivité, dans laquelle intervient nécessairement la subjectivité de l’historien. « Cela ne veut pas dire, précise-t-il, que cette objectivité soit celle de la physique ou de la biologie : il y a autant de niveaux d’objectivité qu’il y a de comportements méthodiques. Nous attendons donc que l’histoire ajoute une nouvelle province à l’empire varié de l’objectivité. »
Conclusion
En définitive, on peut dire que l’histoire, loin d’être une science impossible, est une science qui, inventant un nouveau type d’objectivité et revendiquant un mode d’explication causale étranger à la notion de loi, définit sa propre scientificité. Si elle est, en tant que science humaine, bien distincte des sciences expérimentales ou formelles, il n’en reste pas moins qu’elle est, du point de vue de sa méthode, une science.