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France métropolitaine • Juin 2017
dissertation • Série L
Suffit-il d’observer pour connaître ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
Suffire
Ce verbe implique l’idée de condition et de nécessité. Avoir ce qui suffit, c’est avoir tout ce qu’il faut pour réussir un projet.
Observer
Ce verbe signifie considérer avec attention, examiner. Cette attitude ne vaut pas pour elle-même. Elle est le moyen d’une fin. On n’observe quelque chose que parce que l’on poursuit un objectif. L’attitude contraire est la négligence ou la distraction.
Connaître
Ce verbe est synonyme de savoir. La connaissance est le but d’une recherche ou d’un apprentissage. Elle motive un désir. Cela étant, les savoirs peuvent être de nature différente. Nous parlons de savoir théorique ou pratique selon leur origine et leur fonction.
Dégager la problématique et construire un plan
L’observation est associée au désir de connaissance. Ce n’est pas une attitude désintéressée mais une attention soutenue conformément à un projet. Cependant, la diversité des formes de connaissance conduit à évaluer le statut de l’observation. Veut-on acquérir un savoir-faire ou un savoir scientifique ? Quant à l’observateur, il est lui-même situé. Son point de vue ne le rend-il pas partial ?
Nous commencerons par montrer le lien qui unit l’observation et la connaissance puis nous préciserons notre analyse en distinguant des formes de savoir. La dernière partie fera le point sur la relation entre l’observation et la théorie dans le champ scientifique.
Éviter les erreurs
Il ne faut pas opposer schématiquement la théorie et la pratique dans le domaine de la connaissance.
Corrigé
Corrigé
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
Observer est une attitude généralement valorisée. Elle désigne l’obéissance mais plus généralement une concentration de l’attention sur un objet que l’on cherche à connaître. Aussi déprécie-t-on l’inattentif qui laisse échapper l’essentiel et loue-t-on l’observateur qui ne laisse rien passer, ce qui lui permet de s’instruire. De plus, les bienfaits de cette attitude sont visibles, tant sur le plan théorique – on parle de sciences d’observation – que pratique, car observer permet d’agir à propos. Les liens avec la connaissance ne sont cependant pas simples. Qu’entend-on exactement par ce terme ? Comment devient-on savant dans un domaine ? De plus, si observer apparaît requis pour connaître, quelle est la place de cette fonction ? Est-elle une condition nécessaire et suffisante ?
1. Le lien entre observer et connaître
A. Que signifie observer ?
Conseil
Ne négligez pas le sens courant des mots. Analysez-le.
L’observation est une attitude consistant à examiner quelque chose avec soin. Celui qui observe étudie son objet, qu’il s’agisse d’un comportement humain ou des phases d’un phénomène naturel. Il y a donc, à l’origine, un sujet qui cherche à connaître. Notons que l’observation peut également se pratiquer sur soi. On parle alors d’introspection. Dans tous les cas, il ne s’agit pas d’une simple perception qui saisirait les traits généraux de ce qu’elle vise. L’objet est scruté par un regard qui l’analyse et mémorise ce qu’il voit afin de s’en procurer une compréhension. Le savant qui examine la structure d’un végétal, le médecin qui prête attention aux symptômes de son patient sont mus par une curiosité qui les rend attentifs aux particularités et aux évolutions de ce qu’ils considèrent. L’observation paraît être la voie de la connaissance. Comment pourrait-on acquérir le savoir de ce que l’on n’examine pas ?
B. Découvrir les lois du réel
Remarque
Votre analyse doit approfondir progressivement la réflexion.
Que cherche-t-on à découvrir en observant ? Quand l’astronome braque son télescope vers le ciel, il découvre que les mouvements des planètes témoignent de l’existence d’un ordre. L’observation nous fait voir des mouvements périodiques qui montrent une régularité dans le cours des astres. Elle laisse penser qu’il existe des lois régissant les phénomènes examinés. Les mêmes valeurs se rencontrent dans d’autres domaines, comme le prouve la sociologie. Des comportements qui se croient libres sont en réalité conditionnés par des facteurs comme la famille, le lieu d’habitation, les attentes en matière scolaire. Observer c’est enquêter en se confrontant au réel afin de percer la façon dont il est structuré. S’il est vrai que les mathématiques s’en passent, car elles n’ont pas affaire à la nature, les autres sciences ne peuvent s’en dispenser. L’observation apparaît être la condition de l’accès à la connaissance. Ce n’est pas une contemplation esthétique dans laquelle le sujet jouit des apparences d’un spectacle sans chercher leurs causes.
[Transition] Avoir établi l’existence d’un lien ne suffit pas. Il faut évaluer sa portée puisque le sujet demande si l’observation suffit à connaître.
2. Expérience et expérimentation
A. Nature et limites du savoir empirique
Au début de la Métaphysique, Aristote distingue le guérisseur et le médecin. Le premier est doté d’un sens de l’observation qui lui permet de savoir que tel bouillon aide à digérer ou que tel mouvement fait du bien mais il ignore les causes de ces effets. Le médecin, en revanche, est capable de répondre à la question « pourquoi ? ». Nous voyons ici les limites de l’observation dans l’acquisition de la connaissance. Elle se fonde sur des conséquences régulières et constatables mais elle ne saisit pas ce qui les produit. Dans les Nouveaux Essais sur l’entendement humain, Leibniz radicalise cette critique en soulignant que les liaisons fondées sur l’expérience sont communes aux hommes et aux animaux. Elles ne font que se « régler sur des exemples », c’est-à-dire sur des cas particuliers dont la liaison est contingente. L’habitude de voir que certains phénomènes se succèdent selon le même ordre finit par faire croire qu’ils sont nécessairement liés alors que cette liaison peut se défaire si les causes qui la produisent ne subsistent pas. Cela vaut pour la connaissance théorique mais aussi pratique. On a vu des hommes d’expérience ne pas saisir la nouveauté d’une situation.
B. La méthode expérimentale
Faut-il en déduire que l’observation est superficielle dès qu’il s’agit de connaître ce que sont les choses en elles-mêmes ? Il semble pourtant que la méthode expérimentale, définie par Claude Bernard, intègre l’observation dans le champ des connaissances scientifiques. Notons qu’il ne s’agit pas alors d’une observation commune mais d’une attention guidée par un regard scientifique. L’expérimentation est construite en laboratoire et le physiologiste a l’ambition de prévoir et de diriger le cours des phénomènes par la connaissance précise de leurs causes. Si l’observateur est un « photographe des phénomènes » et semble ne recueillir que des données, il faut se rappeler qu’une photo est cadrée et prise dans une certaine intention. Il existe un processus dynamique où l’observation s’enchaîne à la formulation d’hypothèses que l’expérimentation vient confirmer ou infirmer.
Conseil
Clarifiez le sens des notions par un exemple inséré dans une analyse.
Claude Bernard en a lui-même donné un exemple au sujet du foie du lapin. Le hasard lui fit observer que la proportion de sucre dans un foie était anormalement élevée. Des analyses variées et méthodiquement conduites lui permirent de découvrir que le foie produit du sucre et régule l’organisme alors qu’on croyait qu’il n’était qu’un organe de stockage.
Info
Les transitions sont nécessaires. Elles donnent de la clarté à votre progression.
[Transition] La méthode expérimentale a précisé la valeur de l’observation. Il reste à mieux l’articuler à l’ambition de connaître les phénomènes par leurs causes.
3. Observer et théoriser
A. Le problème de l’induction dans les sciences
« Le hasard, dit Pasteur, ne favorise que les esprits préparés. » L’exemple du foie le montre bien et répond à ceux qui pensent qu’une observation banale peut engendrer des théories profondes. La chute d’une pomme vue par Newton ou l’exemple d’Archimède se baignant sont des anecdotes célèbres qui font croire qu’il suffit d’observer pour élaborer des lois scientifiques. Or cette activité est du ressort de la théorie. Kant écrit à ce sujet qu’un « ensemble de règles […] est nommé théorie dès lors que ces règles, en tant que principes, sont pensées avec une certaine universalité, et qu’en cela on fait abstraction d’une multitude de conditions qui ont pourtant leur influence sur leur application ». Ainsi, théoriser revient à abstraire. L’observation peut mener à la formulation de règles générales mais il est dangereux de la prendre pour fondement. C’est le problème de l’induction. Induire signifie généraliser à partir d’un grand nombre de cas semblables. Or un contre-exemple est toujours possible. Théoriser n’est donc pas chose facile car il s’agit de formuler des lois qui soient à la fois constantes, générales et précises. La loi de la chute des corps suivant un mouvement uniformément accéléré définit avec rigueur les relations qui unissent les paramètres de la chute. Cette relation est à la fois déterminée et universelle. Elle vaut pour tous les corps. L’observation ne peut arriver à la formulation d’une loi. Celle-ci réclame un travail spécifique de la raison.
B. Raison et observation
La raison s’élève à l’universel alors que l’observation dépend de conditions particulières. L’observateur étudie toujours son sujet d’un certain point de vue et cette limitation est incluse dans le résultat qu’il obtient. L’ignorance de ce critère conduit à des erreurs. Ainsi, Leibniz relève que les Anciens ont cru que jour et nuit se succédaient sur une période de 24 heures, car ils ne connaissaient pas l’existence des pôles. Les calculs de la raison permettent la prévision. L’exemple récent de Thomas Pesquet le prouve. Comment faire décoller et atterrir une navette spatiale sans la puissance du calcul ? Ainsi, les démonstrations n’ont pas pour fondement l’observation. Cela dit, on aurait tort de rejeter totalement celle-ci. Elle demeure importante car elle permet d’infirmer une théorie trop sûre d’elle. Le rôle des instruments dans les sciences est capital. En effet, l’usage scientifique du télescope permit à Galilée de découvrir des taches et des cratères sur la lune et de rejeter l’idée d’un monde supra-lunaire incorruptible. Le microscope donna accès au monde cellulaire inaccessible à l’œil nu. Claude Bernard définit l’esprit scientifique comme un mélange d’assurance et de doute. Il faut croire dans le pouvoir d’explication de la raison mais renoncer à des théories dès lors que des observations bien conduites les démentent. L’attention au réel garantit l’ouverture de l’esprit.
Conclusion
L’étude de ce sujet nous a montré que le lien entre l’observation et la connaissance est profond. Il importe cependant de distinguer des savoirs empiriques uniquement fondés sur l’induction du cas des sciences dans lesquels l’observation ne peut être la condition nécessaire et suffisante de l’acquisition de connaissances rationnelles. Cela étant, il importe de reconnaître à l’observation un rôle indispensable dans la mesure où elle stimule notre raison et empêche l’esprit de tomber dans le dogmatisme. La complexité changeante du réel rend précieuse cette qualité : savoir observer.