Dissertation
Tout peut-il être objet de science ?
Définir les termes du sujet
Tout
La science cherche à connaître la réalité. Chaque discipline identifie son objet propre. Il est question de savoir, ici, si la totalité de la réalité peut devenir objet de science.
Peut-il être
Est-il possible que tout devienne objet de science ? Il s’agira de définir les conditions qui permettent de faire d’une chose un objet de science.
Objet de science
Du latin ob-jectum (« ce qui est jeté devant »), le mot objet désigne ce qu’un sujet peut percevoir, penser, imaginer. Il ne désigne donc pas seulement les choses tangibles.
Un objet de science est un objet susceptible d’être étudié par les scientifiques. Cela implique de considérer les conditions dans lesquelles il est possible de mener une investigation scientifique sur un phénomène.
Dégager la problématique
Construire un plan
Corrigé
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
[Reformulation du sujet] Chaque science semble avoir un objet, c’est-à-dire un domaine de prédilection sur lequel portent ses efforts de connaissance. Mais est-ce à dire que tout peut devenir objet de science ? [Problématique] D’un côté, les hommes veulent connaître la totalité du réel. De l’autre, l’objectivité d’une connaissance semble impliquer des conditions que la totalité du réel ne remplit pas. [Annonce du plan] Tout d’abord, nous déterminerons les conditions qui permettent à un objet de devenir objet de science. De là, nous verrons que certaines choses ne remplissent pas ces conditions. Enfin, nous montrerons que la science ne trouve pas ses objets tout faits, mais qu’elle doit les construire.
1. De l’objet à l’objectivité
A. Qu’est-ce qu’un objet de science ?
Le mot « objet » vient du latin ob-jectum (« ce qui est placé devant »). L’objet se rapporte à un sujet qui le perçoit et veut le connaître. Ainsi, l’objet de science est ce que veut connaître le scientifique et qui détermine sa discipline. Par exemple, les mathématiques ont pour objet le nombre et la figure.
Pour Kant, un objet peut être compris comme un phénomène ou une chose en soi. Le phénomène implique une expérience du sujet qui en est affecté par les sens et l’appréhende par son entendement. Nous ne pouvons connaître que les phénomènes, les choses telles qu’elles nous apparaissent, et non les choses en soi.
Seuls les phénomènes peuvent être des objets de science, car ils impliquent une expérience possible. Ce dont on ne fait pas l’expérience ne peut aucunement être objet de science. Dieu, par exemple, peut être objet de discours, mais non de science.
B. De l’expérience à la théorie
L’expérience doit donner lieu à des régularités que l’esprit humain peut dégager. En faisant varier les paramètres dans le cadre d’un protocole expérimental, le scientifique repère des lois. La loi d’Ohm par exemple montre le lien constant entre l’intensité d’un circuit électrique, la tension aux bornes d’une résistance et la valeur de cette résistance.
Une théorie scientifique consiste ainsi à construire une représentation précise des différents phénomènes étudiés par l’intermédiaire de lois. La théorie est vérifiée par l’expérience, qu’elle permet aussi de diriger.
[Transition] Une chose peut devenir objet de science à deux conditions : il faut qu’on puisse en faire l’expérience et cette expérience implique une régularité telle qu’on puisse dégager des lois qui s’unifient en une théorie.
2. Ce qui résiste à l’objectivité
A. Une objectivité problématique
Ainsi, si une chose ne répond pas à ces deux conditions, elle ne peut pas être objet de science. Cela implique une première limitation de la science : la totalité des choses et l’être en soi, ne pouvant être les objets d’une représentation, ne sauraient être des objets pour la science.
La connaissance du futur et du passé pose un problème similaire. Certes, la science cherche à prédire ce qui se passera, mais elle le fait à partir de théories construites sur des expériences passées. Ce n’est donc pas l’avenir en tant que tel qui est objet de science. De même, le caractère scientifique de l’histoire a été discuté, dans la mesure où l’expérience qu’on en fait ne peut pas se répéter.
Pour Ricœur, la notion d’objectivité pensée dans les sciences de la nature ne peut être appliquée à toutes les sciences. Il y a différents niveaux d’objectivité et une science doit prendre en compte la spécificité de son objet.
B. Le sujet peut-il être un objet de science ?
La connaissance du sujet pose un problème spécifique. L’homme ne veut pas seulement connaître les choses qui se trouvent devant lui, il veut aussi se connaître en tant qu’être conscient et libre. Telle est l’ambition de la psychologie, de la sociologie. Or peut-on faire de l’homme un objet de connaissance ? N’est-ce pas dès lors nier en lui ce qui relève de la subjectivité ?
Prenons le cas de la sociologie. Durkheim montre que « les faits sociaux sont des choses » dont on peut tirer une connaissance objective. Il étudie par exemple le suicide, en laissant de côté ce que ressentent les individus, pour dégager, à partir de données statistiques, les causes objectives du suicide. N’est-ce pas dire que le comportement humain n’est pas libre, mais déterminé ? En outre, la sociologie admet des exceptions, contrairement aux sciences de la nature.
Lévi-Strauss montre ainsi le caractère paradoxal de l’expression « sciences humaines » : plus un discours est scientifique, plus il a tendance à effacer ce qu’il y a de subjectif dans l’expérience humaine. Or, plus un discours cherche à connaître l’homme, plus son objectivité et son caractère scientifique sont problématiques.
[Transition] La science veut donc connaître certaines choses (l’avenir, le passé, l’homme) qui semblent échapper à toute forme d’objectivité.
3. La construction de l’objet
A. La science construit son objet
S’il y a ainsi différents niveaux d’objectivité, c’est que la science ne trouve pas son objet tout fait devant elle : elle le construit. Il n’est pas donné dans l’expérience commune, il est « la conclusion d’un jugement » selon Ullmo. L’objet de la science renvoie à un effort d’invention du scientifique qui trouve prise pour connaître le réel.
L’objet de la science est corrélatif à un effort méthodique pour le construire à partir de procédés de mesure et de théories préalables. Par exemple, le physicien n’étudie pas les couleurs telles qu’elles nous apparaissent spontanément, il construit le concept de longueurs d’onde pour en rendre compte.
B. Un exemple privilégié : la biologie
Définir ce qu’est la vie est ardu. Les êtres vivants semblent impliquer une finalité, dont on a cherché à rendre compte à partir de la notion d’âme. Or la science privilégie le rapport de causalité pour expliquer les phénomènes.
Les biologistes ont donc dû imaginer des protocoles expérimentaux novateurs pour prendre en compte la spécificité de leur objet. Si l’anatomie étudie les organes indépendamment les uns des autres, la physiologie cherche à montrer leur interdépendance. Les biologistes cherchent à élucider le rapport du vivant à son milieu pour rendre compte de ses facultés d’adaptation.
Conclusion
Tout ne peut pas devenir objet de science, dans la mesure où l’objectivité implique des conditions. Pourtant, il convient de saisir que la science doit construire ses objets, de telle sorte que ce qui ne paraît pas objectivable aujourd’hui le sera peut-être demain. Cela implique de saisir la dimension créatrice et inventive de la science : la science ne se contente pas de décrire le réel tel qu’il est, mais elle invente sans cesse de nouveaux protocoles pour permettre une connaissance plus grande du réel.