Dissertation
De l’invention à l’inflation du patrimoine en France
Analyser le sujet
Dégager la problématique
Reformuler le sujet est ici essentiel. Le patrimoine est-il une passion française ?
Cette problématique, ouverte, permet de développer une argumentation pour donner une réponse positive tout au long du devoir.
Construire le plan
Dans tout sujet chronologique il faut s’interroger sur les étapes du processus que l’on cherche à décrire : quels sont les moments clés qui constituent des césures et introduisent une nouvelle étape ?
Corrigé
Les titres et les indications entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
[Accroche] L’ampleur de la mobilisation pour sauvegarder la cathédrale Notre-Dame de Paris, après l’incendie qui l’a ravagée en avril 2019, témoigne de l’importance accordée par les Français à leur patrimoine. [Présentation du sujet] Mais définir ce qui relève du patrimoine n’est pas chose aisée : cette notion s’est construite dans le temps et les critères pour définir ce qui mérite d’être patrimonialisé ont beaucoup évolué, surtout depuis la Révolution française. On peut en effet dater de cette époque la volonté de conserver et de protéger ce qui appartient à la collectivité afin de le transmettre aux générations futures. [Problématique] Il est donc intéressant de se demander dans quelle mesure le patrimoine est devenu une passion française. [Annonce du plan] Nous verrons comment la notion de patrimoine naît officiellement en France à la Révolution française [I], comment elle se développe entre le milieu du xixe siècle et les années 1970 [II] et connaît enfin une inflation des critères servant à la définir depuis lors [III].
I. La notion de patrimoine naît en France
1. D’un patrimoine privé…
Le concept de patrimoine existe dès l’Antiquité, mais il ne concerne alors que les biens transmis entre les membres d’une famille : c’est le patrimonium (biens hérités du père). Au Moyen Âge, reliques, objets de culte, mais aussi objets d’art et du pouvoir sont conservés pour être transmis. Ainsi, Notre-Dame de Paris devient un des joyaux de l’art gothique et symbolise la fonction religieuse de la capitale.
À la Renaissance, des aristocrates créent des collections privées d’objets antiques qu’ils regroupent dans des cabinets de curiosité. Ils s’intéressent cependant davantage à des objets originaux, étranges qu’à des vestiges universels. Au xviiie siècle, l’esprit des Lumières influence les méthodes de classement pour mener à bien l’étude scientifique de ces objets.
2. … à un patrimoine collectif
C’est à la Révolution française que se construit le sens moderne de la notion de patrimoine. La destruction de demeures aristocratiques et d’objets religieux commence dès l’été 1789. Une conscience patrimoniale citoyenne voit le jour : l’abbé Grégoire s’insurge contre le « vandalisme » et réclame la protection des biens menacés.
Les biens du clergé et de la noblesse sont inventoriés dès 1790 après une décision de l’Assemblée et deviennent « biens nationaux ». Il s’agit d’objets d’art, de châteaux, de demeures aristocratiques. Le musée du Louvre, inauguré en 1793, accueille les collections de peintures et sculptures du château de Versailles. Ce dernier devient un lieu de dépôt des biens confisqués.
[Transition] À partir de la Révolution, le patrimoine caractérise des biens collectifs dignes d’être préservés pour être transmis. Il revient donc à l’État de protéger un patrimoine historique et artistique devenu patrimoine national.
II. L’essor du patrimoine (1880-1970)
1. La création des monuments historiques
C’est sous la monarchie de Juillet que commence véritablement une politique publique concernant le patrimoine avec la création, en 1830, de l’Inspection générale des monuments historiques par François Guizot. En 1840, une première liste de 880 monuments protégés voit le jour.
Les règles de conservation du patrimoine sont inscrites dans la loi sous la IIIe République. Celles-ci sont centralisées, régies par l’État mais ne concernent que le classement de bâtiments publics, auxquels s’ajoutent 45 000 édifices religieux lors de la séparation des Églises et de l’État en 1905.
Une nouvelle dynamique est amorcée : en 1906 une loi protège certains sites naturels et en 1913 la loi sur les monuments historiques étend la protection des bâtiments à des biens privés. À partir de 1943, un périmètre de protection de 500 mètres autour des monuments classés est institué.
2. L’élan patrimonial des années Malraux
La notion de patrimoine s’élargit progressivement : les dégâts matériels des deux conflits mondiaux posent la question de la pérennité du patrimoine. En 1959, un ministère de la Culture voit le jour, dirigé par André Malraux. En 1962, celui-ci crée des « secteurs sauvegardés » protégeant des quartiers historiques entiers. La même année, le château de Versailles retrouve tous ses objets disséminés dans de multiples collections publiques.
Afin de faire connaître le patrimoine du pays, les biens qui présentent un intérêt artistique ou historique sont alors recensés à partir de 1964 : c’est l’Inventaire général. De nombreux bâtiments en péril sont restaurés de 1959 à 1969 et des créations contemporaines, comme celles de l’architecte Le Corbusier sont inscrites sur l’Inventaire.
[Transition] Depuis la seconde moitié du xixe siècle, la gestion du patrimoine est dévolue à l’État. Mais celui-ci en conserve une vision assez traditionnelle. À partir de la fin des années 1970, ce patrimoine s’ouvre à de nouveaux secteurs.
III. L’âge d’or du patrimoine ? (1970 à nos jours)
1. L’inflation patrimoniale
Dans les années 1970, avec le ralentissement économique, les modes de vie changent et certains sont menacés de disparaître. Le patrimoine prend une nouvelle fonction : il doit être un témoignage du passé. C’est la naissance du « petit patrimoine » rural, industriel et urbain.
La fin de la paysannerie, la périurbanisation, l’accélération de la mondialisation entraînent une certaine idéalisation d’un monde qui disparaît. Des objets du passé (lavoirs, bâtiments agricoles, gares, sites industriels ou miniers) témoignent de l’apparition de nouveaux critères de sélection patrimoniale.
Avec les lois de décentralisation de 1983, la politique patrimoniale est décentralisée. Le patrimoine devient un moteur du développement local. L’État organise des manifestations comme les Journées portes ouvertes des monuments historiques (1984).
2. Un « tout-patrimoine » à mettre en valeur
À partir des années 1990, la notion de patrimoine immatériel se développe : les savoir-faire, les coutumes, les arts et traditions populaires entrent dans le champ patrimonial. À travers les Directions régionales des affaires culturelles (DRAC), les collectivités territoriales deviennent des acteurs du patrimoine.
Aujourd’hui des voix s’élèvent pour dénoncer l’élargissement, jugé excessif, de la notion de patrimoine à tous les domaines de la création, à toutes les traces du passé. Le patrimoine est de plus en plus muséifié ou affecté à de nouveaux usages après sa réhabilitation, le détournant de ses fonctions originelles.
Alors que le ministère de la Culture ne consacre que 3 % de son budget au patrimoine et que les frais occasionnés par l’extension des biens à protéger augmentent, ce secteur manque de plus en plus de moyens. Il dépend de plus en plus des financements des collectivités territoriales qui se tournent à leur tour vers des mécènes (privés). Ainsi, en 2018 est mis en place un grand loto du patrimoine et après l’incendie de Notre-Dame une souscription internationale est lancée pour financer sa restauration.
Conclusion
[Réponse à la problématique] Le patrimoine est devenu une passion française : cette notion née en France au moment de la Révolution française s’est épanouie tout au long des xixe et xxe siècles jusqu’à englober aujourd’hui un patrimoine, plus quotidien, voire immatériel. L’attachement des Français à leur patrimoine s’est nourri des politiques de l’État et des collectivités territoriales qui ont cherché à le préserver et à le mettre en valeur. [Ouverture] Une très large majorité des Français considèrent que le patrimoine contribue au rayonnement de la France. Au-delà d’une « passion française », le patrimoine est un moyen de rayonnement de tout un pays dans le monde.