Sujet d’écrit • Dissertation
Des familles compliquées
Analyser le sujet
Formuler la problématique
Comment et pourquoi le théâtre s’intéresse-t-il à l’individu, replacé dans son cadre familial ?
Construire le plan
Corrigé
Les titres en couleur ou entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie.
Introduction
[Accroche] « Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon. » Cette citation du romancier russe Tolstoï attire notre attention sur une veine souvent explorée au théâtre, aussi bien dans les comédies que les tragédies : les histoires de famille tourmentées.
[Explicitation du sujet] Comment et pourquoi le théâtre s’intéresse-t-il à l’individu, replacé dans son cadre familial ?
[Annonce du plan] Nous verrons tout d’abord que la famille pèse sur les destins individuels ; puis, nous montrerons comment elle est un terrain de discordes et de violences. Enfin, nous analyserons comment le théâtre donne à voir la solitude de l’individu face aux siens.
I. Le poids de la famille sur les destins individuels
1. La famille comme force contraire
Loin d’être un cocon favorable, la famille est souvent présentée au théâtre comme un obstacle à l’épanouissement du personnage.
Ainsi, Roméo et Juliette, dans la célèbre pièce de Shakespeare (1597), incarnent le tragique d’une passion empêchée par des rivalités familiales. Les familles respectives des deux jeunes gens se vouent une haine inextinguible qui rend impossible leur histoire d’amour.
Dans La Reine Morte de Montherlant (1942), Pedro, le fils de Ferrante, roi de Portugal, a épousé en secret Inès de Castro, incarnation de la pureté et de sentiments authentiques. Mais, parce que cet amour compromet une union politique, Ferrante finit par faire assassiner la jeune fille.
L’hostilité de la famille relève parfois surtout d’une perception intime. Dans Juste la fin du monde, Louis se sent très tôt incompris voire rejeté par les siens ; seul de la fratrie à s’être éloigné de la maison familiale, il exprime dans ses monologues le sentiment de n’avoir jamais été aimé.
2. La famille, à l’origine de conflits de valeurs
Des conflits de valeurs peuvent apparaître au sein d’une famille, avec des conséquences sur les personnages qui la composent.
Dans Le Cid de Corneille (1637), l’amour de Rodrigue et Chimène est contrarié par une altercation entre leurs pères : le jeune homme se doit de défendre l’honneur de sa lignée et tue celui qui devait devenir son beau-père. Le souci de la gloire et la fidélité aux siens l’emportent sur les sentiments amoureux.
Antigone se trouve elle aussi face à un dilemme terrible : accepter que le cadavre de son frère Polynice reste sans sépulture, ou honorer sa dépouille en risquant sa propre vie puisqu’elle s’oppose aux ordres de son oncle, devenu roi. Par fidélité à son frère et à certaines valeurs, elle accepte son châtiment.
Juste la fin du monde met aux prises les membres d’une famille aux chemins de vie si différents qu’ils ne peuvent plus se comprendre. Louis est, ainsi, devenu aux yeux d’Antoine le symbole d’une élite culturelle et intellectuelle hautaine dans laquelle il ne se reconnaît pas : « Tu dois être devenu ce genre d’hommes qui lisent les journaux, des journaux que je ne lis jamais. »
[Transition] Ces tensions peuvent déboucher sur des violences et conduire à l’éclatement de la cellule familiale.
II. La famille, lieu de discorde et de violences
1. L’individu menacé par les siens
Parfois, le personnage se retrouve rejeté, menacé, voire sacrifié par sa propre famille.
Dans sa tragédie Britannicus (1669), Racine met en scène une famille impériale romaine déchirée par les luttes d’influence. Sans défense, le prince Britannicus est confronté à la violence de l’empereur Néron, son demi-frère monstrueux qui veut le faire exécuter pour asseoir son pouvoir.
Chez Lagarce, Louis, qui est venu annoncer sa mort prochaine, se retrouve bientôt contraint au silence par l’ironie d’un frère sur la défensive et la parole logorrhéique des siens. L’empressement de tous à le voir partir le trouble.
2. L’individu déclencheur de l’éclatement familial
Dans d’autres pièces, le personnage est celui qui, par sa présence ou par les passions qui l’habitent, provoque la destruction de l’espace familial.
Dans Juste la fin du monde, les personnages font entendre leurs frustrations, leurs rancœurs liées au départ, des années plus tôt, de Louis : en marge, incompris dans ses choix, Louis a mis en péril l’équilibre familial ; il est devenu un étranger.
Dans Phèdre (1677) de Racine, la passion incestueuse de l’héroïne pour son beau-fils Hippolyte déclenche la catastrophe tragique : calomnié, le jeune homme meurt, injustement maudit par son père Thésée. Le désir monstrueux a détruit la famille.
Dans la tragédie de Corneille Médée (1635), Jason répudie la célèbre magicienne par lâcheté. Minée par cette insupportable trahison conjugale, cette dernière ourdit une vengeance terrible : elle sacrifie leurs propres enfants, provoquant par là même le suicide de l’inconstant. La famille est annihilée.
[Transition] Cependant, dans le théâtre contemporain, cette violence des passions au sein de la famille est remplacée par une violence plus sourde, liée à l’impossibilité d’établir une communication authentique avec les siens.
III. Le personnage seul parmi les siens
1. Une communication entravée
La famille contemporaine semble vouée à des échanges superficiels : les dialogues révèlent les impasses de la communication.
Dans Juste la fin du monde, les personnages se perdent en banalités, en maladresses, en mensonges, si bien que l’essentiel reste tu : Louis repart à la fin de la journée sans avoir révélé sa tragique vérité.
La comédie douce-amère Un air de famille, de Jaoui et Bacri (1994), se concentre sur une réunion familiale rituelle, à l’occasion d’un anniversaire. Les susceptibilités, les conventions du savoir-vivre et les préjugés interdisent tout échange authentique.
Autre exemple : la pièce Assoiffés de Mouawad (2007) s’ouvre sur le cri de révolte et de désespoir d’un adolescent, Murdoch, incapable de nouer de véritables échanges avec sa famille.
2. Une solitude irréductible
Confronté aux siens, le personnage peut paradoxalement se retrouver très seul.
Dans Juste la fin du monde, les dialogues, désaccordés, ne permettent pas la communion familiale espérée. Les monologues de Louis exhibent la solitude d’un personnage irrémédiablement coupé des siens, contraint au silence. Seul le spectateur recueille son secret et constate l’échec tragique des retrouvailles.
Dans Une maison de poupée d’Ibsen (1879), la jeune Nora étouffe dans une famille bourgeoise oppressante. Méprisée dans son amour, infantilisée, profondément seule, cette « poupée » quitte le domicile conjugal, abandonnant mari et enfants.
Koltès, dans Le Retour au désert (1988), met en scène une famille qui se déchire pour un héritage. Les longues tirades du frère et de la sœur tournent au bras de fer stérile ; chacun s’enferme dans sa solitude.
Conclusion
[Synthèse] Le théâtre trouve ainsi dans les rapports entre l’individu et sa propre famille un riche réservoir de situations dramatiques intenses et touchantes : souvent vécue sur le mode du conflit, violent ou larvé, la famille renvoie l’individu à sa propre solitude.
[Ouverture] La famille et ses tourments s’imposent ainsi, depuis l’Antiquité, comme un terreau fécond pour les dramaturges : on songe aux grandes familles maudites de la mythologie – les Atrides ou encore les Labdacides… encore évoquées dans le théâtre contemporain.