Dissertation
La conscience de l’individu n’est-elle que le reflet de la société à laquelle il appartient ?
Définir les termes du sujet
La conscience
Étymologiquement, conscience vient du latin cum scientia, qui signifie « avec savoir ». On distingue deux types de consciences.
La conscience psychologique est la faculté que nous avons de connaître nos actes et de nous rapporter à nous-mêmes. En elle, on distingue la conscience immédiate, par laquelle nous sommes simplement présents à nous-mêmes (attentifs à nos actes, sensations et pensées), de la conscience réfléchie, ou conscience de soi, qui correspond au pouvoir de faire retour sur nos pensées ou actions et de les juger.
La conscience morale, elle, se définit comme la faculté par laquelle nous distinguons le bien du mal.
Le reflet
Un reflet est une image qui reproduit fidèlement une autre image.
La société
La société (du latin socius, qui signifie « associé ») désigne un ensemble d’individus interdépendants et unis par une culture, une langue, des règles et des lois communes. Son organisation est régie par des institutions qui peuvent connaître des bouleversements.
Dégager la problématique
Construire un plan
Corrigé
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Introduction
[Reformulation du sujet] Il s’agit de savoir si notre conscience est seulement produite par ce qui nous entoure, ou si elle dispose d’une certaine autonomie : il semble que la société influence notre conscience, mais dans quelle mesure ? A priori, on pourrait penser que notre conscience désigne notre intériorité : en quoi pourrait-elle être modelée par une société extérieure à nous ? [Définition des termes du sujet] Étymologiquement, conscience signifie « savoir ensemble » (du latin cum et scientia). Notre conscience est à la fois psychologique (pouvoir que j’ai de rapporter mes actes, mes pensées, à moi-même comme en étant le centre) et morale (capacité que j’ai à distinguer le bien du mal). Un reflet est une image qui reproduit fidèlement un objet ou une autre image. La société est un ensemble d’individus liés par une langue, une culture, des valeurs, des règles et des institutions communes et dont l’organisation peut connaître des bouleversements. [Problématique] La question est donc de savoir dans quelle mesure la société à laquelle j’appartiens modèle mon intériorité. Ma conscience n’est-elle donc pas libre, mais entièrement déterminée par ce qui m’entoure ? Et si ma conscience ne se borne pas à reproduire ce qui m’est extérieur, que peut-elle faire d’autre ?
[Plan] Dans un premier temps, nous verrons que la conscience est avant tout le lieu de notre intériorité. Nous verrons ensuite comment la société pèse sur notre conscience : mais alors, n’est-elle pas essentiellement produite par nos conditions d’existence ?
1. La conscience de l’individu n’est pas seulement le reflet de la société
A. La conscience est le lieu de notre intériorité
Dans un premier temps, on pourrait penser que la conscience n’est pas seulement le produit de la société à laquelle nous appartenons, en distinguant en particulier une conscience psychologique, lieu de notre intériorité, d’une conscience morale qui subirait, elle, une influence sociale. Descartes pose ainsi la conscience comme lieu de l’intériorité, « substance pensante » ou chose séparée du monde : le sentiment d’identité que me procure ma conscience n’a rien à voir avec le monde qui m’entoure. L’expérience que fait Descartes, dans le Discours de la méthode, en découvrant l’évidence du sujet, conscient de lui-même et de sa propre existence, témoigne de cela : ma conscience ne reflète pas le monde extérieur, elle ne renvoie qu’à mon intériorité. En d’autres termes, mon sentiment d’identité ne doit rien à ce qui m’entoure.
B. Nos consciences sont subjectives
Par ailleurs, même quand elle porte vers le monde et non plus sur moi-même, ma conscience est singulière : je perçois le monde, je l’expérimente, d’un point de vue qui n’est pas celui des autres, et qui n’a pas l’uniformité d’un point de vue social. Ainsi, ma conscience est bien « conscience de l’individu », c’est-à-dire propre à chacun, différente d’un individu à l’autre. Dans la Phénoménologie de la perception, Merleau-Ponty explique ainsi comment nos consciences sont irréductiblement subjectives, liées à nos corps plus qu’au monde ou à la société à laquelle nous appartenons. Dire que nos consciences sont subjectives semble impliquer une relative autonomie des consciences, qui ne pourraient dès lors être pensées comme les produits d’une extériorité collective.
[Transition] Pourtant, si la conscience est individuelle, si elle n’est donc pas l’image fidèle de la société, peut-elle pour autant en être radicalement séparée ? La société et les rapports intersubjectifs ne pèsent-ils pas sur les représentations de notre conscience ?
2. La conscience de l’individu est modelée par ses rapports sociaux
A. Notre conscience est modelée par nos rapports aux autres
Sommes-nous une conscience séparée du monde, y compris du monde social ? Freud montre, dans sa seconde topique, comment le psychisme se structure en trois pôles dynamiques : les rapports du ça, du moi et du surmoi détermineraient, dit-il, nos représentations conscientes et inconscientes. En conséquence, on peut dire que notre intériorité est loin d’être étanche au monde, en ce sens qu’elle est travaillée par la société, ne serait-ce qu’au travers des interdits sociaux progressivement intériorisés dans le surmoi. Si mon psychisme intériorise des interdits initialement sociaux pour les reprendre à son compte, et si cette vie psychique inconsciente pèse sur mes représentations conscientes, on peut dire que nos consciences individuelles sont modelées et construites par la société dans laquelle nous sommes inscrits : qu’il s’agisse de la société déterminée dans laquelle nous naissons, ou, de façon générale, de nos rapports aux autres, en particulier de nos rapports familiaux et de notre histoire.
Ainsi, il est impossible de concevoir nos consciences indépendamment des rapports sociaux qui la constituent.
B. La morale résulte d’une conscience collective
Que nos représentations conscientes soient travaillées par nos rapports sociaux, c’est également ce qu’établit Durkheim dans L’Éducation morale, en montrant que la morale n’est pas le produit d’une conscience individuelle, le résultat d’une action de l’individu, mais le produit d’une conscience collective. La source de la morale est donc collective : c’est tout un peuple, toute une époque, qui décline très lentement les valeurs propres à un système moral.
Cette distinction posée par Émile Durkheim entre conscience collective et conscience individuelle implique que nous soyons, en tant qu’individus, passifs par rapport à la morale. Autrement dit, nous recevons la morale propre à notre époque, en particulier à travers notre éducation, qui nous transmet un ensemble de valeurs dont nous n’avons pas décidé, dont nous ne sommes pas les auteurs, et que nous devons pourtant reconnaître comme étant les nôtres.
[Transition] Mais alors, si nos consciences individuelles sont façonnées par nos rapports sociaux, ne peut-on pas aller jusqu’à dire que la conscience d’un individu n’est rien d’autre que ce que la société a mis en elle ? Nos consciences ne sont-elles pas le pur miroir de la société ?
3. La conscience de l’individu reflète la société
A. Notre conscience est déterminée par la société
En réalité, dès lors que nos consciences apparaissent construites et en cela déterminées par nos rapports familiaux, les valeurs propres à notre société, ou notre éducation, il semble difficile de soutenir l’indépendance de nos consciences à l’égard de la société : car la famille, l’éducation relèvent de la société à laquelle nous appartenons, si bien que l’on peut dire que notre conscience reflète la société dans la mesure où la société la produit.
C’est ainsi ce qu’établit Karl Marx en montrant que la conscience n’est pas première dans la constitution du sujet : elle résulte en réalité, selon lui, d’influences extérieures, d’un ensemble de déterminations extérieures à elles. Comme Spinoza montre les illusions d’une conscience qui se croit libre parce qu’elle n’accède pas à ce qui la détermine (son corps, les autres), Marx montre en quoi notre conscience s’aveugle en se croyant libre : elle n’est que le produit de l’influence sociale. En effet, selon Marx, l’infrastructure (les rapports de production et les forces productives) détermine la superstructure (les formes juridiques et politiques, l’art, la pensée, la morale, la religion, etc.). Le contenu de notre conscience, qui nous apparaît illusoirement libre et produit par nous-même, n’est donc que la surface apparente d’un ensemble de facteurs matériels qui la déterminent en profondeur. « Le mode de production de la vie matérielle, d’après Marx, domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. »
Ainsi, comme notre inconscient, selon Freud, détermine une bonne partie de nos représentations conscientes, notre inscription sociale détermine, pour Marx, l’essentiel de nos représentations.
B. Notre conscience est le reflet de notre classe sociale
Plus précisément, l’individu, selon Marx, n’appartient pas seulement à une société mais aussi à une « classe » au sein d’une société. Et c’est cette classe, sociale, économique, matérielle, qui détermine toutes les productions de la pensée, la conscience, les valeurs, les goûts, les représentations. En ce sens, notre conscience n’est pas seulement orientée par la société qui nous entoure : elle n’en est que le reflet, l’image superficielle, la reproduction fidèle.
De fait, si les forces productives déterminent notre manière de penser et de nous penser, alors se pose la question de la marge d’action de notre conscience. « Est-il besoin, écrivent Marx et Engels, d’une grande perspicacité pour comprendre que les idées, les conceptions et les notions des hommes, en un mot leur conscience change avec tout changement survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales, leur existence sociale ? Que démontre l’histoire des idées, si ce n’est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante. »
En dernier ressort, la conscience de l’individu n’est pas réductible à la société à laquelle il appartient, à la seule condition qu’il puisse prendre connaissance de ce qui détermine sa conscience, à savoir de ces forces productives (outils, machines) et des rapports de production (classe, salariat, domination, etc.) qui se reflètent en lui sous forme d’idées.
Conclusion
En définitive, il semble difficile de penser la conscience des individus comme une simple chose isolée de leurs rapports sociaux. Modelée par la société, construite par elle, il apparaît que la conscience est comme l’image superficielle qui reproduit passivement une réalité sociale dans laquelle se trouve pris l’individu. On peut aller jusqu’à se demander si la conscience dite individuelle n’est pas immédiatement sociale. Reste à savoir si l’individu peut se réapproprier sa conscience en apprenant à connaître ce qui la détermine.