Dissertation
La liberté est-elle menacée par l’égalité ?
Définir les termes du sujet
Égalité
Du latin aequalis, qui signifie « du même niveau », l’égalité est un terme mathématique qui désigne un rapport d’équivalence entre deux termes.
On distingue l’égalité mathématique, dont le principe est « à chacun la même chose » de l’égalité proportionnelle, ou équité, qui a, elle, pour principe « à chacun ce qui lui revient » selon ses besoins, mérites, etc.
On distingue encore l’égalité « en droits » ou égalité civile de l’égalité sociale ou égalité de richesses.
Menacer
Une menace, c’est ce qui peut nuire à une chose, ou la détruire.
Liberté
L’étymologie de la liberté indique qu’elle est d’abord pensée de façon politique : liber, en latin, désigne celui qui n’est pas esclave, c’est-à-dire le citoyen.
Elle désigne également le pouvoir psychologique de se déterminer par soi-même, qu’il s’agisse du libre arbitre (capacité à faire un choix parmi plusieurs possibles) ou de l’autonomie (pouvoir de déterminer par soi-même son propre principe d’action).
Dégager la problématique
Construire un plan
Corrigé
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Introduction
[Reformulation du sujet] Il s’agit de savoir si l’égalité peut nous empêcher d’être libres. Selon la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » : mais alors, en quoi la revendication d’égalité pourrait-elle s’opposer à notre aspiration à la liberté ? [Définition des termes du sujet] Une menace, c’est ce qui peut nuire à une chose ou la détruire. La liberté peut s’entendre en un sens psychologique comme le pouvoir de faire des choix, ou en un sens politique : liber désigne en latin le statut de l’homme libre, qui n’est pas esclave ni prisonnier. L’égalité est un terme mathématique qui désigne un rapport d’équivalence entre deux éléments, mais aussi un principe politique selon lequel les individus peuvent se prévaloir des mêmes droits ou des mêmes moyens d’existence. De fait, l’égalité dont il est question dans la Déclaration n’est pas l’égalité de richesse, mais l’égalité des citoyens devant la loi. [Problématique et annonce du plan] Revendiquer la fin des inégalités de richesse ne serait-il pas faire obstacle aux libertés individuelles ? Pourtant, on peut se demander si la liberté d’un homme qui ne possède pas de quoi survivre est seulement possible. En quoi, dès lors, la revendication d’égalité s’opposerait-elle à notre aspiration à la liberté ?
1. L’égalitarisme menace la liberté
A. L’égalité est un artifice qui menace notre liberté naturelle
Dans un premier temps, on pourrait penser que, si l’égalité peut nuire à la liberté, c’est dans la mesure où nous sommes naturellement inégaux. C’est ce que soutient Calliclès dans le Gorgias de Platon : si la liberté désigne la capacité à assouvir ses passions et désirs, et à tout mettre en œuvre pour cela, alors les natures fortes capables d’obtenir beaucoup se distinguent des natures faibles vouées à l’infériorité naturelle. C’est par un artifice que celles-ci, constatant l’inégalité naturelle, vont faire de l’égalité une valeur, car « ce qui plaît aux faibles, c’est d’avoir l’air d’être égaux à de tels hommes, alors qu’ils leur sont inférieurs. »
D’où leur invention des lois, qui, en instaurant une égalité factice, brident la liberté des plus forts : « avec nos formules magiques et nos tours de passe-passe, dit Calliclès, nous en faisons des esclaves, en leur répétant qu’il faut être égal aux autres et que l’égalité est ce qui est beau et juste ». L’identification de la justice à l’égalité produit, par la contrainte des lois, une uniformité artificielle des hommes, devenus tous identiques.
B. L’égalité est une passion qui porte à la servitude
De fait, la revendication d’égalité peut apparaître comme une volonté de limiter la liberté de l’individu. Dans De la démocratie en Amérique, Tocqueville fait de la « passion de l’égalité » le vice possible d’une démocratie qui tend alors à l’uniformisation, à la tyrannie de la majorité, et dégénère en un despotisme doux : « il se rencontre aussi dans le cœur humain un goût dépravé pour l’égalité, qui porte les faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau, et qui réduit les hommes à préférer l’égalité dans la servitude à l’inégalité dans la liberté. ».
En effet, l’individu démocratique, dit-il, est animé par ces deux passions dominantes que sont l’égalité et le bien-être. Or, c’est l’État qui, dans une société démocratique, assure l’extension de l’égalité des conditions, c’est-à-dire des statuts, dans le domaine politique encadré par les lois. L’État peut alors écarter les prérogatives individuelles et étendre sans cesse les règles qui encadrent la vie sociale, avec l’aval d’un individu préférant de ce fait l’égalité à sa liberté. La tradition libérale verra ainsi dans une égalité qui ne serait pas seulement « de droits », c’est-à-dire pas seulement égalité devant la loi, une menace pour la liberté des individus.
[Transition] Pourtant, la liberté est-elle seulement possible en société si elle n’est pas définie par la loi ? Or, la loi n’est-elle pas une règle face à laquelle nous devons être égaux ?
2. L’égalité des droits conditionne nos libertés
A. L’égalité doit accompagner la liberté
De fait, la « passion de l’égalité », dont Tocqueville pointe les risques, correspond pour lui à une aspiration devenue indépendante de l’aspiration à la liberté. Autrement dit, c’est quand le souci de l’égalité l’emporte sur celui de la liberté que l’égalité est une menace.
Si la démocratie (du grec demos, le peuple, et kratos, le pouvoir) repose sur ce qu’il appelle l’égalité des « conditions » – elle n’admet pas de privilèges puisque le peuple est souverain –, tous les individus sont égaux, par leur participation à l’élaboration des lois et par leur obéissance aux mêmes lois. Ainsi, nous ne pouvons jouir d’aucune liberté sans l’égalité des droits – ou égalité des conditions.
B. L’égalité des droits rend possible l’exercice des libertés
C’est bien cette liberté « en droits » que proclame la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à savoir une liberté rendue possible par la loi, qui limite la poursuite des intérêts personnels et garantit en principe à tous les mêmes droits. Dans cette mesure, on peut dire que loin de menacer la liberté, l’égalité civile, liée à la citoyenneté, la rend possible, en contenant les inégalités naturelles de force et en nous préservant des abus d’un pouvoir qui se placerait au-dessus des lois.
[Transition] Mais que vaut la liberté civile d’un homme pauvre ? Être libre « en droits », est-ce vraiment être libre ?
3. Les inégalités sociales menacent la liberté
A. Une liberté sans égalité réelle n’est qu’une liberté de principe
On peut cependant s’interroger sur la primauté accordée à la liberté individuelle sur l’égalité, ramenée à une égalité des conditions ou des droits. Dans ses Manuscrits de 1857-1858 (Grundrisse), Marx voit dans l’équation liberté/égalité le cœur de la démocratie bourgeoise et de l’idéologie des droits de l’homme. Il identifie ce lien à une représentation idéalisée de la circulation des marchandises et de l’argent, qui serait la base réelle de ces démocraties. La réciprocité de l’égalité et de la liberté, tenues pour des droits universels, définirait en réalité l’individu du marché, individu indéterminé porteur de cet universel qu’est le pouvoir d’achat.
Ces qualités que l’idéologie bourgeoise donne pour essence de l’homme sont en réalité, dit Marx, indispensables au fonctionnement du marché. Mais que devient la libre volonté de l’ouvrier plié aux contraintes du capital, et forcé de se vendre à celui-ci ? Liberté et égalité, dit Marx, sont en réalité le langage qui masque l’exploitation : car que vaut le droit d’être libre quand on se vend au capital, et que vaut le droit fondamental d’être propriétaire quand on ne peut pas l’être, en réalité ?
B. Pour ne pas nuire à notre liberté, les inégalités sociales doivent être régulées
C’est bien parce que les lois peuvent être les outils des plus riches pour obliger les plus pauvres à respecter leur personne et leurs biens, en échange de leur protection – par l’État –, que Rousseau, dans Du contrat social, explique que le droit de propriété revient à la communauté des citoyens. Celle-ci doit pouvoir décider du mode, de l’extension et de la forme de la propriété : « car l’État, dit-il, à l’égard de ses membres est maître de tous leurs biens par le contrat social, qui, dans l’État sert de base à tous les droits ». Alors seulement, dit-il, les inégalités sociales, nées de l’idée de la propriété privée, ne nous empêcheront pas d’être libres.
En somme, si les différences de richesses existent, elles doivent reposer sur un principe de justice et pouvoir être régulées par la communauté des citoyens : à cette seule condition, nous pourrons considérer que la liberté n’est pas le privilège de quelques-uns.
Conclusion
[Synthèse] En définitive, on peut se demander à qui la revendication égalitariste peut apparaître menaçante : de fait, l’égalité des droits est bien la condition d’exercice des libertés individuelles, et, au-delà, une véritable liberté peut difficilement penser indépendamment d’une réflexion portant sur les inégalités sociales. [Ouverture] Reste à établir quelle structure politique est la mieux à même de nous garantir cet accès à une liberté commune, en nous préservant des abus de pouvoir.