Nouvelle-Calédonie • Novembre 2017
dissertation • Série ES
L’existence d’un inconscient fait-elle obstacle à la connaissance de soi ?
Les clés du sujet
Définir les termes du sujet
L’existence d’un inconscient
L’inconscient désigne des pulsions dont la logique échappe à celle de la conscience. Une pulsion est porteuse de représentations, ce n’est pas un instinct. Elle cherche à se satisfaire dans les plus brefs délais et entre parfois en conflit avec les exigences de la réalité.
Freud désigne l’inconscient comme étant le processus primaire à l’œuvre dans chaque être humain.
Fait-elle obstacle
Un obstacle est ce qui rend difficile, voire impossible, l’accès à une chose ou son obtention. Notons cependant qu’il n’a pas toujours la même importance. Un rocher tombé sur la route empêche la voiture de passer mais il peut, moyennant des efforts, être déplacé. Un obstacle peut être franchissable ou infranchissable.
À la connaissance de soi
La connaissance de soi est une démarche par laquelle un sujet fait réflexion sur ce qu’il est. Elle implique l’activité de la conscience. Il faut pouvoir former des représentations de soi pour porter un jugement sur ce que l’on est et pour définir nos qualités. Par la conscience, nous apparaissons à nous-mêmes et nous pouvons nous observer.
Dégager la problématique et construire un plan
La problématique
La problématique vient du fait que conscience et inconscient sont dans une relation d’opposition. Mais quelle est la nature de cette opposition ? Conscience et inconscient sont-ils relatifs ou sont-ils contraires ?
La contrariété signifie que les deux termes se repoussent et s’excluent. Dans ce cas, l’inconscient est un obstacle, un barrage infranchissable.
Si conscience et inconscient sont relatifs, les choses sont différentes. L’inconscient résiste alors à la conscience selon des modalités qui sont à éclairer mais il est aussi avec elle dans une relation de complémentarité. Dans ce cas, la notion d’obstacle change de sens. Elle devient une invitation à approfondir la relation pour pouvoir mieux se connaître.
Le plan
Dans un premier temps, nous éclaircirons le sens des termes afin d’éviter notamment la confusion entre l’inconscient et l’inconscience. La deuxième partie sera consacrée à l’étude de la relation. Enfin, nous radicaliserons l’idée de contrariété jusqu’au point où il apparaîtra qu’il s’agit en réalité d’une relation de complémentarité.
Éviter les erreurs
La confusion de l’inconscient et de l’inconscience est fréquente et dommageable. Elle conduit à ne pas comprendre comment l’inconscient résiste à la conscience en se développant selon une logique qui lui est propre.
Corrigé
Corrigé
Les titres en couleurs et les indications entre crochets servent à guider la lecture mais ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.
Introduction
L’existence de l’inconscient est attestée par la présence de phénomènes dont l’origine échappe à la conscience. Les rêves, les actes manqués, les phobies sont autant de manifestations de processus dont nous constatons les effets sans en connaître les causes. Chacun se découvre « obscur à lui-même » selon le mot d’Alain. Doit-on pour autant estimer que la présence de l’inconscient fasse obstacle à la connaissance de soi ? Un obstacle est l’indice d’une difficulté mais celle-ci peut avoir des effets bénéfiques en nous alertant. Face à une conscience naïve, les perturbations engendrées par l’activité de l’inconscient pourraient être salutaires pour la connaissance de soi. Il faut donc déterminer le statut de l’inconscient par rapport au désir de se connaître.
1. Origine du problème
A. Conditions de la connaissance de soi
La connaissance de soi n’est possible qu’à un être doté de conscience. La conscience est un acte de l’esprit par lequel il est possible de considérer ce que l’on est. Elle permet d’avoir des représentations de soi. Il est donc logique de l’opposer à l’instinct qui est une détermination naturelle interdisant cette prise de distance. Mais être conscient ne suffit pas pour se connaître. Il faut encore posséder la capacité de former des idées claires et distinctes. Des sensations ou des sentiments sont des formes de connaissance encore trop subjectives. Une idée est d’ordre intellectuel, c’est une création de la raison, elle prétend à l’objectivité car elle est le résultat d’un effort d’analyse comme l’introspection. La volonté est aussi nécessaire. Conscience, raison et volonté sont donc les propriétés requises pour espérer savoir qui l’on est.
B. L’idée de l’inconscient
Il est important de ne pas confondre l’inconscient et l’inconscience. Celle-ci désigne un état passager et s’explique par des raisons physiologiques ou psychologiques. Par exemple, on dira de quelqu’un qui dort qu’il est inconscient. De même, une personne très énervée n’aura pas conscience de ce qu’elle dit. Mais l’inconscient renvoie à une autre réalité. Il s’agit d’abord de représentations qui ne parviennent pas à la conscience. Leibniz parle ainsi de « petites perceptions » qui s’agitent en permanence dans notre esprit. Leur nombre, leur petitesse et le fait qu’elles soient unies les unes aux autres empêchent de les concevoir distinctement même si leur existence est certaine. Leibniz illustre sa thèse par une comparaison. Nous entendons le bruit d’une vague sans pouvoir distinguer les milliards de petits bruits qui le composent. Or s’ils n’existaient pas, nous n’entendrions rien. Ainsi, il faut reconnaître la présence continue de l’inconscient. C’est une dimension de l’esprit.
[Transition] Nous avons défini les termes. En quoi réside le problème ?
2. Les raisons d’un problème
A. Le fond obscur de l’esprit
La pensée leibnizienne apporte un élément de réponse. En plus de leur nombre, les petites perceptions se caractérisent par leur caractère confus et obscur. La confusion vient de leur union. Elles sont fondues les unes dans les autres et nous ne nous apercevons de leur existence que lorsque leur union est suffisamment forte pour retenir notre attention. Ainsi, ce que nous distinguons est composé de parties que nous ne pouvons pas considérer séparément. Leibniz dit souvent que le fond de notre esprit est obscur et que la lumière de notre raison ne peut parvenir à l’éclairer dans sa totalité. La connaissance de soi est donc nécessairement partielle. Nous nous découvrons au fur et à mesure de nos expériences mais il nous est impossible de nous saisir complètement, c’est-à-dire de former une idée claire et distincte de nous-mêmes.
B. Le narcissisme
Les difficultés ne s’arrêtent pas en ce point. La connaissance de soi peut également être faussée. Elle n’est pas seulement partielle mais partiale. Malebranche définit la conscience comme le sentiment de soi. Or un sentiment est subjectif. Il est très difficile de bien se juger car nous sommes juge et partie. Notre relation à nous-mêmes est marquée par l’amour-propre, qui nous pousse à déformer les représentations qui nous dérangent afin de conserver une image satisfaisante de soi. Freud reprend cette idée en soulignant que le narcissisme est une des composantes essentielles de l’être humain. Nous nous flattons sans même nous en apercevoir car il est essentiel de conserver l’estime de soi. Nous pouvons donc parler de ruses du désir dont la conscience est souvent la dupe. Croire qu’il suffit d’être conscient de soi pour se connaître semble être d’une grande naïveté. Nous croyons que nos certitudes sont fondées car elles sont immédiates. Or ce qui nous semble évident est en réalité le résultat d’un processus dont nous n’apercevons qu’une partie.
[Transition] La portée de ces critiques peut encore être radicalisée. Ce sera le moyen de trouver la réponse la plus réfléchie.
3. Se connaître est possible
A. L’inconscient freudien
Freud entend par l’inconscient l’ensemble des pulsions dont l’existence est indépendante de la conscience et de la volonté. Freud parle du « ça » pour indiquer qu’il y a en nous, à chaque instant, des processus sur lesquels nos facultés conscientes n’ont pas de prise directe. La vie sexuelle est pour lui une manifestation privilégiée de la présence en chacun d’une dimension naturelle qui a un impact sur notre vie tout entière. Les convictions de Freud sont nées de ses efforts pour soulager des patients hystériques. Ceux-ci souffraient de symptômes, comme des contractions, sans que leur corps ait été abîmé par un accident. Freud en conclut que la cause des troubles était d’origine mentale. Le mot « psychique » désigne l’union du corporel et du spirituel. Le point important est que le sujet malade prétend ne pas savoir pourquoi il souffre. La cause de ses troubles lui est inconnue et il faut mettre en place une cure fondée sur la parole pour que le patient parvienne à cette connaissance. Freud soutient donc que la connaissance de soi est d’abord bloquée par un acte de refoulement expressif d’un conflit entre la conscience et l’inconscient. Le complexe d’Œdipe en est l’occasion privilégiée. Freud soutient qu’à la racine de la vie psychique existe un conflit qu’il nous a fallu régler faute d’en souffrir à l’âge adulte. L’enfant se structurerait en acceptant sa place au lieu de vouloir occuper celle du parent de même sexe. Un « Œdipe » mal réglé produirait des névroses ou des angoisses de culpabilité.
B. Une discipline de la réflexion
La psychanalyse critique d’emblée les prétentions de la conscience à donner une véritable connaissance de soi. Freud critique le narcissisme inhérent à chacun et soutient de façon provocante que « le moi n’est pas maître dans sa propre maison ». Il apparaît tiraillé entre les exigences des pulsions du ça et les interdits de la conscience morale que Freud nomme le surmoi. Est-ce à dire que la connaissance de soi n’a pas de sens car l’inconscient y fait irrémédiablement obstacle ? La chose est plus complexe. Freud invite chacun à rentrer en soi et à chercher à se connaître. La reconnaissance de l’inconscient est le premier pas vers l’acquisition d’un savoir authentique. C’est en ce sens que Ricœur parle de la psychanalyse comme d’une « discipline de la réflexion ». Se connaître exige un travail sur soi par lequel nous essayons de nous délivrer des illusions premières dues au narcissisme. Des résistances sont à vaincre mais la tâche a du sens et le psychanalyste aide le patient à nommer et à surmonter les causes de sa souffrance. L’intérêt porté à l’inconscient n’est donc pas une façon d’abandonner l’analyse mais au contraire de l’étendre.
Conclusion
L’affirmation résolue de l’existence d’un inconscient psychique donne à ce dernier un statut paradoxal. Il est ce qui fait obstacle à une connaissance de soi complète mais il est aussi ce qui permet d’étendre cette connaissance, de la rendre plus précise et plus complète. Freud résume ce point dans une phrase énigmatique : « Là où c’était je dois advenir. » La conscience de soi s’affine en prenant en compte la puissance de son opposé, l’inconscient.