Dissertation : La pertinence de l’analyse en termes de classes sociales
Analyser la consigne et dégager une problématique
Problématique. Elle reformulera le sujet en faisant apparaître les débats théoriques et statistiques autour de la pertinence de l’analyse en termes de classes sociales.
Exploiter les documents
Document 1. Ce tableau vous renseigne sur l’évolution du niveau de vie en France. Quel constat pouvez-vous faire ? Quel calcul peut le justifier ? Demandez-vous si votre constat met en évidence l’existence de classes sociales ou non.
Document 2. Ce texte traite des inégalités liées à la santé. Quels exemples permettent de dire que l’analyse en termes de classes sociales est encore valable aujourd’hui ? Lesquels s’y opposent ?
Document 3. Ce tableau donne les résultats d’une enquête d’opinion sur le sentiment d’appartenance à une classe sociale. Commencez par lire la ligne « Total Oui » : qu’en déduisez-vous ? Demandez-vous si certaines catégories de population se distinguent. Ce document remet-il en cause l’analyse en termes de classes sociales ?
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Ce sujet débat appelle un plan en deux parties.
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Introduction
[accroche] De la fin de la Seconde Guerre mondiale au début des années 1990, la société française a connu un processus continu de réduction des inégalités, permettant à tous de bénéficier d’un niveau de vie plus élevé et de conditions d’existence décentes. En parallèle, les modes de vie se sont rapprochés, laissant place à une vaste classe moyenne, effaçant les disparités économiques et sociales entre les individus.
[présentation du sujet] Certains théoriciens ont vu dans ce processus de moyennisation le signe de la disparition des classes sociales et ont remis en cause l’analyse fondatrice de Karl Marx de la stratification sociale reposant sur l’existence de deux classes aux positions et intérêts diamétralement opposés. Mais ce mouvement de réduction des inégalités a cessé, les écarts se creusant aujourd’hui. [problématique] Aussi, dans quelle mesure est-il encore pertinent d’analyser la structure sociale française contemporaine à l’aune de la théorie de Marx ? [annonce du plan] Nous verrons que si l’analyse en termes de classes sociales ne semble plus aussi pertinente qu’auparavant, il n’en demeure pas moins qu’elle redevient d’actualité aujourd’hui.
I. L’analyse en termes de classes sociales a perdu de sa pertinence
Au premier abord, l’analyse en termes de classes sociales paraît dépassée. Les inégalités entre groupes sociaux se sont réduites et l’on observe un certain déclin de la conscience de classe.
1. La réduction des inégalités entre groupes sociaux
Les écarts de revenu ou de détention de patrimoine sont moins forts aujourd’hui qu’il y a 60 ans. Les ménages ont vu leur niveau de vie s’améliorer : selon l’Insee, entre 1996 et 2017, le revenu médian français est passé de 17 280 à 20 880 euros, soit une augmentation de 20 % (document 1).
D’autre part, l’accès aux ressources sociales (éducation, emploi, santé, etc.) s’est généralisé. Cela a permis, par exemple, à notre espérance de vie de gagner 30 ans en l’espace d’un siècle (document 2).
2. Le déclin de la conscience de classe
Selon Marx, l’autre condition pour qu’un groupe constitue une classe sociale, c’est que ses membres aient un sentiment d’appartenance commun et soient capables de s’organiser pour défendre leurs intérêts. Ce groupe est alors une classe pour soi. Or, en 2015, 35 % des individus interrogés déclarent n’appartenir à aucune classe sociale, selon une enquête de TNS-Sofres (document 3).
Ce déclin de la conscience de classe est particulièrement fort dans les milieux populaires : en 2015, seuls 6 % des individus revendiquent leur appartenance à la classe ouvrière, soit une proportion presque 4 fois inférieure à celle de 1966 (document 3). À l’inverse, dans le même temps, la part des individus déclarant appartenir aux classes moyennes a été presque multipliée par 3 (de 13 à 38 %).
[conclusion partielle] Ainsi, les conditions objectives d’existence des ménages français, mesurées par l’accès aux ressources économiques et sociales, se sont rapprochées, ce qui rend moins pertinente la théorie des classes sociales comme outil d’analyse de la société française contemporaine. En parallèle, le sentiment d’appartenance à la classe ouvrière décline, au profit de l’identification aux classes moyennes. [transition] Si ces évolutions semblent témoigner d’un processus de moyennisation de la population, d’autres observations suggèrent une pertinence nouvelle de l’analyse en termes de classes sociales.
II. Mais certaines observations redonnent de la légitimité à cette analyse
Deux phénomènes semblent rendre possible un retour à l’analyse en termes de classes sociales. D’une part, le processus de réduction des inégalités s’est arrêté depuis le début des années 1990, et d’autre part la conscience de classe n’a pas totalement disparu.
1. Un processus de réduction des inégalités au point mort
On observe aujourd’hui des écarts croissants dans l’accès aux ressources socialement valorisées, entre les classes sociales, mais aussi à l’intérieur de chacune d’entre elles.
En premier lieu, les inégalités économiques et sociales entre classes persistent. Ainsi, selon l’Insee, les 10 % des ménages français les plus pauvres (D1) ont un niveau de vie toujours 3,4 fois inférieur à celui des 10 % des ménages les plus riches (D9) en 2017, comme c’est le cas depuis 1996 (document 1). Nous pouvons en déduire que même si les niveaux de vie moyen et médian augmentent, le processus de réduction des inégalités économiques ne s’est pas poursuivi au-delà des années 1990. De même, si l’espérance de vie n’a cessé de croître au sein de la population, on observe toujours de grandes disparités entre les catégories sociales les plus favorisées et les milieux populaires. Par exemple, un ouvrier a aujourd’hui deux fois et demie plus de chances de mourir d’un accident vasculaire cérébral (AVC) avant 65 ans qu’un cadre (document 2).
En second lieu, à cette distance interclasses s’ajoute une distance intraclasse de plus en plus grande. Au sein d’une même classe sociale, on note des écarts dans l’accès aux ressources valorisées par la société, qui favorisent une partie des membres de cette classe par rapport à l’autre : c’est le cas des inégalités de revenus entre les hommes et les femmes de même catégorie socioprofessionnelle, ou entre les jeunes cadres et leurs aînés, ou encore entre les salariés résidant en région parisienne et ceux habitant en province.
2. La persistance d’une conscience de classe
En outre, la conscience de classe n’a pas totalement disparu. Une grande partie de la population exprime toujours le sentiment d’appartenir à une classe sociale : c’est le cas de 65 % des individus interrogés en 2015 dans l’enquête TNS-Sofres (document 3). Ce chiffre a même tendance à augmenter ; il s’élevait à 61 % en 1966.
La persistance du sentiment d’appartenance est notable chez les cadres. La proportion d’individus qui s’en réclament est certes faible, mais elle est relativement stable depuis le début des années 2000. Les ressources économiques des cadres leur permettent de se distinguer des autres groupes sociaux, de même que leur mode de vie qui favorise une socialisation garante de l’entre-soi bourgeois et de leurs intérêts : scolarisation dans des établissements de centre-ville, pratique d’activités sportives dans des clubs qui leur sont réservés, fréquentation de rallyes facilitant l’homogamie. On retrouve ici les caractéristiques marxistes de la classe pour soi.
[conclusion partielle] Ainsi, la société française semble toujours traversée par des inégalités économiques et sociales fortes, inter et intraclasses, qui structurent des groupes sociaux distincts et hiérarchisés. La conscience de classe demeure, quant à elle, un élément fondateur de la bourgeoisie, capable de se mobiliser pour préserver ses intérêts. Ces éléments redonnent de la pertinence à l’analyse de la structure sociale à l’aide de la théorie marxiste des classes sociales.
Conclusion
[bilan] Le débat est donc toujours d’actualité sur la pertinence de l’approche en termes de classes sociales pour rendre compte de la société française, tant au niveau théorique que statistique, du fait de l’évolution des distances inter et intraclasses, de l’articulation des inégalités avec les rapports de genre, et de la plus ou moins grande conscience de classe de certains groupes sociaux. [ouverture] Nous pouvons nous demander par ailleurs dans quelle mesure les facteurs d’individualisation contribuent à brouiller les distances inter et intraclasses.