Dissertation
La religion peut-elle s’en tenir aux limites de la simple raison ?
Définir les termes du sujet
La religion
La religion désigne un ensemble de croyances et de rites qui se rapporte à une ou plusieurs entités supérieures. Tantôt on la valorise en insistant sur la volonté individuelle de donner du sens à sa vie par la foi, tantôt on en critique les dérives superstitieuses.
Peut-elle s’en tenir
La formule implique un danger inhérent à la croyance ou la pratique religieuses. Celles-ci impliqueraient un risque d’excès à canaliser.
Il faudrait donc définir un domaine à l’intérieur duquel la religion serait valable, et à l’extérieur duquel elle perdrait sa légitimité.
Aux limites de la simple raison
Le critère proposé ici pour établir une limite à la religion est la raison.
La raison désigne la faculté de bien juger, ou de distinguer le vrai du faux et le bien du mal.
Dégager la problématique
Construire un plan
Corrigé
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Introduction
[Accroche] Le nom de Dieu est souvent invoqué pour justifier des actions violentes : meurtres, attentats, conversions forcées, etc. Ce même nom sert ensuite à défendre la paix et la non-violence. [Problématique] L’histoire des religions conduit à se demander si la religion ne doit pas être limitée pour rester un phénomène sensé et ne pas devenir l’expression de la folie des hommes. Mais alors, comment limiter la religion ? Cette tentative de limitation ne devient-elle pas une volonté de la faire disparaître ? [Annonce du plan] D’abord, on relèvera que le sujet repose sur une conception péjorative de la religion, toujours dérivant vers la superstition et la violence. Puis on montrera la nécessité d’une limitation de la religion par la raison, en s’interrogeant enfin sur la possibilité de limiter la religion sans en nier la valeur.
1. Un sujet riche en présupposés
A. La référence à Kant
La formulation du sujet reprend le titre d’un ouvrage de Kant : La Religion dans les limites de la simple raison. Kant y distingue, dans les religions, ce qui est compatible avec la raison de ce qui ne l’est pas. Il recherche donc le noyau commun de croyances et de pratiques susceptibles d’être acceptées par tous au nom de la raison, par-delà la variété des religions.
Cela conduit Kant à critiquer certaines pratiques qui relèveraient davantage de la superstition que de la religion. Par exemple, la piété ne saurait être légitimement que le respect de la loi morale. Elle ne peut conduire à la soumission de l’homme ou au désaveu de ses capacités rationnelles.
La raison se présente donc comme un ensemble d’exigences que la religion doit respecter pour être valable d’un point de vue moral et pour tous, sous peine de dériver vers des pratiques superstitieuses.
B. Les excès de la religion
Si la religion doit être limitée, c’est qu’elle a tendance à dépasser les limites. Celles-ci correspondraient aux frontières hors desquelles la religion ne serait plus valable.
Tout d’abord, les différentes religions conduisent l’individu à croire des propositions qui sont discutables aux yeux de la raison. Si la foi, comprise comme simple volonté de faire le bien, est compatible avec la raison, elle devient douteuse quand il s’agit de croire des choses qui paraissent contradictoires.
Ensuite, l’histoire des religions comprend des épisodes violents, comme les guerres de religion ou les croisades, qui semblent disqualifier la religion. Celle-ci ne serait rien d’autre qu’un fanatisme superstitieux, contraire à l’idéal de paix entre les hommes.
[Transition] Deux questions se posent : la religion tend-elle véritablement à dépasser ses limites ? La raison est-elle le bon moyen de donner des limites à la religion ?
2. La religion : un phénomène ambigu
A. Pour le meilleur et pour le pire
Certes, la religion a un lourd passé. Nul ne peut nier qu’elle a donné lieu à des pratiques intolérantes et violentes. Celui qui croit en la vérité d’une révélation a du mal à accepter que « la pluralité [soit] la loi de la terre », selon une formule d’Arendt. La religion prend dès lors l’apparence d’une menace pour ceux qui ne croient pas ou pour ceux qui croient autre chose.
Néanmoins, la religion peut conduire l’individu sur d’autres chemins. Les appels à la paix, à l’accueil de l’autre ou à la non-violence sont nombreux dans les textes religieux. Et de fait, la plupart des croyants cherchent simplement à vivre leur foi discrètement, sans nuire aux autres.
S’il semble impossible de nier les dangers de la religion, il paraît difficile de la réduire à ses manifestations les plus violentes. Le croyant est pris entre deux exigences : la défense de ses convictions et la nécessité de vivre avec d’autres, qui n’ont pas les mêmes convictions.
B. La nécessité d’une limitation
Il convient donc de tracer une limite nette entre ce à quoi peut conduire la religion et ce à quoi ne doit pas conduire la religion. On passe dès lors d’une question religieuse à une question politique. La religion doit ainsi se tenir à deux règles essentielles : le refus de la violence et le respect de la liberté de penser.
C’est ce que montre Spinoza dans son Traité théologico-politique : « Chacun peut dire et enseigner ce qu’il pense sans danger pour la paix, à la condition de laisser au souverain décider quant aux actions. » La loi règle les actions et condamne la violence, mais elle ne peut réduire la liberté de penser.
[Transition] Quel est le lien entre, d’une part, la nécessité de concilier diversité des religions et vie en commun et, d’autre part, la notion de raison ?
3. La raison : juge de la religion ?
A. Raison et universalité
La raison paraît le bon critère pour limiter la religion, dans la mesure où elle renvoie à la recherche de l’universel. La raison implique des principes (en particulier celui de non-contradiction) que tous peuvent reprendre à leur compte. Chacun peut ainsi admettre la vérité des mathématiques, car la validité des propositions ne repose que sur la faculté de distinguer le vrai et le faux. À l’inverse, la religion repose sur une expérience qui n’est pas toujours partageable. Celui qui est touché par un texte sacré ou par un modèle ne peut pas communiquer cette expérience singulière.
Spinoza associe liberté religieuse et raison : abandonner haine, colère, ruse, et ne pas chercher à imposer ses croyances aux autres, c’est user de sa raison. La raison permet d’éviter que la religion ne devienne superstition et fanatisme.
B. Un risque ou une chance pour la religion ?
Mais si la religion doit s’adapter aux exigences de la raison, ne court-elle pas le risque de perdre ce qui fait sa spécificité ? Si le croyant ne doit pas chercher à faire valoir ses convictions, s’il doit interroger ses pratiques pour voir ce qui, en elles, est ou non rationnel, ne devient-il pas un homme comme un autre, qui veut simplement faire le bien ? On passe d’une croyance religieuse à une attitude morale.
Kant parle de « religion morale » : « Chacun doit faire tout ce qui dépend de lui pour devenir meilleur. » Il faudrait évaluer l’ensemble des religions positives à partir de ce principe moral pour savoir ce qui, en elles, a de la valeur. C’est un risque pour la religion, car elle est ainsi invitée à une remise en cause d’elle-même.
Conclusion
La religion doit être limitée par la raison. Son histoire suffit à montrer les dangers de la religion. Cette limitation permet la paix et garantit la liberté de penser. Cela ne signifie pas pour autant que tout soit mauvais dans la religion. Cette limitation n’est pas nécessairement imposée de l’extérieur aux croyants, elle peut être une exigence interne à leur foi.