L’art
La culture
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Nouvelle-Calédonie • Novembre 2012
dissertation • Série L
Définir les termes du sujet
L’art
- Au sens large, ce terme désigne toute pratique requérant un savoir-faire pour être accomplie. Synonyme de technique, il s’oppose au hasard.
- En un sens restreint, il est l’activité de l’artiste qui crée des œuvres destinées à être contemplées ou écoutées. Il vise la beauté, l’expressivité.
Divertissement
Se divertir, c’est s’amuser, se détendre. L’étymologie nous apprend qu’il s’agit aussi de se détourner des sujets sérieux qui nous préoccupent.
Dégager la problématique et construire un plan
La problématique
Le problème est dû à une mise en cause de la valeur de l’art. Cette pratique est d’ordinaire fortement valorisée. L’opinion y voit une façon de réaliser ses désirs, d’épanouir sa créativité. Quant aux grandes œuvres, elles sont tenues pour un témoignage essentiel de l’esprit humain. Or le divertissement est une activité agréable mais frivole, une façon de se délasser. L’art appartient-il à cette catégorie ? Ne serait-il qu’un jeu ?
Le plan
- Dans un premier temps, nous définirons le lien entre l’art et le divertissement par l’intermédiaire de la notion d’agrément.
- Puis nous approfondirons l’analyse de la notion de divertissement et nous nous demanderons si elle convient vraiment à la notion d’œuvre d’art ?
- Enfin, nous montrerons que la façon dont l’art s’adresse à notre sensibilité est complexe. Ceci engage une réflexion sur le thème du goût.
Éviter les erreurs
Il ne faut pas réduire le sujet à une défense de l’art qui négligerait les ressources du verbe divertir.
Corrigé
Introduction
Les grandes expositions attirent un public nombreux qui n’hésite pas à patienter parfois pendant des heures avant de pouvoir entrer. Dans l’imaginaire collectif l’art reste attaché à la figure du génie, de l’inventeur solitaire qui réalise des découvertes essentielles. Il est donc étonnant d’envisager que l’art ne puisse être qu’un divertissement. Ce terme a ici une signification dépréciative. On ne s’étonnera pas qu’il soit employé pour qualifier des activités ludiques ou sans prétention mais comment peut-on l’appliquer à l’art ? Celui-ci n’est-il pas l’expression des valeurs les plus hautes d’une civilisation ? Le soin mis à entretenir les œuvres incite à le penser. Serait-ce dû à une illusion ?
1. Le plaisir du divertissement
A. L’agrément
Nous parlons couramment d’artistes de variétés dont le métier est de distraire un public souvent contrarié par les difficultés du quotidien. Le plaisir est l’effet produit par la qualité d’un divertissement proposé dans le but d’échapper momentanément à une réalité désagréable ou morose.
Il est indéniable que cette signification concerne la pratique artistique. Il semble même que des génies rencontrent sur ce point le jugement du grand nombre. Matisse a déclaré que ses tableaux devaient délasser l’esprit surmené de l’homme moderne. Ceci paraît corroborer l’avis de l’opinion commune quand elle soutient que le but d’un film ou d’un spectacle est de lui faire oublier sa vie de tous les jours.
Ce phénomène n’est d’ailleurs pas forcément surévalué par ceux qui le défendent. Le spectateur sait fort bien qu’il n’assiste pas à un chef-d’œuvre mais réclame un droit à se faire plaisir et apprécie les chanteurs ou les cinéastes qui lui procurent cette satisfaction. Kant, dans sa division des Beaux-arts, donne une place aux arts d’agrément qui embellissent le quotidien en le rendant plus agréable à l’œil. La décoration de jardins ou d’intérieur, les divers ornements comme ceux liés au vêtement constituent des avantages qu’il ne faut pas mépriser car ils participent à la civilisation et aux mœurs.
Le plaisir est donc intrinsèquement lié à l’art et on comprend qu’il soit recherché par un public fatigué par les contraintes du travail et la routine journalière.
B. L’ambivalence de la séduction
L’artiste étant un être doué du pouvoir de plaire par ses œuvres, il devrait donc mettre son talent au service des attentes de ses contemporains et chercher à nous divertir. Chateaubriand ne fut-il pas surnommé l’Enchanteur ? Or, cette affection doit être analysée.
L’enchantement reste un critère encore formel. Il ne dit rien quant à la valeur réelle de ce qui est montré. Faire plaisir risque de n’être que l’argument d’un esprit complaisant à l’égard des désirs vulgaires. Le démagogue sait flatter pour imposer sa présence et ses idées. L’artiste ne serait alors qu’un homme habile, capable de répondre à une attente en appliquant des recettes qui pourraient avoir été testées sur des échantillons de population.
Ce danger menace même ceux qui commencèrent par inventer. Picasso dit en ce sens « qu’imiter les autres est nécessaire mais que s’imiter soi-même est mesquin. » Un artiste novateur peut être victime de son succès en se bornant à répéter des procédés.
[Transition] L’idée de divertissement possède un sens qui nous amène à approfondir notre réflexion.
2. Deux visions de l’œuvre
A. L’art comme faux-semblant
Dans les Pensées, Pascal donne au divertissement une signification tragique en y voyant la façon dont l’homme se détourne de la réalité de sa condition. Se divertir serait une fuite motivée par la misère de notre situation. L’homme se sait mortel et cette considération lui pèse. Dès lors, tout devient désirable pourvu que l’excitation d’une activité lui fasse oublier sa finitude.
Ainsi, c’est l’ensemble des activités humaines qui devient un divertissement. Non seulement les différents jeux, mais la politique, et toutes les charges qui nous donnent un statut social. La royauté elle-même n’aurait de valeur qu’à cette condition car « un roi sans divertissement est un homme plein de misères ». L’art rentre-t-il dans cette catégorie ?
Pascal l’affirme tout en s’étonnant du pouvoir des représentations artistiques : « quelle vanité que la peinture qui s’attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux ! » L’art nous détourne de méditer sur notre condition en nous charmant par ses couleurs et ses formes. Ce divertissement, bien que compréhensible, est présenté comme coupable car il nous empêche d’admettre que seule la foi en Dieu nous sauverait. C’est en vain que nous nous divertissons aux spectacles de l’art. Ce plaisir passager nous contraint à le répéter sans jamais nous délivrer de notre angoisse. Cependant, ce jugement rend-il justice à la nature de l’œuvre d’art ?
B. La nature singulière de l’œuvre d’art
Les œuvres d’art sont des réalités particulières au sens où elles possèdent une double nature. Nous les appréhendons par notre sensibilité et elles nous procurent une satisfaction spirituelle. La vue et l’ouïe sont les principaux sens à être sollicités. Or, lorsque nous contemplons un spectacle ou écoutons une musique, nous voyons apparaître des significations comme la joie, la colère, la fierté, etc. La force de l’œuvre vient de la façon dont elle unit ces deux dimensions de manière indissoluble. La signification fait corps avec sa manifestation sensible. Si, par son origine grecque, le mot esthétique renvoie à l’idée de sensation, l’œuvre n’est pas consommable comme un produit nécessaire à nos besoins physiques, elle révèle l’essence d’un sentiment ou d’une valeur. Elle est donc liée à une forme de vérité.
[Transition] Ceci nous engage à réévaluer notre approche de l’œuvre d’art.
3. Réévaluation de l’art
A. Art et dévoilement
Les réflexions d’André Malraux sont centrées autour du concept de métamorphose dans lequel il voit la vérité de l’œuvre d’art. Il s’étonne de la résistance que certaines réalisations opposent au passage du temps. Nous savons bien que les civilisations sont mortelles. Partout abondent les traces de ce qui fut et ne reviendra plus. Ceci ne signifie pas que le passé n’a plus de sens pour nous. La science historienne se charge d’ordonner ces témoignages selon la chronologie. Nous pouvons connaître des faits, les classer de manière intelligible mais la connaissance ne les ressuscite pas. L’époque étudiée est bel et bien révolue.
C’est pourquoi, Malraux estime qu’une œuvre d’art est ce qui conserve une présence par-delà le passage des siècles. Elle ne sollicite pas seulement notre intelligence mais possède une vie énigmatique. Mona Lisa est morte mais La Joconde continue de fasciner. Puisqu’un chef-d’œuvre est ce à quoi on ne peut s’empêcher de revenir, il est plausible de parler de métamorphose pour caractériser la raison de sa vie intemporelle. Les cathédrales gothiques, par exemple, ne furent guère prisées aux xviie et xviiie siècles avant d’être redécouvertes par le siècle suivant, en les interprétant à sa manière, qui n’est plus la nôtre. L’œuvre peut susciter un nombre illimité d’interprétations et être une source d’inspiration, même si elle traverse des périodes d’oubli. Son pouvoir est fragile mais invincible.
B. L’élargissement de la perception. Le goût
Bergson affirme ainsi que l’artiste est un « révélateur » qui fixe sur sa toile ou dans des mots des visions fugitives, des nuances de sentiments qui traversent notre esprit mais rapidement recouvertes par les exigences de la vie quotidienne. Il souligne ainsi un paradoxe : « c’est parce que l’artiste songe moins à utiliser sa perception qu’il perçoit un plus grand nombre de choses. » Il naît « détaché », c’est-à-dire plus enclin à contempler qu’à utiliser.
Cette thèse est importante car elle donne à l’art une nécessité profonde. Il est lié à la connaissance de soi, de notre vie intérieure et de notre rapport au monde. Les œuvres d’art nous permettent de mieux saisir ce que nous ressentons confusément et c’est pour cela qu’elles nous touchent. Le détachement n’est pas une façon de fuir la réalité mais un recul pour la faire apparaître. Le plaisir pris à l’œuvre est celui d’un goût que nous apprenons à affiner.
Montesquieu note ainsi qu’une jeune personne qui se rend au théâtre manquera d’abord de goût car elle n’aura pas une perception suffisante de ce qu’elle voit. Il lui faudra du temps et de l’expérience pour apprécier la composition qui structure le développement de l’intrigue. Nous pouvons sans difficulté appliquer cette idée à toute forme de spectacle. Ceci est dû au fait que l’œuvre est une représentation qui suit nécessairement certaines règles même si le talent de l’artiste consiste à les moduler pour créer à chaque fois une réalité unique.
[Transition] Il ressort de ceci que le goût est une capacité qui se cultive. Il s’acquiert et se perfectionne par la fréquentation des œuvres.
Conclusion
Ce sujet nous a amenés à considérer l’art sous deux aspects. Il est vrai que l’art, en nous détournant du monde habituel, peut être présenté comme un divertissement qui charme pour un moment. Mais cette signification reste superficielle. Une grande œuvre nous livre la vérité d’un monde, elle dévoile son essence et n’a donc rien d’une activité futile ou secondaire.
L’art nous divertit au sens où il nous détourne de nos habitudes perceptives pour nous rendre plus sensible. Il cultive simultanément notre sensibilité et notre jugement.
Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.