La société et les échanges
La politique
phiT_1204_12_02C
Pondichéry • Avril 2012
dissertation • Série ES
Définir les termes du sujet
Commerce
- Le commerce peut se définir comme l’échange de biens ou de services entre les hommes. Les échanges commerciaux sont des actions par lesquelles on vend ou on achète une chose ou une valeur afin d’en recevoir une autre, conçue comme lui étant équivalente.
- Cependant, le but du commerce n’est pas d’établir des échanges entre les hommes : le commerce est une activité lucrative, c’est-à-dire une activité dont le but est de dégager un profit.
- Le commerce est donc animé par un jeu d’intérêts : je vends une chose à celui qui en a besoin, je satisfais donc, en la lui vendant, son intérêt, mais il faut que mon intérêt propre trouve par là à se satisfaire. Les deux termes de la relation commerciale, vendeur et acheteur, agissent donc chacun en vue de satisfaire leurs intérêts personnels.
Favoriser
- Favoriser, c’est donner une chance, aider une chose à se réaliser. Ce n’est donc pas faire en sorte que la chose se réalise, être la cause ou l’origine de la chose, ni la rendre possible, mais contribuer à sa réalisation.
- Favoriser, c’est donc rendre propice, préparer le terrain, ouvrir la voie à une chose.
- Ce qui s’opposerait au fait de favoriser une action serait le fait de l’empêcher, de l’entraver, d’être un obstacle à cette action.
Paix
- La paix peut se définir négativement comme l’absence de conflit ou de violence. En ce sens, la paix s’oppose à la guerre, celle-ci se caractérisant par des rapports de violence visant à anéantir celui qui est donné pour ennemi.
- Les rapports pacifiques sont précisément des rapports dans lesquels n’existe pas d’ennemi, sans qu’il s’agisse pour autant de rapports amicaux. Il s’agirait davantage d’une entente, d’une harmonie établie entre des partenaires dont l’agressivité serait désamorcée.
Dégager la problématique et construire un plan
La problématique
- Le problème posé par le sujet réside dans le rapport envisagé entre le commerce et la paix. A priori, on aurait tendance à envisager les rapports commerciaux comme étant pacifiques par nature, dans la mesure où ils excluent le recours à la violence : un échange fait sous la contrainte ne sera pas qualifié de commerce mais de vol, celui-ci étant défini comme un transfert de propriété obtenu sans le consentement de l’autre, et sans que cet objet soit exigible.
- La problématique découle de ce problème central, puisqu’il s’agira précisément d’interroger cette non-violence des rapports commerciaux. Le commerce est-il vraiment de nature pacifique ? Et par conséquent, contribue-t-il à désamorcer les conflits entre les hommes ? Mais comment un jeu d’intérêts, avec ce qu’il implique de rivalités et de concurrence, peut-il favoriser la concorde, l’entente mutuelle ? Est-ce seulement parce qu’il est nécessaire que le commerce nous incline à la paix ? Avons-nous intérêt, en dernier ressort, à établir entre nous des rapports pacifiques ?
Le plan
Dans un premier temps, nous verrons comment le commerce, qui établit des rapports d’interdépendance entre les hommes, peut contribuer à la paix. Mais le commerce n’est-il pas animé par un jeu d’intérêts où rivalisent et s’affrontent des égoïsmes particuliers ? Nous verrons enfin dans quelle mesure le commerce fait obstacle à la paix définie comme absence de violence.
Éviter les erreurs
Il est essentiel, pour traiter ce sujet, de ne pas oublier de définir le terme « favoriser ». On ne vous demande pas si le commerce produit la paix, mais s’il aide à sa réalisation.
Corrigé
Introduction
Se demander si le commerce favorise la paix, c’est se demander si les échanges commerciaux peuvent contribuer à l’établissement de rapports de concorde entre les hommes, à un niveau collectif ou particulier.
A priori, on aurait tendance à envisager les rapports commerciaux comme étant pacifiques par nature, dans la mesure où ils excluent le recours à la violence : un échange fait sous la contrainte ne sera pas qualifié de commerce mais de vol, celui-ci étant défini comme un transfert de propriété obtenu sans le consentement de l’autre, et sans que cet objet soit exigible. Mais le commerce est-il vraiment de nature pacifique, et a-t-il en ce sens des vertus pacifiantes ?
Le commerce peut se définir comme l’échange de biens ou de services entre les hommes. Les échanges commerciaux sont des actions par lesquelles je vends ou j’achète une chose ou une valeur afin d’en recevoir une autre, conçue comme lui étant équivalente. Cependant, le but du commerce n’est pas d’établir des échanges entre les hommes : le commerce est une activité lucrative, c’est-à-dire une activité dont le but est de dégager un profit. Le commerce est donc animé par un jeu d’intérêts. Les deux termes de la relation commerciale, vendeur et acheteur, agissent chacun en vue de satisfaire leurs intérêts personnels. Favoriser, c’est donner une chance, aider une chose à se réaliser. Ce n’est donc pas faire en sorte que la chose se réalise, être la cause ou l’origine de la chose, ni la rendre possible, mais contribuer à sa réalisation. Ce qui s’opposerait au fait de favoriser une action serait le fait de l’empêcher, de l’entraver, d’être un obstacle à cette action. La paix peut se définir négativement comme l’absence de conflit ou de violence. Les rapports pacifiques sont des rapports dans lesquels n’existe pas d’ennemi, sans qu’il s’agisse pour autant de rapports amicaux.
Mais en quoi le commerce contribuerait-il à désamorcer les conflits entre les hommes ? Comment un jeu d’intérêts, avec ce qu’il implique de rivalités et de concurrence, peut-il favoriser la concorde, l’entente mutuelle ? Est-ce seulement parce qu’il est nécessaire que le commerce nous incline à la paix ? Avons-nous intérêt, en dernier ressort, à établir entre nous des rapports pacifiques ?
Dans un premier temps, nous verrons comment le commerce, qui établit des rapports d’interdépendance entre les hommes, peut contribuer à la paix. Mais le commerce n’est-il pas animé par un jeu d’intérêts où rivalisent et s’affrontent des égoïsmes particuliers ? Nous verrons enfin dans quelle mesure le commerce fait obstacle à la paix définie comme absence de violence.
1. Le commerce favorise la paix
A. Le commerce est un transfert de propriété non violent, qui crée des rapports d’interdépendance
Dans un premier temps, il est possible d’affirmer que le commerce favorise la paix dans la mesure où les échanges commerciaux, comme le note Montesquieu dans L’Esprit des lois, créent des liens de dépendance entre les nations : « L’effet naturel du commerce est de porter à la paix », écrit-il, puisque « deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre, et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels. » Autrement dit, le commerce est fondé sur un pacte dans lequel deux intérêts se répondent. À l’univocité du don s’oppose la réciprocité de l’échange commercial, récipriocité fondée sur des besoins mutuels : je ne peux satisfaire les miens qu’à condition de permettre à l’autre de satisfaire les siens. Cet échange étant ainsi conditionné, il neutralise les conflits ou les guerres qui pourraient naître de la volonté d’une nation de satisfaire ses besoins au détriment d’une autre.
B. Le commerce organise les intérêts particuliers pour les faire converger vers un bien commun
Comme le souligne Adam Smith, les intérêts contradictoires des individus, étant ainsi organisés par le commerce, nous permettraient d’atteindre un « Bien général ». Il semblerait donc que le commerce soit une façon de fonder un tissu social : si je ne peux satisfaire mon besoin qu’en satisfaisant celui des autres, alors nos intérêts ne sont plus antagonistes ; ils ne nous placent plus dans des rapports de rivalité ou de concurrence, mais nous poussent à nous allier. L’autre terme de l’échange commercial n’est plus mon ennemi, celui qui s’oppose à la réalisation de mon intérêt, mais au contraire mon partenaire, celui qui rend possible la réalisation de mon intérêt, tant que je satisfais le sien.
[Transition] Pourtant, si le commerce naît en effet de besoins réciproques, peut-on dire pour autant qu’il neutralise en nous la tendance à vouloir satisfaire nos intérêts au détriment des autres ? Faut-il croire aux vertus pacificatrices du commerce dans nos rapports particuliers ?
2. Le commerce ne favorise pas la paix
A. Le commerce est un jeu d’intérêts particuliers
C’est précisément ce que remet en cause Montesquieu en distinguant, dans L’Esprit des lois, le commerce entre les nations et le commerce entre les particuliers. « Nous voyons, dit-il, que dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales : les plus petites choses, celles que l’humanité demande, s’y font ou s’y donnent pour de l’argent. » En d’autres termes, la question est alors d’examiner quel type de mentalité individuelle produit le commerce. Quel est le point de vue sur le monde de celui qui se définit comme vendeur ou acheteur ? Ce point de vue, dit Montesquieu, est exclusivement celui de l’intérêt particulier. Autrement dit, je suis amené à envisager le monde sous l’angle de l’argent : tout se vend ou s’achète, jusqu’à la loyauté ou l’honneur d’un homme, par exemple. Par conséquent, l’esprit commercial pacifie moins nos rapports individuels qu’il ne les appauvrit, en nous amenant à envisager l’autre comme le moyen de satisfaire nos besoins : l’autre serait une marchandise anodine.
B. Le commerce est immoral
Au fond, ce que dit Montesquieu, c’est que le commerce ne crée pas d’harmonie entre les hommes, mais une sorte de fausse paix derrière laquelle se cachent des rapports fondamentalement immoraux. Si, comme l’indique Kant, l’acte moral se caractérise par son désintéressement (la considération de l’intérêt ne saurait intervenir dans la détermination d’une conduite morale, celle-ci se définissant précisément comme la capacité à s’affranchir de la considération de mon seul avantage), l’esprit de commerce est en soi cet esprit immoral pour qui ne peut exister aucune gratuité. Aussi Montesquieu souligne-t-il l’ambiguïté propre à l’esprit de commerce qui « produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte, opposé d’un côté au brigandage, et de l’autre à ces vertus morales qui font qu’on ne discute pas toujours ses intérêts avec rigidité, et qu’on peut les négliger pour ceux des autres. » Animé exclusivement par l’esprit de commerce, je ne suis pas voleur, certes, mais pas humain non plus : pris dans mon calcul d’intérêt (« justice exacte »), je perds cette attitude proprement humaine qui consiste à envisager l’autre autrement qu’à travers le prisme de mon intérêt personnel (que peut-il m’apporter ?). Ainsi, remarque Montesquieu, certaines vertus morales, comme l’hospitalité, par exemple, ne subsistent que dans des peuples de brigands – car de fait, l’hospitalité ne m’apporte rien et ne serait donc possible que dans un esprit pour lequel pourrait exister une notion de gratuité ou de désintéressement.
[Transition] Mais si le commerce n’aide pas à la réalisation de la paix, s’il ne peut tout au plus que contribuer à former des rapports d’hostilité contenue entre les hommes, alors, ne peut-on pas dire que le commerce est un obstacle à la paix ?
3. Le commerce est un obstacle à la paix
A. Le commerce substitue à la violence des rapports de force, la violence des rapports commerciaux
Au fond, la question est alors de savoir de quelle paix nous parlons. Si nous définissons la paix comme une absence de violence ou de conflits, alors la question est de savoir si la seule forme possible de la violence est la guerre. Les rapports économiques ne sont-il pas en soi des rapports de violence ? C’est précisément ce que montre Marx dans Le Capital : pour que quelqu’un puisse vendre, il faut qu’il produise moins cher que son concurrent. Par conséquent, il doit augmenter la productivité du travail par sa division et la diminution constante de ses coûts. Le travailleur, lui, devra s’adapter au marché en proposant son travail au pris le plus bas défini par la même loi de la concurrence. En somme, à la guerre classique, les lois du commerce substituent une guerre économique qui n’est pas moins destructrice.
B. Les lois du commerce produisent des conflits sociaux
Selon Marx, l’échange commercial et le système de production qu’il nécessite produisent de forts antagonismes au sein de la société : d’un côté, le propriétaire des moyens de production, de l’autre, les « prolétaires » qui leur vendent leur force de travail et sont rétribués en fonction de la loi du marché. Le commerce, qui n’obéit qu’à ses propres lois, est ainsi créateur de violence économique et sociale.
Conclusion
En définitive, s’il est certain que la paix favorise le commerce, dans la mesure où la guerre rendrait difficile voire impossible toute forme d’échange commercial, il semble difficile d’établir que le commerce, en soi, favorise la paix. S’il peut incliner à former entre nous des rapports d’hostilité contenue, le commerce semble attiser notre tendance à agir conformément à nos intérêts particuliers, et à n’envisager l’autre que comme le moyen de réaliser nos intérêts, voire comme une marchandise. La paix, qu’il favoriserait alors, est une paix étrange, où sourd l’hostilité d’individus qui ne se conçoivent plus comme des ennemis mais comme des partenaires liés par leurs seuls intérêts, toujours précaires. Cette paix laisse libre cours à la violence des rapports économiques.
Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie.