Il y a des télescopages qui ne sont pas à l’honneur de la presse. Mardi matin, Xavier Niel faisait les Unes des quotidiens économiques. Le patron de Free révélait la veille son plan de câblage en fibre optique. Le jeudi 14 septembre, le même Xavier Niel se retrouvait dans les pages « Société » de Libération. C’était l’ouverture de son procès en correctionnelle pour abus de bien social dans le cadre de l’activité à l’origine de sa fortune : le Minitel rose, les sex-shop et les peep-show. « Une erreur de jeunesse », commente-t-il en substance. Sic transit gloria mundi.
Mais tout accusé étant innocent avant d’être condamné par la justice, revenons à Free. Il se propose de câbler les immeubles en fibres optiques, pour permettre l’accès de ses abonnés au très haut débit (50 mégabits par mois), pour un abonnement de base de 19 euros.
Surtout Xavier Niel promet l’accès à un « service universel » gratuit (bas débit, chaînes TV, téléphones d’urgences et réception d’appels) pour tous les habitants des immeubles câblés.
Voici donc un privé prêt à faire du service public, et gratuitement en plus !
Formidable, se dit-on. Battu France Télécom, qui demande 15 euros par mois d’abonnement pour avoir le droit de passer un coup de fil à sa maman.
Sauf que le « service » n’aura d’universel que le nom. Seuls pourront y accéder les personnes habitant une zone « dont 15% des foyers sont déjà raccordés à Free » (interview aux Echos du 12 septembre). Ce qui amène à penser que le « service universel » sera en fait un joli produit d’appel pour démarcher les syndicats de copropriétaires. On imagine déjà les AG de copropriétaires, ou les organismes HLM, discutant de l’avantage de laisser Free accéder à la cage d’escalier pour passer sa fibre.
Dans ce cas, les copropriétaires ou les bailleurs sociaux ou non devraient garder en mémoire les informations délivrées par Free : la marge brute dégagée par le réseau de fibre optique devrait s’afficher, tenez-vous bien, à 90%, sur la base de projections prudentes : 15% de parts de marché, abonnement moyen à 33 euros par clients. Le retour sur investissement (1 milliards d’euros) serait acquis en six, voire quatre ans. Résultat : au bout de quelques années, Free serait en possession d’une véritable rente de situation.
On peut donc faire une double suggestion :
- soit les propriétaires exigent une infime part de cette manne, une fois le réseau amorti. Cela pourrait aider les habitants des immeubles à payer leurs charges.
- ou mieux, l’Etat institue enfin une taxe (minime) sur les bits distribués. A l’heure de l’économie de la connaissance, ou encore de l’immatériel, il serait temps de reconnaître que les bons impôts sont ceux qui sont assis sur des activités en croissance, dont l’activité n’est pas délocalisable. Free, mais aussi France Télécom, sont en plein dans la cible. Il manquera, nous dit la Cour des comptes, 37 milliards à la sécu en 2009. (Ce que tous ceux qui avaient suivi les débats sur les réformes de 2003 et 2004 savaient). Taxons donc les bits, de façon minime. Si nous érodons, par un prélèvement à la source, 5% de marge bénéficiaires de Free, il restera au fournisseur d’accès, une marge de 85%. De quoi vivre confortablement, investir et rétribuer correctement les actionnaires. Celui qui n’y croit pas n’a qu’à regarder le régime spécial d’EDF et GDF, dont les avantages particuliers sont financés (depuis 2004) par une taxe sur le passage de l’électricité dans les lignes à haute tension et dans les tuyaux. Ce qui est regrettable puisque le produit de l’exploitation d’un bien public a été capté au profit d’une catégorie particulière. Taxons les bits, les électrons et les atomes de gaz, mais au profit de tous les retraités !